Alain Choquart : “Développer la culture c’est travailler pour la paix et pour la tolérance”
Partons à la découverte d’Alain Choquart, un homme passionnant et passionné. Chef opérateur français, devenu réalisateur et scénariste, il est aussi le président fondateur du festival “De l’écrit à l’écran” et directeur du pôle éducation et formation de celui-ci dans la Drôme. Eh… action !
Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de votre passion pour le cinéma ?
Le cinéma, c’est une passion très ancienne qui a commencé au collège. A 15 ans, j’avais déjà regardé tous les Bergman, les Hitchock, les Eisenstein, etc… j’ai développé une culture cinématographique très tôt. L’année de mon bac, j’ai passé le concours de l’école nationale supérieure Louis-Lumière, j’en suis sorti à 19 ans et j’ai commencé à travailler très peu de temps après. J’ai rencontré, en allant chez Alga Samuelson, les plus importants loueurs de caméras à Paris, une équipe de cameramen que j’ai intégrée. Jusqu’au jour où ils m’ont demandé de les accompagner sur un film, “Allons z’enfants” de Yves Boisset. J’ai enchainé trois films à la suite. J’ai été assistant sur plusieurs films avec cette équipe et assez vite j’ai gravi les échelons, je suis devenu 2ième assistant puis 1er assistant caméra. Ensuite cadreur puis directeur de la photographie en à peine deux ans, donc tout est allé très vite.
En quoi consiste le métier de directeur de la photographie, et pourquoi vous tourner vers “l’image” en particulier ?
L’école que j’ai faite, est une école de l’image du cinéma. Même si on apprend à écrire des scénarios, à analyser des films, c’est avant tout une école qui forme de manière très pointue à l’image de cinéma, donc généralement quand on sort de cette école-là, on a déjà un bon bagage technique et artistique. D’une part, on est assez naturellement sollicité et puis on progresse rapidement. Quand on est sur un plateau, il y a plein de choses qu’on connaît déjà, donc on arrive à évoluer très rapidement. Ensuite, c’est le hasard des rencontres. Mais il est vrai que, comme J’ai intégré l’école assez jeune, lorsque j’avais à peine 17 ans, je ne savais pas vraiment quelle voie serait la mienne. J’ai appris la passion de ce métier en étant sur les plateaux.
Quelles sont les difficultés de ce métier ?
Elles sont multiples et énormes, il y a de tout. Déjà, il y a les difficultés du travail : il faut être sollicité pour des beaux projets. Il faut faire des choix et, faire les bons choix. Mais la difficulté principale c’est de percer et de persévérer.
Depuis une dizaine d’années maintenant, vous avez décidé de changer de décor pour vous consacrer à l’écriture. Quelles ont été vos motivations à devenir réalisateur et scénariste ?
Je me suis toujours beaucoup engagé dans mon métier auprès des metteurs en scène avec lesquels et pour lesquels j’ai travaillé et c’est peut-être ça qui m’a décidé à travailler sur mes propres projets.
Il y a un moment donné où je ne trouvais plus assez de motivations dans les rencontres que je faisais et plutôt que d’accepter avec tiédeur certains projets, j’ai voulu mettre cette énergie pour développer les miens. J’ai aussi toujours eu l’envie d’écrire, de progresser dans mon métier, essayer des choses nouvelles. C’était la voie que j’avais envie d’explorer. J’ai travaillé comme scénariste pour des films dont je n’étais pas le réalisateur. J’ai été au service de metteurs en scène pour l’image de leurs films, mais être au service d’un metteur en scène pour écrire son film c’est aussi quelque chose de passionnant. On a une forme de liberté, on va explorer des choses sans penser à la mise en scène mais à l‘écriture pour ce qu’elle est. Et l’écriture de scénario est quelque chose de vraiment spécifique qui est à la fois très artistique et technique.
D’où viennent vos inspirations ? Y a-t-il des thèmes qui vous inspirent plus que d’autres en tant que créateur ?
Les inspirations sont parfois des envies de lecture. Je suis un grand lecteur et il y a des choses qui me touchent plus que d’autres. Les thèmes de la ruralité m’intéressent, les thèmes universels aussi et ça se rejoint quelque part.
Je fuis un petit peu le cinéma qui se contente de parler des problèmes de la bourgeoisie urbaine par exemple, ce n’est pas vraiment ce qui me touche. Les problèmes de la ruralité sont des thèmes qu’on aborde peu en cinéma et dans la littérature française, ou de manière souvent très pittoresque, mais il y a des personnages très forts, d’une formidable humanité, loin des villes et des préoccupations trop parisiennes.
