Victoria Mann : “La scène contemporaine à laquelle nous nous intéressons dépasse les limites géographiques”
Unique foire d’art contemporain et de design dédiée à l’Afrique et ses diasporas en France, AKAA (Also Known As Africa) se tiendra du 12 au 14 novembre 2021 à Paris. À cette occasion, nous avons rencontré Victoria Mann, fondatrice et directrice de cet événement devenu incontournable pour les collectionneurs, professionnels et amateurs d’art contemporain.
En tant que directrice de la foire, pourriez-vous nous dévoiler les spécificités de cette sixième édition, en termes de programmation et de direction artistique ?
Si la dimension commerciale est au cœur de l’événement – il s’agit d’abord et avant tout d’une foire d’art contemporain – elle s’accompagne toujours d’une programmation culturelle. Dès l’origine de cette manifestation, notre volonté était de mettre en lumière, tout en donnant des clés de compréhension, les scènes contemporaines artistiques du continent africain et de ses diasporas. C’est par l’échange et le dialogue que nous pourrons venir à bout des clichés encore associés à la notion d’art africain, largement méconnu en occident jusque récemment. De multiples événements se sont tenus au cours de la dernière décennie, auxquels furent associées nombre d’institutions culturelles. Qu’ils s’agissent de festivals, d’expositions, ou de rencontres, ces évènements ont contribué à mieux faire connaître l’Afrique sur le plan culturel.
Au travers de sa programmation, AKAA présente lors de chaque édition une thématique servant de fil rouge à sa direction artistique. Galeries et exposants participent à cette programmation culturelle et les artistes eux-mêmes sont invités à ce dialogue. Dans un objectif d’intérêt général de diffusion des savoirs, ce programme culturel est en accès libre. Alors que nous nous relevons tout juste de l’année 2020, cette ouverture au public est particulièrement importante. Des tables rondes, conversations avec les artistes, signatures et présentations d’ouvrages sont prévues. Encore une fois, cette approche culturelle est cruciale.
Quelle thématique culturelle justement, pour cette année 2021 ?
Cette année fait suite à l’expérience d’un temps latent et d’une attente contrainte. Comme un écho à 2020, le thème de cette sixième édition s’inscrit autour de la résilience et du temps. Avec la pandémie, nous nous sommes tous soudainement retrouvés avec du temps disponible et la question sous-jacente : qu’en faire ? C’est sur cette question du rapport au temps que nous avons souhaité interroger les artistes cette année.
Dans cette optique et pour la première fois, un livre d’art est associé à la programmation culturelle. Intitulé À rebrousse-temps, il est une invitation à repenser la temporalité. L’ouvrage qui réunit les contributions de trois auteurs, porte sur le travail de dix-sept artistes dans leur relation au temps et l’empreinte que celui-ci laisse dans leur création plastique. Ce temps est aussi celui d’une mémoire collective, de la tradition, de l’héritage et des enseignements transmis par nos ancêtres. Autant de filiations qui constitueront la trame de ce livre. En interrogeant les artistes sur leur rapport au temps, cette publication est aussi l’occasion de participer à l’écriture d’une histoire de l’art contemporain d’Afrique.
Vous préférez la notion d’art contemporain d’Afrique à celle d’art contemporain africain. Pourquoi cette distinction est-elle si importante ?
Dès l’origine, et même si cela peut sembler paradoxal, AKAA a cherché à exclure la notion de géographie. Elle n’est pas en cela une foire d’art contemporain africain. Cet adjectif lui-même ne veut rien dire. L’Afrique regroupe 54 pays, autant de cultures et d’identités culturelles différentes. Impossible, au sein de ce continent, de réunir les artistes sous une seule et même bannière.
La scène contemporaine à laquelle nous nous intéressons dépasse les limites géographiques. Ce qui importe pour chaque artiste, c’est son lien revendiqué au continent. Nous cherchons par là à proposer une nouvelle carte de l’art contemporain international dont l’Europe et les États-Unis ne seraient plus le centre. Élaborer une nouvelle carte et placer l’Afrique en son centre, voilà notre ambition, pour pouvoir créer des liens, susciter le dialogue au cœur de ce nouveau pôle. Qu’importe le lieu de naissance, la nationalité. Nous nous attachons à reconnaître qu’il existe des scènes artistiques plurielles, à une époque où l’art contemporain porte de plus en plus sur une approche individuelle à la création. Il est ainsi plus juste de parler d’art contemporain d’Afriques, au pluriel.
Cela signifie-t-il que les artistes présentés ne sont pas tous nécessairement d’origine africaine ?
