38ème Festival du Cinéma Américain de Deauville – Bilan
Dans son éditorial, Bruno Barde, directeur du Festival du Cinéma Américain de Deauville, annonçait déjà la couleur : « Les ‘filmeurs’ de cette 38ème édition dévoilent une Amérique épuisée ou déjantée, blessée et généreuse, vacillante sur ses traditions ». Comme à son habitude, le Festival nous a effectivement permis de prendre le pouls d’une Amérique aux multiples facettes. Un pays aussi dense que sa population où l’on se découvre (The we and the I, Electrick children, Your sister’s sister), où l’on émigre (California solo, Une noche), où l’on tente de survivre (Les bêtes du sud sauvage, Booster, Smashed) et où l’on rencontre des êtres inattendus (Robot and Frank, Francine, Compliance).
Prévisible, Les Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin en est sorti grand vainqueur, raflant sur son passage le Grand Prix et le Prix de la Révélation Cartier. Que l’on ne se s’y trompe pas, ces deux prix sont largement mérités et viennent se rajouter à ceux du meilleur film au Festival de Sundance et de la Caméra d’Or au dernier Festival de Cannes. Les Bêtes est une œuvre unique en son genre. On en sort émerveillé, fasciné et même abasourdi par tant de beauté et d’émotions. Mais il ne faudra pas que ce film fasse de l’ombre aux autres longs-métrages présentés cette année et qui méritent eux aussi quelques éloges.
Parmi eux, Lucy Mulloy avec Una Noche est à ranger au côté des nouveaux talents. Prix du jury, la présidente Sandrine Bonnaire et ses compères ont courageusement récompensé une œuvre qui nous plonge dans les entrailles de Cuba où pauvreté, précarité et sexualité se côtoient avec effroi. On y suit le destin de trois adolescents qui vont tout tenter pour immigrer aux Etats-Unis. Sa jeune réalisatrice a mis près de cinq ans pour mettre en scène ce premier film qui a bénéficié de l’appui de Spike Lee. A l’image de son compère Benh Zeitlin, Lucy Mulloy s’est entièrement entouré d’acteurs non-professionnels dont les postures, visages et regards épousent la caméra avec justesse et vérité. Gage que ce film saura rapidement trouver un distributeur français car il le mérite amplement.
Le Festival de Deauville, c’est aussi ça : avoir la chance de découvrir des films étonnants en recherche de distributeurs. Parmi eux, les documentaires Gazzara de Joseph Rezwin et The Queen of Versailles de Lauren Greenfield méritent eux aussi de sortir sur les écrans français. Le premier est un précieux témoignage de l’acteur Ben Gazzara réalisé à la veille de sa mort. Proche de la catharsis cinématographique, cette rencontre entre l’acteur mythique de John Cassavetes et un réalisateur en manque de figure paternelle laisse songeur au fil des entretiens où se noue une relation précieuse entre les deux hommes. Des questions de vie et de mort qui dans un sens habitent aussi The Queen of Versailles où une famille de multimilliardaire se voit ruinée du jour au lendemain après la crise des subprimes. Un point de vu différent pour montrer les ravages de la crise actuelle qui a su toucher les plus pauvres comme les plus riches (dans une outre mesure bien sûr).
Lui aussi sans distributeur, Booster de Matt Ruskin bénéficie d’un des plus beau final du Festival. On regrette cependant une certaine contemplation dans cette histoire de survie où un délinquant s’engage à sauver de prison son frère aîné. L’ombre de Cassavetes plane à nouveau ici où la présence au générique de Seymour Cassel n’est pas si inopinée que cela. Plus académique, California Solo repose en grande partie sur l’interprétation de son acteur Robert Carlyle qui incarne un vieux rockeur écossais au passé sombre, dont le droit de résidence aux États-Unis se voit remit en question.
Après Cyrus des frères Duplass en 2010 et Terri d’Azazel Jacob en 2011, la « tragi-comédie né-contemporaine » américaine était de nouveau présente cette année avec Your Sister’s Sister de Lynn Shelton. Huit clos renfermé sur lui-même, le souci de ce mélodrame est de s’attarder bien trop longtemps sur les égarements d’un jeune looser amoureux de sa meilleure amie. Autre huis clos (mais dans le genre thriller), Compliance a divisé les spectateurs. On adhère au propos ou l’on se rétracte rapidement. Un film qui apparait davantage comme un exercice de style au récit grossier toutefois tiré d’une histoire vraie.
Sur quinze réalisateurs en compétition, deux provenaient de France avec des films tournés aux États-Unis. De Los Angeles à Brooklyn, il n’y a qu’un pas. Dans Wrong, Quentin Dupieux use de l’absurde à haute dose dans une Californie désenchantée tandis que Michel Gondry prend le bus à New York avec la naïveté qu’on lui connait dans The We and The I. Comme quoi, l’amitié franco-américaine est bel et bien assurée !
Autre surprise du Festival, l’étrange documentaire Room 237 déjà présenté à la Quinzaine des Réalisateur au dernier Festival de Cannes. Dans cette enquête mystique, le réalisateur revient sur les mystères entourant Shining de Stanley Kubrick. Son réalisateur Rodney Ascher use d’un montage des plus énigmatique pour nous montrer les détails subliminaux qui jalonnent l’œuvre du cinéaste. Original et qui laisse à méditer longtemps après sa projection.
Au final, cette 38ème édition aura su présenter une Amérique bien moins sombre et violente que les années précédentes. Est-ce l’effet Obama ? A la veille des élections américaines, l’espoir caractérise en tout cas la majeure partie des films en compétition. L’espoir d’une nouvelle génération de cinéaste talentueux dont Deauville reste et demeurera pour toujours une majeure plateforme de soutien au cinéma indépendant américain. A l’heure où la suprématie des Festival de Venise (Paul Thomas Anderson, Terrence Malick, Brian de Palma cette année) et de Toronto (les frères Wachowski, Ben Affleck et Rian Johnson de son côté) s’annonce de plus en plus dangereuse, la survie de Deauville est aujourd’hui indispensable. Long live Deauville !
Edouard Brane
Twitter : Cinedouard
A découvrir :
– L’afterclip 2012
– Le palmarès du Festival
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