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WOSE : “Regarder au-delà de ce qui est donné à voir”

© Martin Morda-Cotel

Rencontre avec l’artiste peintre parisien Simon Morda-Cotel, plus connu sous le nom de WOSE. Son travail nous dévoile un profond sens de l’harmonie : entre perspective, espace pictural, illusion d’optique et architecture. Oscillant entre différents médiums de création, il nous invite à nous perdre dans les détails, les textures et les transparences.

Pour commencer, pourquoi « WOSE » comme nom d’artiste ?

Eh bien, je suis tombé dans le graffiti quand j’étais au collège et lorsqu’on a 15 ans, on est parfois en quête d’un blaze, d’une identité. C’est en feuilletant des magazines et autres « blackbook » de graffeurs que j’ai trouvé mon nom d’artiste. Les lettres étaient harmonieuses et s’enchevêtraient bien. Il y avait quelque chose de dansant dans le W, puis suivait la courbe du O… C’était la naissance de WOSE. C’est dans un second temps que l’entité a migré pour devenir WOSE HERE, tel un pense-bête que l’on peut entrevoir comme « je suis passé par là ».

WOSE HERE, 2019 acrylique sur béton 600x250cm

Enfant, que rêvais-tu de faire plus tard et comment as-tu rencontré la peinture ?

J’ai longtemps voulu devenir journaliste sportif. J’ai même eu la chance de rencontrer Nelson Monfort qui un jour m’a dit « si tu veux être journaliste mon grand, travaille les langues ! ». Alors au lycée, je me suis orienté vers une seconde européenne, pour finalement consacrer la majeure partie de mon temps à taguer sur les tranches des tables de cours. Après mon bac, je me suis orienté vers une faculté d’arts à Amiens mais les bombes de peinture et les usines désaffectées ont vite pris le dessus. En intégrant la Haute Ecole des Arts du Rhin l’année suivante, j’ai réalisé l’importance qu’allait avoir l’histoire de l’art dans ma construction personnelle. J’y ai passé 5 années merveilleuses et inspirantes, très bien entouré au rythme des cours théoriques et des ateliers pratiques. J’ai vite réalisé que j’étais fait pour cette vie d’atelier faite d’expérimentations. C’est devenu évident que ce serait la peinture et pour toujours.

Les lignes, proches d’une forme d’écriture, sont au cœur de tes œuvres. D’où tiens-tu cet attrait ?

Dans l’univers créatif des Beaux-Arts, j’ai développé une esthétique graphique faite de lignes et de perspectives. L’effervescence des ateliers et le regard avisé de mes professeurs ont aiguisé ma curiosité. C’est ainsi que j’ai découvert le travail de Georges Rousse, un photographe et plasticien français. Il réalise des installations spatiales prenant la forme d’illusions d’optiques qu’il matérialise ensuite par la photographie : c’est ce que l’on appelle des anamorphoses. Je me suis intéressé à tout ce qui est visible en hors champ dans ces installations : à ces lignes, ces perspectives rétablies et ces cassures que j’aime appeler « diffractions ». En parallèle, je continuais mes vagabondages dans les friches industrielles. Je portais un intérêt particulier à l’esthétique de la ruine et plus précisément aux ombres portées des poutres et des charpentes. Je crois que ça s’est naturellement transposé dans mes compositions sur toiles ou sur bois, en gravure et en sérigraphie. Je me suis ainsi détaché peu à peu du lettrage traditionnel du graffiti pour investir la tridimension de manière géométrique.

1m2 dans l’espace, 2016, technique mixte, dimensions variables Haute Ecole des Arts du Rhin

Peux-tu nous dire comment tu procèdes techniquement et matériellement lors de tes créations ?

La technique diffère vraiment selon le médium : que ce soit une toile, une installation ou un mur d’une dizaine de mètre de haut… C’est le scotch qui me permet de cultiver la rigueur de la ligne et c’est par système de pochoirs que je construits les différents plans qui structurent mes compositions. Le scotch m’aide à façonner un travail de tension entre les pleins et les vides, les dynamiques et les respirations. Je développe une pratique délicate et sensible à la couleur par construction de couches successives. En allant fouiller dans les profondeurs de l’abstraction, j’expérimente une peinture faite d’aplat et de textures imparfaites qui viennent accentuer l’idée de profondeur. L’acrylique me permet d’aller chercher la justesse de la couleur et l’aérosol de glisser vers des transparences. Je travaille essentiellement au rouleau et au pinceau même si en peinture j’aime expérimenter avec des outils qui n’ont rien à voir avec l’histoire de l’art comme des raclettes, de l’abrasif ou des vaporisateurs. C’est cette recherche d’atelier qui me permet d’aller plus loin dans l’abstraction géométrique et de pouvoir ainsi transposer sur mur et dans l’espace public ce que je fais habituellement sur toiles.

