Amore – Luca Guadagnino
Le titre Amore, écrit en calligraphie façon XVIIIe siècle, c’est un peu comme le nom d’un parfum Dior, ou une marque de chocolat viennois du type « Boules de Mozart » : une sucrerie bien écœurante aux strates exponentiellement indigestes. Mais après visionnage, on pencherait davantage pour une appellation de marrons glacés, de l’étouffe-chrétien enrobé de lumière blanche mortuaire. Entre le soap opéra et la publicité de luxe, Amore, fascinant de contradictions, a quelque chose du programme télévisé « Invitation of Love », qui fait la toile de fond de Twin peaks.
Une famille de riches industriels milanais est tiraillée entre des idéaux différents. Entre un grand-père autoritaire qui a construit un empire commercial à la sueur de son front, un fils gâté au cœur pur qui défend le petit peuple en se liant d’amitié avec un cuisinier, une sœur rebelle et libérée qui fait une école d’art, et une mère russe en mal d’amour et du pays, Dynasty n’a qu’à bien se tenir. A grand renfort de gros plans, travellings sur les grandes avenues du Milanais de luxe, vues charmantes des rues chics de San Remo, l’intrigue se créé dans et par le décor, dans l’habillage du « studio » digne d’un film publicitaire. Les acmés scénaristiques sont soulignées artificiellement et avec insistance par un montage saccadé et des pics musicaux d’une partition magistrale signée John Adams. A cette esthétique du papier glacé répondent des scènes d’amour à la texture vidéographique. La lumière aveugle la caméra et rase les peaux des amants en révélant leurs imperfections, dans des halos rouges et verts très froids. Tilda Swinton reste touchante, le regard fixe entre les deux pommettes saillantes de son visage farouche, partagée entre deux langues qui ne lui sont pas naturelles, l’italien et le russe. Elle court dans les labyrinthes de sa condition bourgeoise comme Laura Dern dans les signalétiques perverses d’Inland Empire.
Cette hétérogénéité stylistique déstabilisante est renforcée par la musique omniprésente de John Adams. A la fois cisaillante, affolée, lancinante et profondément glaciale, tragique, elle accompagne un malaise flottant qu’on rattache involontairement aux plus grands, au Théorème de Pasolini et à Lynch, et qu’on ne peut s’empêcher d’associer également à la matérialité digitale du numérique. La musique comme la texture, désincarnées, invitent à une lecture plus réfléchie de cette bourgeoisie, par laquelle la surface lisse creuse le mal-être du réel dans son absence de profondeur. L’accumulation des rebondissements fait écho à un envers du décor proche du néant. Il n’y a pas de premier degré car il n’y en a pas de second, le monde est aussi vide qu’il le parait.
Associant surenchère scénaristique et froideur visuelle, Amore mélange les genres et installe le spectateur dans le malaise d’un réel tragiquement univoque.
Viviane Saglier
Amore
Un film de Luca Guadagnino
Avec Tilda Swinton, Flavio Parenti, Edoardo Gabbriellini, Alba Rohrwacher…
Durée 2h
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En salles
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