“Woke” de Virginie Despentes ou l’avenir sur une scène de théâtre
Baise-moi, King-Kong théorie, Vernon Subutex… Lorsqu’on pense à Virginie Despentes, c’est la littérature punk, les mots engagés, l’écriture politique qui nous viennent à l’esprit. Et on ne va pas vous contredire, cheffe de file d’un mouvement féministe, l’autrice détient une carrière d’écrivain retentissante. Mais pour la première fois, c’est sur une autre discipline que notre activiste s’est penchée : la mise en scène. En co-écriture avec Julien Delmaire, Anne Pauly et Paul B. Preciado, Virginie Despentes monte la pièce de théâtre “Woke”, jouée au Théâtre du Nord de Lille la semaine du 12 mars.
Et tout de suite, quelque chose attire votre attention. “Woke” ? Comme le mouvement wokisme ? Ce mot, fierté pour les nouvelles générations et insulte méprisante pour leurs parents ? Pour ceux que Twitter aurait épargnés, voici la définition :
Le wokisme vient de l’anglais “woke”, soit “éveillé”. Ce mouvement encourage à rester vigilant sur l’ensemble des inégalités sociétales et raciales auxquelles nous sommes confrontés, et de les dénoncer. Bien que le principe ait été créé dans les années 60 aux États-Unis, il a réellement été popularisé il y a une dizaine d’années lors du mouvement Black Lives Matter, avec leur slogan “Stay Woke”. La pièce de Virginie Despentes s’inscrit dans la même continuité : dénoncer les abus pour mettre en lumière les minorités.
Après le théâtral «”bienvenue, spectateur, spectatrice, et au reste du monde”, la lumière s’allume. Sur la scène, nous découvrons quatre personnages : Clay, Juliette, Suzanne et Joachim. Ensemble et grâce à une écriture commune, ils ont la charge de monter une pièce de théâtre, qui se doit d’être “révolutionnaire”. Chacun à sa façon et avec des traits de personnalité bien marqués, les quatre comédiens sont en fait les alter egos des écrivains initiaux de la pièce.
Leur création est houleuse et complètement décousue : on ne sait par quoi commencer, on a envie de tout faire, on est capable de rien faire, on a envie de tout sauf d’être ici, on a besoin d’être seul, de crier, de disparaître, d’aimer. Peut-être juste, d’être en vie ? Et d’être libre ? Et ce sera le sujet de la pièce : la liberté de s’exprimer. À la lecture de ces mots, vous hochez la tête : être indépendant dans sa création, voilà un sujet poétique, un thème parfait pour une création dramatique des plus raffinées !
N’oubliez pas que vous êtes face à une pièce de Virginie Despentes… Il ne vous faudra donc pas attendre plus de quinze minutes pour voir la scène s’enflammer, les lumières s’affoler, et le volume sonore exploser vos tympans. Pour réussir à acquérir une vision intégrale de la pièce, minimum trois essais sont nécessaires. Et pour cause : la densité de la mise en scène : salle de bureau, chambre, salle de danse, scène de one-man-show, univers onirique… Avec Woke, l’autrice rockeuse s’est transformée en magicienne.
Bien loin de négliger le fond pour la forme, un scénario parfaitement rodé accompagne ces merveilles visuelles : Clay, Juliette, Suzanne et Joachim, tour à tour, se retrouvent face à un monologue intérieur. Comment leur statut de minorité les affecte-t-il ? Avec quel prisme veulent-ils raconter le poids de l’oppression, du jugement ?
Pour donner une palette d’émotions la plus large possible, l’auteure a fait le choix de faire interpréter par ce qu’elle va appeler des « personnages » chaque cas de conscience. Tour à tour, nous découvrons alors les « amis imaginaires » des acteurs, qui les guident depuis le début de leur vie.
Politique, engagée, drôle, vivifiante, la pièce Woke réveille les plus endormis, secoue la conscience des plus frigides, et offre enfin au mot “Queer” la beauté qu’il représente.
Aglaé Girard
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