Comment choisis-tu tes mariages de couleurs ?

C’est drôle qu’il y a certains artistes qui sont connus pour une couleur spécifique : je pense à Yves Klein et son célèbre IKB ou encore à Pierre Soulages pour le noir. Je crois ne pas être attiré par une couleur en particulier mais plutôt vouloir tenter d’embrasser un spectre assez large pour ensuite resserrer, notamment dans une série de toiles intitulées « Presque monochromes ». Ce qui m’intéresse ici, c’est de réduire ma palette pour me concentrer sur des camaïeux très proches les uns des autres et ainsi complexifier l’appréhension globale de l’œuvre. J’aime les faux semblants et j’adore quand les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Il m’arrive de faire la comparaison avec le sport comme au football par exemple, lorsqu’un joueur met un « presque but » c’est tout sauf un but. Finalement, avec le monochrome c’est pareil. Ce qui m’intéresse c’est ce rapport sensible à la couleur, cette deuxième relecture qui va nous permettre de rentrer différemment dans l’œuvre. Pour le mariage des couleurs, j’expérimente de façon intuitive. Il y a un artiste américain, Joseph Albers, qui disait : « Choisissez une couleur que vous n’affectionnez pas particulièrement, travaillez-la une semaine, un mois, et vous verrez que vous allez l’adorer. » Ce fut le cas avec la découverte de certaines couleurs. Des fois, les associations font que ça marche, des fois ça ne marche pas. Il y a des mariages qui vont plaire et parler à certains, moins à d’autres. C’est ce qui fait tout le charme de la création.

Le commissariat d’exposition autour de tes œuvres semble très pensé et donne souvent une autre saveur au décor. Est-ce un travail de collaboration et peux-tu nous en toucher quelques mots ?

Je suis toujours à l’initiative de mes installations que j’aime concevoir et investir seul. C’est souvent le lieu qui dicte les règles du jeu, comme pour le graffiti d’ailleurs. Lorsque tu investis un mur, il y a toujours un angle, une poutre, du lierre ou un facteur x qui rentre dans l’équation : il faut tout prendre en considération. C’est ce rapport à l’espace qui m’a toujours intéressé et qui a notamment été mon sujet de mémoire. Je défends depuis une peinture non pas seulement visuelle mais habitable. Habitable dans le sens où on l’expérimente non plus avec ses yeux, mais avec son corps. J’aime le fait qu’on engage physiquement son corps dans une installation. Je me donne les moyens d’investir totalement des lieux du sol au plafond comme par exemple lors de ma dernière exposition intitulée « Inaperçu » en duoshow à la Villa-Tschaen de Colmar. C’est en marchant sur de l’ardoise en allant graffer un jour, que l’idée est apparue. Je souhaitais investir une des salles de la galerie de cette même couleur gris anthracite et jouant avec des éléments de mobilier et des résonances de matières et de textures. Puis le rouge m’est apparu évident afin d’apporter du contraste et affirmer l’idée d’une dualité. J’ai recouvert de peinture les murs et les plafonds initialement blancs ainsi que le parquet d’ardoise et de moquette pour que le spectateur soit amené à vivre une expérience immersive. L’univers monochrome de cette œuvre a été le résultat d’une observation, comme souvent d’ailleurs, et j’aimerais que ce soit une fleur qui définisse la couleur de ma prochaine installation.

Inaperçu, 2019, technique mixte, 600x500cm, Galerie Villa Tschaen

Les jeux d’ombre, d’espace et de perspective sont très visibles dans ton travail. L’architecture et/ou la photographie sont-elles un support d’inspiration pour toi ?

Je dois tout à l’architecture. Quand je regarde un bâtiment je le dissèque, j’observe ses courbes, ses lignes, ses perspectives. Et je me projette toujours dans l’espace pictural. J’ai fait beaucoup de photos d’architecture à une époque et je pense qu’inconsciemment elles raisonnent encore dans ma tête. Je ne m’appuie pas sur mes photos pour construire mes toiles mais j’ai en mémoire tout un tas d’images mentales d’architectures, froides, épurées, réduites à quelques lignes. Ça m’a aidé à construire intuitivement mon travail graphique.

Tu as réalisé plusieurs fresques murales grandeurs natures. Peux-tu nous en toucher quelques mots ?