Il y a aussi des grands sujets comme la culpabilité, le racisme, le vivre ensemble après un traumatisme collectif de l’histoire. Quand on s’attache aux individus qui vivent isolés, on suit des personnes davantage livrés à eux-mêmes et j’aime les personnages qui sont confrontés à la nature, pour lesquels elle est un réel élément de vie. Ceux qui vivent avec les saisons et les rapports que cela a dans leur vie de femmes et d’hommes, dans leurs relations aux autres, ces personnes un peu oubliées des sujets de fictions, m’intéressent beaucoup.
Y a-t-il eu des réalisateurs qui ont été pour vous une réelle source d’inspiration ?
Alors, les personnages qui vivent dans ces zones rurales et qui m’inspirent, on les retrouve dans un cinéma que j’aime beaucoup, celui par exemple d’Abbas Kiarostami, réalisateur iranien, ou dans Nuri Bilge Ceylan, le réalisateur turc, ou encore chez Terrence Malick. Ils abordent des personnages qui sont confrontés à la condition humaine à travers un quotidien simple : les relations à leurs enfants, à la nourriture, aux saisons, etc…
Mais, j’ai aussi beaucoup aimé le réalisateur Francis Ford Coppola, et le cinéma d’Altman pour sa liberté de ton, ainsi que celui d’Alain Resnais pour sa puissance émotionnelle. Et puis aussi, énormément de films plus anciens de Dreyer, Hitchcock, de Fritz Lang, etc…
Ce ne sont pas forcément des sources d’inspiration mais souvent des réalisateurs qui donnent envie de faire des films. Ils traitent de sujets parfois à priori anodins mais tellement forts et avec beaucoup de profondeur.
Quel a été votre plus gros projet ?
Il y en a eu plusieurs. Le film de Bernard Tavernier “Laissez passer” qui parlait du cinéma français sous l’occupation allemande, il y avait 150 décors construits en studio et 300 mètres de rue de Paris construits à 50km de la ville, sur une colline. J’ai travaillé presqu’un an sur le film, entre la préparation, le tournage et puis la post- production.
Il y a aussi “Capitaine Conan”, qui est un film très fort et puissant qui a demandé un grand engagement à la fois physique et intellectuel.
J’ai aussi travaillé sur beaucoup de films en Afrique de l’Ouest et en Afrique du Sud extrêmement forts et ambitieux.
Quelle est votre cible ?
Quand on fait un film, on ne pense pas à une cible. On pense au public forcément mais faire un film ou écrire, c’est avant tout pour soi-même, avec beaucoup de convictions et d’intimité. Mais on l’écrit pour les autres, il faut donc trouver cet équilibre entre la création intime et puis réussir à toucher des gens qu’on ne connaît pas. On essaie de ne pas être trop hermétique, incompréhensible ou tellement intime que ça n’intéresse personne.
Quelles sont les conditions de travail du cinéma en France ?
Elles sont diverses et variées. Cela dépend du film sur lequel on travail, c’est très réglementé. Après il y a des films plus difficiles que d’autres et pour pleins de raisons. Souvent économiques : il ne faut pas que le film dépasse le budget, sinon il court à l’échec. On doit respecter le financement. C’est ce qui est difficile pour un film. Par exemple, quand on est écrivain, on écrit ce qu’on veut et puis ça s’arrête, on n’a pas dépensé beaucoup d’argent. Au cinéma, quand on doit tourner un film en 10 semaines, ce n’est pas 15 semaines. Il y a une maîtrise technique à avoir et une conscience du financement d’un film. On fait le film en fonction de l’enveloppe prévue.
Et quel est selon vous l’intérêt du cinéma dans notre société ?
Il est essentiel. Le cinéma à un rôle, il est un média populaire qui touche un large public qui peut intéresser les amateurs comme les cinéphiles. Il a aussi un devoir de fraternité. Ce qui me semble important dans le cinéma c’est de montrer aux autres qu’il ne faut pas avoir peur du monde, que les histoires des gens ordinaires peuvent être extraordinaires et qu’un personnage ordinaire peut devenir un héros. C’est une manière de donner de l’espoir.
Il y a une part de divertissement qui est indéniable, mais généralement le cinéma est porteur de valeur d’humanité. Un film, ça raconte une histoire, et celle-ci doit apporter quelque chose au spectateur. Le public doit passer un bon moment, certes mais il doit aussi découvrir de nouvelles choses.
Vous réalisez des films mais aussi des séries télévisées. Quelle est la principale différence en termes de réalisation et de diffusion pour une série ?
