12 Years A Slave – drame avec Chiwetel Ejiofor
12 Years A Slave De Steve McQueen Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender et Benedict Cumberbatch Durée : 133 min. |
Sortie le 22 janvier 2014
Après Hunger et Shame, Steve McQueen, artiste plasticien et cinéaste engagé, réalise un nouveau portrait sans concession de l’oppression sociale érigée en système, à travers l’un des sujets les plus douloureux de l’histoire humaine : l’esclavage. Aussi sublime dans le fond que dans la forme. 1841. Solomon Northup est un homme libre, père de famille respecté, musicien acclamé, qui vit confortablement dans l’état de New York, où l’esclavage est depuis longtemps aboli. Il est un jour séduit par l’offre d’emploi alléchante de deux saltimbanques, qui lui proposent de relever le niveau des accompagnements musicaux d’un cirque à Washington. Mais à peine arrivé dans la capitale, il est drogué, battu et réduit en esclavage sous une fausse identité. Embarqué sur un négrier vers la Nouvelle-Orléans, il y est vendu sous le nom de Platt à un planteur qui le traite avec décence. Toutefois, l’éducation de Northup / Platt lui joue des tours, et pour sa propre survie, il est bientôt revendu à Epps, un homme cruel et violent, « qui se vante de briser les esclaves » et les épuise tout le jour dans ses champs de coton. Solomon restera prisonnier durant douze ans de cette vie dépourvue d’espoir. Ce qui frappe tout d’abord l’œil du spectateur à la vision de Twelve Years A Slave, c’est le rapport matiériste de Steve McQueen à l’image. La flamme d’une bougie, la chair meurtrie, une lueur d’espoir qui traverse un regard, existent à l’écran grâce à l’acuité de la caméra qui scrute la peau, les sentiments et les moindres recoins du cadre. La lumière sublime fait de chaque image un tableau vivant où s’exacerbent les émotions : la violence implacable des trafiquants de chair humaine qui ne voient dans le corps de l’Autre qu’une marchandise rentable ; l’angoisse qui sourd des paysages luxuriants qui barrent l’horizon, signifiant l’impossibilité de toute échappatoire, car il n’y a pas l’ombre d’un espoir dans un état esclavagiste ; le réconfort que l’on peut tenter de trouver dans la musique, même s’il est dérisoire. La violence, de même que l’oppression esclavagiste, est autant symbolique que physique. L’une des scènes les plus brutales du film est alors, paradoxalement, celle dans laquelle un violon est brisé, car dans chaque éclat retentit un cri de désespoir. Anciennement artiste plasticien, Steve McQueen est désormais un cinéaste engagé, qui depuis Hunger met son sens de la construction visuelle au service d’un cinéma de combat, dénonçant diverses formes d’oppression sociale. Avec Hunger, il avait fait de son acteur fétiche Michaël Fassbender l’incarnation d’un Bobby Sands jusqu’au-boutiste, plus vrai que nature. Dans Twelve Years A Slave, il a cette idée à la fois simple et perturbante de recourir au même Fassbender pour personnifier le système oppresseur, quand Chiwetel Ejiofor est une victime de persécution bien moins absolue dans sa déclaration de résistance. Le contraste en est saisissant et se répercute dans le dialogue, où un « Je veux survivre ! » fait rapidement écho au « Je ne veux pas survivre, je veux vivre » des débuts. Bien au-delà de la question de l’esclavage, le cinéma résistant de Steve McQueen pose alors une question intemporelle de justice : que reste-t-il de l’humanité lorsqu’on érige en système social un précepte inhumain ? La force de la réponse proposée par Steve McQueen vient du fait qu’il ne fait de concession ni à l’esthétique cinématographique (bien que son film soit très cinégénique) ni au pamphlet (bien que son film soit fortement pamphlétaire) mais trouve un gracieux équilibre entre les deux. Le bouleversement provoqué par Twelve Years A Slave n’en est que plus profond. Et si le cinéma est bel est bien l’art du présent, celui de Steve McQueen ne nous laisse pas oublier un passé, hélas pas si lointain, qui a laissé des stigmates profondes dans la société contemporaine. (Le Ku Kux Klan étant par exemple né de l’abolition effective de l’esclavage aux Etats-Unis, suite à la fin de la Guerre de Sécession, en 1865 et la France ne l’ayant réellement aboli qu’en 1848, sous la monarchie de Juillet, après que Napoléon l’ait rétabli). Plus ou moins paraphrasé par Elie Wiesel, Winston Churchill avait déclaré « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Ainsi, si le travail de mémoire effectué par Steve McQueen trouble le spectateur d’aujourd’hui, ce n’est que pour mieux rappeler l’humanité à ses devoirs. Un trouble salutaire pour un film magnifique. Raphaëlle Chargois [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=0uGjQCg4TlY[/embedyt] Oscars 2014 (2 mars)
Golden Globes 2014 (12 janvier)
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