Musée du Louvre – Titien, Tintoret, Véronèse… Rivalités à Venise
C’est avant tout par l’art du portrait dont l’iconographie et le style sont largement renouvelés par Titien que les artistes vénitiens se distinguent. L’exaltation de la beauté au travers de la figure féminine n’en est pas moins une thématique riche de renouvellement auquel Titien, encore lui, confère un caractère clairement érotique. Quant à l’interpénétration du sacré et du profane dans la peinture, Véronèse s’en montrera le maître incontesté au risque de s’attirer les foudres de l’Inquisition. C’est avec le thème issu de la philosophie humaniste concernant la supériorité de la peinture sur la sculpture que les artistes montrent leur totale adhésion à l’aphorisme horacien de l’Ut Pictura Poesis. De même, ils s’appliquent à souligner la forte imprégnation des idées de la Contre Réforme qui les poussent à produire un art plus intériorisé, plus dramatique car plus proche de la souffrance des hommes.
© Tarquin et Lucrèce, Titien vers 1568-1571, Cambridge, prêté par The Syndics of the Fitzwilliam Museum, 914
À chacun de ces thèmes, Titien, Tintoret et Véronèse répondent à la fois par un style très personnel et une conscience incisive des innovations de chacun. Au génie inventif et toujours renouvelé de Titien, s’exerce le génie dynamique de Tintoret et celui plus décoratif de Véronèse, première piste pour une reconnaissance directe du style de chacun.
Mais n’oublions pas que ces artistes s’appuient sur un socle commun qui caractérise précisément la peinture vénitienne du XVIème siècle, celle de l’opposition majeure entre Colorito et Disegno, entre le style pictural et le style linéaire. Car, au travail de la ligne, à la netteté des contours et des coloris d’un Raphaël ou d’un Bronzino, va succéder un travail plus subtilement nuancé de la couleur sans délimitation rigoureuse des contours. Les objets ne s’isolent plus nettement mais s’unissent à l’espace qui les entoure dans un continuum modelé par les effets de la matière. C’est là qu’intervient de façon plus évidente qu’avant, le style de l’artiste, son coup de pinceau, sa trace, que l’utilisation de la peinture à l’huile et de la toile vont contribuer à exacerber et autonomiser. Le principe évolutif de l’acte créatif est dès lors associé à l’idée de Natura Naturans. L’esquisse n’est plus le seul champ de la réflexion créatrice comme la concevait Léonard de Vinci à travers ses dessins préparatoires. Bien au contraire, elle fait partie intégrante de l’acte de peindre. Le non-fini, la touche apparente contribue à l’expressivité de l’œuvre et aiguillonne l’imagination du spectateur qui participe à son achèvement. Avec Titien, Tintoret et Véronèse, la matière picturale utilise ses propres ressources, affirmant nettement la prééminence de l’art sur la nature.
Titien (1488 – 1576) n’a de cesse de renouveler l’iconographie dans un style nouveau qui fascine ses contemporains. En travaillant la syntaxe de l’image et la somme des éléments qui la composent, il concourt à fonder l’exemplarité du modèle. Il magnifie l’emploi de la couleur qui n’est plus une simple référence au réel mais plutôt une texture qui se plie aux exigences de l’espace pictural dans lequel interviennent les effets de la lumière. Il n’y a qu’à observer Tarquin et Lucrèce peint vers 1488-1490 pour le roi d’Espagne Philippe II pour saisir toute la richesse de la palette de l’artiste.
© Tarquin et Lucrèce, Tintoret, vers 1580. Chicago, The Art Intitute. Art Institut Purchase Fund, 1949.203
Tintoret (1518 – 1594), plus tempétueux, comme le décrit l’historiographie, se targue de posséder « le dessin de Michel Ange et la couleur du Titien ». De fait, à observer l’élongation quasi maniériste des figures qui animent ses toiles, comme dans le Saint Jérôme pénitent peint vers 1571-1572, on ne peut qu’admettre son admiration pour l’expressivité puissante du modelé michelangelesque et l’art maniériste d’Italie centrale. Contrapposto, puissance musculaire des corps, pivotement de la tête, expression pathétique, tension du coup, alliés à une composition dynamique, toute en tension concourent au tragique comme nous le montre sa propre version de Tarquin et Lucrèce peint vers 1580.
Quant à Véronèse (1528 – 1588), il s’accommode d’une peinture à la poésie plus colorée, plus sereine et harmonieuse où fusionnent avec grâce les notions d’histoire sacrée et de scène de genre dans une architecture souvent caractéristique de son goût pour l’art classique de Bramante. Les tons pastels dominent dans des compositions baignées d’une douce lumière obtenue à l’aide de savant glacis ou s’expose le plaisir évident d’associer au thème principal une foule anecdotique de personnages si nombreux parfois que le sujet premier du tableau devient lui-même l’anecdote, comme dans Les Pélerins d’Emmaüs, peint vers 1555-1560 et conservé au Louvre.
C’est bien souvent la conjonction de plusieurs facteurs qui permettent l’éclosion d’un art capable d’insuffler des voix nouvelles aux chemins de la création. Venise, l’une des plus grandes villes d’Europe à l’époque, la plus riche sans doute, concentra en son sein aussi bien le mécénat privé, qu’ecclésiastique et institutionnel. Une nébuleuse de talents artistiques ne pouvait que s’y épanouir. Adoptant les techniques modernes de l’huile et l’utilisation de la toile plus propice à la conservation des œuvres en climat humide, se sont bien ces mêmes conditions météorologiques propres à la Sérénissime, qui préparèrent les peintres de Venise à leur exploration de la lumière et des formes si caractéristiques de l’art vénitien.
Karine marquet
Titien, Tintoret, Véronèse…Rivalités à Venise
Tous les jours sauf le mardi, de 9h à 18h, jusqu’à 20h le samedi et jusqu’à 22h les mercredi et vendredi.
Tarifs : Billet spécifique pour l’exposition Titien, Tintoret, Véronèse…Rivalités à Venise , 11 euros ; Billet jumelé (collections permanentes+exposition Titien, Tintoret, Véronèse…Rivalités à Venise), 14 euros avant 18h, 12 euros après 18h les mercredi et vendredi.
Musée du Louvre, Hall Napoléon
Métro Palais Royal – Musée de Louvre
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