Depuis quelques années, il y a un réel engouement autour de l’art urbain et de plus en plus de subventions sont accordées aux artistes, leur permettant d’investir des murs de plus en plus grands. J’ai la chance d’être invité sur des festivals ou d’avoir la possibilité de peindre des murs de plusieurs dizaines de mètres de long. J’ai par exemple été invité en janvier 2019 par l’association du Mur Mulhouse, à peindre le mur de la rue de la Moselle, où je me suis d’ailleurs vraiment bien gelé ! Mais c’était agréable de revenir dans cette ville chargée d’affects et d’investir ce mur qui est laissé à un nouvel artiste chaque mois. Je prends ça comme de belles opportunités pour tenter de nouvelles choses que je n’ai pas forcément la possibilité d’essayer à l’atelier. Ce ne sont pas les mêmes outils ni la même façon de procéder. Bizarrement je suis plus à l’aise sur un gros mur que sur une feuille A4. Finalement, le rapport de proportions est le même et je me sens plus libre en extérieur que sur petits formats. Ça m’arrive régulièrement de prendre mes rouleaux, ma peinture et d’aller dénicher un mur dans une friche ou un terrain et de me l’approprier pour un jour ou deux pour le plaisir de réaliser « une belle pièce »

Les bleus de WOSE, 2019, acrylique et aérosol sur mur, 4x11mLe MUR Mulhouse

Ta dernière création à l’acrylique faite sur une planche de skateboard dénote de tes dernières créations. Comment t’est venue l’idée de ce support artistique ? Le ready-made, le détournement d’objet serait-il une nouvelle orientation ?

Tout simplement car nous étions en plein confinement et mon fournisseur était fermé. Je me suis retrouvé à vouloir peindre avec ce qui me restait chez moi et je suis tombé sur une planche de skate que j’ai réussi à poncer. Je me suis dit que ça pourrait être un nouveau terrain de jeu à explorer. J’aime la culture de la rue et même si je n’ai jamais réellement skater, j’ai grandi avec le hip-hop et j’associe le skate a cette mouvance à l’instar du break-dance. Je me suis toujours dit qu’un jour j’aimerais peindre une « board » et là c’était l’occasion rêvée. En ce moment je travaille dans une gamme de rouge/orangé. Une fois le skate peint, j’ai imaginé un cocktail qui puisse se marier avec les couleurs de la planche. J’ai chiné une recette que j’ai twisté avec de l’orange pour obtenir une création originale que j’ai intitulé le « Blood Orange Bramble ». J’aime faire des allez retours entre l’histoire classique de la peinture comme la toile et d’autres supports de récupération qui, une fois investis, apportent quelque chose de nouveau.

Blood Orange Bramble, 2020, acrylique sur planche de skate, 19x78cm

Blood Orange Bramble, 2020, acrylique sur planche de skate, 19x78cm

Hormis l’art plastique, as-tu d’autres passions ou pratiques artistiques ?

Eh bien le cocktail, depuis peu ! J’avoue que je me suis fait une formation en accéléré durant cette période de confinement. Un jour je peignais dans un bar, une amie est venue me voir et je lui ai demandé si elle voulait boire quelque chose. Elle m’a répondu « un verre de vin », C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que si elle m’avait répondu autre chose, j’aurai été incapable de lui servir quoi que ce soit ! J’ai passé 6 mois à Barcelone à fréquenter notamment l’Atipico, un endroit insolite où je donnais parfois un coup de main à mes potes derrière le bar. Hormis le Mojitos ou la Caïpirinha, je n’ai jamais su diversifier ma palette… J’ai profité du confinement pour essayer des nouveaux trucs et sortir des basiques. C’est comme en gastronomie, quand on dresse une belle assiette il y a une histoire de compositions, de couleurs. Un cocktail, c’est un peu pareil. Je suis en train de réfléchir à une exposition où la « mixologie » serait au cœur de mon dispositif pictural. C’est aussi ça l’art contemporain, le métissage entre différentes pratiques. Il faut être curieux de tout, apprendre sans cesse pour ouvrir de nouvelles passerelles.

Si tu devais choisir une série parmi tes œuvres qui reflète le plus symboliquement ton geste et ta visée artistique, quelle serait-elle ?

Mon travail se lie dans son intégralité : les séries se lisent séparément même si une fois reliées elles forment un tout, une entité indissociable. En l’occurrence je pense à ma dernière série qui s’appelle « Sous-ensemble » : une série de craques qui sont des fissures blanches. C’est ma dernière série, donc s’il devait y en avoir qu’une ce serait celle-là car elle est au plus proche de mes préoccupations du moment. J’ai d’ailleurs écrit un joli texte pendant le confinement là-dessus :

J’investis des questions essentielles : la crise économique, la fracture sociale, les ruptures amoureuses et le mensonge qui les façonnent. Dans cette série, la fragilité, le risque sismique des villes parfois construites sur des failles ou encore la fonte des glaces, sont autant d’images métaphoriques qui m’amènent à penser qu’une brèche peut souvent dissimuler un problème plus profond qu’il en a l’air. A l’instar de la face cachée d’un iceberg, « sous-ensemble » est une série qui nous amène à regarder au-delà de ce qui est donné à voir.” Simon Morda-Cotel

Retrouvez-le sur son Instagram.

Propos recueillis par Joséphine Roger  

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