Thomas Cheneseau : “Les artistes numériques questionnent les enjeux de leur temps”
Rencontre avec l’artiste Thomas Cheneseau qui a lancé un laboratoire de recherche, d’innovation et de création avec l’utilisation de nouveaux modes de production numérique, comme la réalité augmentée (AR) et la réalité mixte (MR).
Bonjour Thomas, peux-tu te présenter ?
Je suis artiste et je participe depuis 10 ans comme commissaire à la réalisation d’événements et d’expositions qui mettent en lumière les auteurs inscrits dans le mouvement “netart”. J’ai participé, entre autres, à la création du SuPer Art Modern Museum et réalisé l’exposition Unlike qui m’a été commanditée par le ministère de la Culture. J’ai étudié à l’École européenne supérieure d’art de Rennes et à l’EnsadLab de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris où j’ai commencé un doctorat (en pause aujourd’hui) sur les nouvelles problématiques de l’exposition dans la condition post-numérique. Je suis également intervenu plusieurs années pour des missions pédagogiques au Pôle Numérique de l’École des Beaux-Arts de Paris (ENSBA). Depuis 2015, j’enseigne la pratique des médias et l’histoire de l’art à l’École de design de Nouvelle-Aquitaine à Poitiers, où j’ai également lancé cette année un laboratoire de recherche, d’innovation et de création avec l’utilisation de nouveaux modes de production numérique comme la réalité augmentée (AR) et la réalité mixte (MR).
Qu’est-ce que “l’art numérique” pour toi ?
Le terme “art numérique” est pour moi trop restrictif et pas suffisamment signifiant puisqu’il réduit un mouvement à son outil de production. La notion d’art numérique est aussi datée et fait référence à une époque où le digital était privilégié par un petit nombre d’artistes. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, on parle de période post-numérique ou post-internet qui propose une autre approche du monde, avec ce postulat que pour les artistes comme pour la société, le digital n’est plus avant-gardiste mais une pratique intégrée car le réseau est partout, omniprésent comme une seconde nature, et transforme notre rapport au monde, à l’art et à ses pratiques. Cela implique aussi une prise en compte de la matérialité du numérique et de ses processus, après une période historique marquée par une idéologie de la dématérialisation. Pour revenir à la question, l’art numérique désigne un ensemble multiple de catégories de création utilisant les spécificités du langage et des dispositifs numériques, ordinateur, interface ou réseau. Il s’est développé comme genre artistique depuis les années 1960. Les artistes numériques utilisent les technologies pour s’exprimer, pour produire une grammaire et de nouveaux langages, pour questionner et soulever les enjeux de leur temps. Le netart est par exemple l’un des mouvements de l’art numérique.
Pourquoi, selon toi, les arts numériques ont-ils des difficultés à être considérés comme “légitimes” ?
Du point de vue de la pratique, il me semble que c’est de moins en moins le cas. Aujourd’hui, un bon nombre de plasticiens utilisent le numérique comme outil de production de leur époque, ou l’emploie ou le détourne comme un matériau singulier. Du point de vue du marché de l’art aussi les mentalités évoluent, de plus en plus d’œuvres dites d’art numérique sont acquises par des collectionneurs ou des institutions reconnues et la cote de certains artistes augmente sensiblement depuis les années 2000. Il existe en France, et plus largement en Europe, de nombreux festivals, événements culturels et expositions dédiés aux arts numériques, ainsi que des formations spécifiques comme au Fresnoy, ou encore à l’EnsadLab. L’art numérique est même une spécialité de l’agrégation en arts plastiques. En 2007 pendant mes études à l’École des Arts Décoratifs de Paris, j’ai fait un stage dans l’agence/galerie Numeriscausa, dirigée par Stéphane Maguet. L’ambition de la galerie était de confronter les arts numériques au marché de l’art et celle de l’agence de faire travailler des médias et des artistes avec des marques. Je me souviens qu’à l’époque, la communauté se posait beaucoup de questions concernant la conservation de ce type d’oeuvres, problématique toujours actuelle. C’était aussi la naissance des réseaux sociaux et de l’internet mobile qui ont contribué à démocratiser l’accès à la création numérique. Depuis, le métier a évolué et aujourd’hui c’est la galerie Charlot ou encore les galeries américaines TRANSFER et Bitforms qui ont pris le relai pour cette nouvelle aventure artistique. Il est vrai que comme pour l’art vidéo, quelques décennies semblent nécessaires avant que les œuvres numériques s’inscrivent et trouvent réellement leur légitimité dans la continuité de l’histoire de l’art.
