A Dangerous Method – film de David Cronenberg
Les premières années du vingtième siècle. Une jeune patiente trouble la tranquillité de la clinique zurichoise où exerce le placide Dr Carl Jung. Celui-ci décide d’essayer pour la soigner la méthode révolutionnaire de son confrère Sigmund Freud : la psychanalyse, ou la guérison par la parole.
Pourtant, très vite, des dissensions apparaissent entre le maître et son disciple, entre deux perceptions d’une nouvelle science qui s’élabore au fur et à mesure des confrontations. Jung rejette l’obsession de Freud pour la sexualité comme unique facteur d’explication des névroses et des troubles de l’esprit humain. Freud raille le mysticisme de Jung, son intérêt pour d’autres méthodes de guérison expérimentale et son désir d’aider les malades non seulement à guérir mais à se réinventer, qu’il perçoit comme un fantasme démiurge, par conséquent mégalomane.
Ce qui va cependant cristalliser les tensions entre ces deux grands hommes, c’est une femme hors du commun, Sabina Spielrein. Dès son admission, elle suscite la fascination du jeune Dr Jung qui reconnaît immédiatement derrière le mal que l’on appelle alors « hystérie » une personnalité forte mais réprimée par une éducation brutale, ainsi qu’une intelligence et une culture remarquables qui n’ont jamais réussi à s’exprimer dans la société où aucune place n’est allouée aux femmes. Un lien étrange se tisse entre le docteur à la vie maritale et professionnelle bien organisée et sa patiente masochiste, fait de désir et de respect, d’admiration et d’émulation. Sabina Spielrein caresse l’ambition de devenir à son tour psychanalyste ; Carl Jung tente de l’aider à se réaliser de façon à ce qu’elle y parvienne.
Duel d’esprits et d’égos, A Dangerous Method apparaît alors surtout comme un fascinant film sur l’enfermement, qu’il soit social ou psychique, qu’il soit réel ou supposé, rationnel ou pulsionnel. Car la relation entre Sabina Spielrein et le Dr Jung, c’est l’histoire d’un désir ardent contraint par le corps social qui condamne cette liaison adultère ; contraint par le corps scientifique, qui ne peut accepter le manquement à la déontologie que représente une relation sexuelle entre un médecin et sa patiente ; contraint par le corps physique lui-même, la virginité de la jeune femme l’étouffant ; les principes du docteur, qui considère qu’une certaine répression est nécessaire, l’empêchant de succomber à l’attirance qu’il éprouve.
David Cronenberg évince dans le récit de cette lutte entre aspirations et frustrations la violence visuelle qui lui est coutumière, pour rendre avec d’autant plus d’intensité et d’éclat la violence morale de cette bataille d’esprits contre la frénésie des pulsions. Sabina Spielrein démontrera avec brio que la pulsion sexuelle correspond à un instinct de mort. D’une certaine façon, tous les personnages s’y anéantissent, la courte apparition de Vincent Cassel en patient / collègue / ami de Jung jouant le rôle de révélateur des enjeux enfuis dans la relation dangereuse qu’entretiennent Spielrein, Freud et Jung. Catalyseur de la consomption de l’amitié entre les deux hommes, Sabina Spielrein réussira non seulement à briller par elle-même, mais à les égaler, voire à les dépasser.
Impossible en outre de ne pas mentionner le casting impeccable du film, sans lequel cet affrontement perdrait sans doute beaucoup de sa force : Viggo Mortensen, depuis A History of Violence, fidèle interprète de Cronenberg compose un Freud cynique à la sagacité froide ; Michael Fassbender confirme tout le bien qu’on pensait de lui depuis Hunger et Shame ; et quant à Keira Knightley elle impressionne par son jeu subtil ; d’abord à fleur de peau, l’esprit torturé, le corps recroquevillé ne parvenant pas à assumer une psyché que la société réprouverait ; puis libérée d’elle-même, droite, enfin capable de nuancer ses émotions et d’apaiser ses troubles, femme de chair et de tête prête à s’épanouir.
Ainsi, tout amateur d’un cinéma intelligent et ouvert sur la complexité de l’esprit humain aurait tort de bouder ce Cronenberg en costumes exigeant, où la rigidité des tenues vestimentaires ne rend que plus flagrante la violence de ce combat que mènent trois grands esprits pour s’affranchir du système conventionnel qui les oppresse.
Raphaëlle Chargois
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Golden Globes 2012 (15 janvier)
- 1 nomination : Meilleur acteur dans un second rôle (Viggo Mortensen)
Mostra de Venise 2011 (du 31 août au 10 septembre)
- 3 nominations : Lion d’Or, Prix FIPRESCI et Prix Spécial du Jury
A Dangerous Method
De David Cronenberg
Avec Keira Knightley, Viggo Mortensen, Michael Fassbender, Vincent Cassel et Sarah Gadon
Durée : 99 min
Sortie le 21 décembre 2011
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