Cela suppose en effet d’inclure des artistes de toute origine, proposant un travail en lien avec le continent africain. Des artistes français, italiens et américains seront présents sur les stands de cette sixième édition. Tous portent un regard singulier sur l’Afrique. Il s’agit de reconnaître et d’accueillir dans toute sa diversité ce que signifie “représenter l’Afrique” et ce sans s’enfermer dans un point de vue strictement géographique. Au gré des séjours et collaborations, d’intérêts individuels marqués pour les cultures africaines, nous rencontrons des narrations différentes que nous nous efforçons de représenter. Ce qui importe, c’est d’amener des perspectives différentes dans la façon de raconter l’Afrique et de décloisonner les narrations.
Cette année, la foire AKAA se tiendra au même moment que Paris Photo : hasard de calendrier ou volonté de faire coïncider ces deux évènements ?
Au moment de la création de la foire s’est posée la question de son positionnement dans un calendrier toujours plus chargé de manifestations culturelles et nous avons pris le parti de nous caler sur un événement majeur dans le calendrier culturel parisien, à savoir Paris Photo. Cette concordance s’est révélée très positive, en offrant l’opportunité à certains exposants de mettre en avant des photographes du continent africain auprès d’un public acquis à ce mode d’expression. AKAA n’est pas pour autant une foire photo, et cela n’a jamais été sa vocation.
Il y a quelques années encore, on observait un cloisonnement des publics et les visiteurs d’un salon photo n’auraient pas forcément eu cette curiosité pour d’autres formes artistiques. Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir observer une circulation des publics beaucoup plus fluide entre ces différentes manifestations artistiques.
Pour cette sixième édition, la photographie sera représentée mais non majoritaire. Nous refusons d’adopter une approche spécialisée. Cette deuxième semaine de novembre doit plutôt être envisagée et appréciée à l’aune de la richesse de sa programmation culturelle !
AKAA a fait figure de pionnière dans sa mise en avant de la création africaine. Au regard d’un succès croissant, de l’engouement du public comme des professionnels du marché de l’art, AKAA va-t-elle rester une foire de découverte ?
Certainement ! Il s’agit avant tout d’un positionnement conscient. AKAA s’est construite dès l’origine sur son identité de défricheur, comme un relai de nouveaux talents. Ce qui ne signifie pas qu’elle ne représente pas aussi des artistes cotés.
Il existe toute une jeune génération d’artistes qu’il est important de montrer, et qui trouve facilement sa place dans une foire comme AKAA – celle d’un marché en développement, encore en construction, où ils pourront se faire un nom. Il est essentiel de savoir conserver une certaine fraîcheur, liée à la découverte de nouveaux talents.
AKAA n’est pas une foire de spéculation et son public va du collectionneur averti au visiteur spontané, capable d’acheter sur un coup de cœur. Ce mélange est essentiel. À chaque édition, il est important de pouvoir offrir une sélection de nouveaux artistes et de jeunes galeries, aux côtés de galeries bien établies et d’artistes plus renommés. C’est une dynamique importante, un équilibre fondamental qui contribue à l’identité de cette foire.
À la veille de l’ouverture de cette sixième édition, quel serait pour vous le mot d’ordre ?
Après une année 2020 qui a mis notre énergie et notre motivation à rude épreuve, nous avons besoin de nous retrouver, et de rassembler à nouveau les communautés artistiques. Les artistes ont obtenu des visas pour nous rejoindre depuis l’Algérie, la République Démocratique du Congo, ou encore l’Afrique du Sud… Chose inenvisageable il y a encore quelques mois seulement. Le monde rouvre, enfin ! Nous avons besoin de cette présence physique et de proximité avec les œuvres. Ce sont ces interactions qui font de nous des êtres humains. Cette volonté de retrouvailles est au cœur de mes attentes pour cette sixième édition.
Propos recueillis par Aurélie Kahn
INFOS PRATIQUES
AKAA
Du 12 au 14 novembre 2021
Au Carreau du temple – 4 rue Eugène Spuller, 75003 Paris
Billet journalier : 11 € à 16 € | Pass 3 jours : 23 € à 38 € | Rencontres AKAA en accès libre
https://akaafair.com/
Articles liés
“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune
A dix-sept ans, Yasser, le frère de Rabih Mroué, subit une blessure qui le contraint à réapprendre à parler. C’est lui qui nous fait face sur scène. Ce questionnement de la représentation et des limites entre fiction et documentaire...
“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins
Victor l’a quittée. Ils vivaient une histoire d’amour fusionnelle depuis deux ans. Ce n’était pas toujours très beau, c’était parfois violent, mais elle était sûre d’une chose, il ne la quitterait jamais. Elle transformait chaque nouvelle marque qu’il infligeait...
La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”
Raconter la vie d’une femme dans sa poésie propre, de l’enfance à l’âge adulte. En découvrir la trame, en dérouler le fil. Les mains féminines ont beaucoup tissé, brodé, cousu mais elles ont aussi écrit ! Alors, place à leurs...