En 2020, tu as été commissaire associé pour les 20 ans du festival accès)s( de Pau. Peux-tu nous raconter comment cela s’est passé ?
Il y a environ huit mois, lorsque Jean-Jacques Gay a pris la direction du Festival accès)s( à Pau, l’association accès)s( m’a invité à mettre en place une exposition virtuelle dont l’idée forte était de revenir sur 20 ans de création en ligne. J’ai assuré avec le soutien de Julien Bidoret, la réalisation d’un site internet qui rassemble dans cette vision historique, 20 œuvres web natives. La chronologie s’étend de 1996 avec le travail My Boyfriend Came Back From The War de l’artiste Olia Lialina, considérée comme l’une des premières oeuvres netart, jusqu’à 2020 avec e-XHIBITION d’Andy Picci, qui a réalisé pendant le confinement de mars dernier un accrochage dans un espace en réalité augmentée, uniquement accessible avec un filtre Instagram disponible sur son profil. Ma démarche a été d’apporter un complément artistique à l’exposition IRL Melting Point qui, dans l’espace du centre d’art Le Bel Ordinaire à Pau, rassemble de nombreuses personnalités de la création numérique française. XX apporte une dimension plus internationale. Le site internet a été pensé comme un portail qui accueille ou renvoie vers des œuvres en ligne aux formats multiples. L’exposition XX est accessible jusqu’en avril 2021, date de fin du festival.
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Tu as aussi lancé une sorte de résidence Instagram pour les artistes, peux-tu nous en dire plus ?
Je me suis inspiré d’une idée du Palais de Tokyo en 2018, #PalaisInstaResidency, qui n’a duré que quelques mois, et du projet Gallery Online que j’ai animé sur Facebook de 2012 à 2017. L’idée est d’inviter plusieurs artistes pour un “take over” du compte Instagram de la résidence pour y diffuser un projet artistique spécifique et partager les communautés de chacun, afin d’amplifier la visibilité au fur et à mesure des posts. Le principe est simple : l’artiste est libre d’utiliser toutes les actions disponibles, à l’exception da la suppression du compte. Les stories permettent d’archiver le travail de chaque invité. Cet espace de diffusion est un complément artistique de l’exposition Melting Point XX, avec l’envie de croiser plusieurs générations de créateurs et de faire connaître plus largement les projets portés par l’association accès)s( . Depuis septembre 2020, j’ai notamment invité Haydi Rocket, Anne Horel, Marina Vaganova, Stéphane Trois Carrés, Fabien Zocco, Aurélien Bambagioni, Marie Molins, Golnaz Behrouznia, Marianne Vieulès, Françoise Gamma, Pierre Pauze, Ben Elliot et Thomas Collet. Tout le monde peut candidater pour participer à cette résidence, en passant directement par un message sur Instagram.
Peux-tu nous parler de tes projets en cours et à venir ?
Je suis toujours dans l’optique de réaliser des projets collectifs sur le thème de l’art et des nouveaux médias. Dans une démarche plus personnelle, je m’intéresse au paysage et à ses modes de représentation dans un monde où le numérique couvre la quasi-totalité de la planète. J’aime mettre en tension la nature avec l’omniprésence du réseau, comme dans ma série photographique #NaturalGlitch débutée en 2016. Je vais régulièrement dans les Alpes et les Hautes-Pyrénées depuis plusieurs années, dans des espaces reculés des parcs naturels pour y saisir des centaines d’images, et j’ai réalisé des projets que je souhaite exposer prochainement en Nouvelle-Aquitaine. D’autre part, je suis très investi dans le laboratoire de design à Poitiers qui a vu le jour en juin dernier et pour lequel je planche sur l’écriture de plusieurs installations en réalité augmentée, dont une qui m’amène à revenir sur les fondements de la typographie et de l’enluminure. Je me suis associé au designer graphique Jean-François Guilberteau, spécialiste dans le domaine et propriétaire d’une presse typographique à cylindre du XIX siècle, pour le développement de cette future œuvre.
Retrouvez le travail de Thomas Cheneseau sur son site internet. La résidence d’artistes est à retrouver sur Instagram.
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Une exposition digitale à l’occasion des 20 ans du festival accè)s( Melting Point*
Propos recueillis par Anastasia Le Goff
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