Quand on est engagé sur une série télévisée qui existe déjà, on doit rentrer dans des codes, des critères, des principes narratifs qu’il faut suivre. C’est un travail de commande. Ce qui est intéressant c’est que, dans chaque commande, il y un grand espace de liberté. On n’est pas là pour révolutionner la série mais on peut y apporter des choses. Par exemple, pour Julie Lescaut, tout en respectant les codes avec humilité, j’ai développé tout un pan esthétique autour de la musique classique qui avait rarement été développé dans ces séries-là auparavant. Pour une série, on nous demande de suivre un rythme de narration. Les gens qui regardent la télé chez eux n’ont pas la même attente que ceux qui vont au cinéma pour regarder un film.
En 2012 vous créez le festival “De l’écrit à l’écran” dans le bassin de Montélimar, dans la Drôme. Président et fondateur du festival, pouvez-vous nous expliquer comment est né ce projet et pour quelles raisons ?
J’ai grandi à la campagne et j’ai décidé de m’installer dans la Drôme après avoir vécu à Paris. En emménageant ici, je ne voulais pas me contenter d’y habiter mais je voulais devenir un acteur du territoire. Je suis cinéaste, donc ce que je pouvais faire, c’était de partager ma passion pour le cinéma : aussi bien avec le public en créant un festival, qu’en éduquant les jeunes en créant un programme d’ateliers d’éducation à l’image.
Pour moi, côtoyer des personnes issues d’autres milieux, cultures ou origines familiales était quelque chose de naturel et je ne comprenais pas l’acharnement de certains à détester une partie de la population. Alors si la culture ne peut pas tout, elle peut en revanche être une certaine barrière à l’extrémisme et au rejet des autres. J’avais envie de faire un festival qui permette de montrer un cinéma différent, à un public qui ne serait peut-être pas allé voir ces films. Il était aussi important pour moi que les jeunes entendent autre chose qu’un discours de rejet et de peur, mais plutôt un discours de tolérance et de bienveillance vis-à-vis des autres pays et populations de la planète. Développer la culture est selon moi quelque chose d’essentiel car je pense que c’est travailler pour la paix et pour la tolérance.
Le festival déroule aussi son tapis rouge chaque année à près de 10.000 scolaires, du primaire au lycée. Quelle est votre volonté dans ces différents ateliers, à partager cela avec des jeunes ?
Je travaille en ce moment avec 12 classes de collège de la Drôme. Je reçois des mails très élogieux d’enseignants. Les jeunes, de leur propre initiative écrivent des textes sur l’apprentissage du cinéma, sur des découvertes qu’ils ont pu faire, etc…
On travaille avec des classes difficiles, avec des jeunes qui ont des troubles du comportement, qui ont d’eux-mêmes une image de l’échec. Les aider par le biais du cinéma, d’une part pour s’exprimer et puis aussi pour travailler en équipe c’est quelque chose de très important. Ces ateliers ont une double fonction : d’une part, l’apprentissage de l’image, on aide à rendre les jeunes moins passifs face aux images. D’autre part, l’apprentissage du travail en équipe. Chacun a sa place et aussi ses droits et devoirs envers les autres. Chacun trouve le moyen de s’exprimer et se rend compte qu’on ne peut qu’avancer ensemble. J’accompagne aussi des étudiants qui préparent des concours aux écoles de cinéma. Je fais de la formation avec des travaux d’écriture, préparation, tournage et montage.
La pandémie actuelle a comme pour beaucoup de festivals, perturbé son déroulement, initialement programmé du 10 au 15 novembre 2020. Comment avez-vous géré les imprévus face à la crise sanitaire ?
Au mois de mai déjà, on avait prévu de reporter le festival qui devait avoir lieu fin septembre. Il y avait un tel embouteillage de films, les distributeurs ne savaient pas eux-mêmes quand ils allaient pouvoir sortir leur film. On avait donc décidé de reporter le programme à novembre. Le jour où celui-ci est sorti, on a appris qu’il allait y avoir un couvre-feu, on a donc dû en 48h tout réorganiser pour que les publics puissent partir à 20h30 et être chez eux pour 21h. Malheureusement, quelques jours après est arrivée la confirmation de fermeture des salles de cinéma. Il a fallu tout annuler.
Ce qu’on va essayer de faire quand même au premier trimestre 2021 si la crise sanitaire le permet, et aussi pour aider les cinémas qui ont beaucoup soufferts, c’est d’organiser trois ou quatre avant-premières qui étaient prévues pour le festival et quelques soirées supplémentaires.
Avez-vous d’autres projets à venir ?
Mon premier roman va être édité. J’ai également été sollicité pour en écrire un autre donc je vais consacrer mon année à l’écriture en attendant que le cinéma sorte la tête de l’eau et me permette de finaliser le projet de mon prochain film.
Propos recueillis par Lou Barbato
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