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Succomber au syndrome de Stendhal avec Katrin Fridriks

28 juillet 2015
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Katrin Fridriks

Succomber au syndrome de Stendhal avec Katrin Fridriks

Katrin Fridriks est une artiste islandaise dont le travail s’inscrit dans une certaine abstraction mêlant explosivité organique et délicatesse de la calligraphie japonaise. Intriguée par les questions de dimension et portée sur le Beau, Katrin Fridriks explore le « syndrome de Stendhal » jusqu’au 22 novembre, au Palazzo Bembo, dans le cadre de la 56e Biennale de Venise. Quand elle ne court pas les foires à travers le monde, elle se consacre à la création dans ses deux ateliers, situés aux portes de Paris, entourée d’une solide équipe de collaborateurs qu’elle considère comme sa famille. Direction Saint-Ouen, Art Media Agency est parti à la découverte de cette artiste débordant d’une énergie volcanique…

Pouvez-vous nous dire un mot sur gene&ethics, votre installation à la Biennale de Venise ?

La Global Art Affairs Foundation et l’European Cultural Center disposent de deux palais à la Biennale de Venise et exposent des artistes aussi bien émergents que confirmés tels que Daniel Buren, Yoko Ono ou encore Roman Opalka. 63 artistes sont répartis sur les deux palais et mon installation est, quant à elle, présentée au sein du Palazzo Bembo. Elle consiste en une loupe géante dirigée vers une œuvre qui s’appelle gene&ethics. Le principe étant de confronter l’infiniment petit et l’infiniment grand tout en faisant participer le public sur la thématique du « Stendhal syndrome ». Ce syndrome est né en 1817 à Florence et correspond à la surcharge d’émotions que l’on peut ressentir lorsqu’on regarde une œuvre d’art. Stendhal l’avait décrit dans un de ses romans : lorsque certaines personnes sont exposées à trop de beauté, cela les rend malades.

D’où vient cette force, très présente dans vos œuvres ?

Je suis née en Islande puis, à l’âge de trois mois, je suis partie au Luxembourg. J’y suis très peu retournée depuis, mais mon entourage m’affirme que l’on sent vraiment que mes racines sont islandaises ! L’Islande est une île volcanique avec un glacier, c’est une terre de contrastes mue par une énergie puissante. C’est également un pays où la nature a un impact important car elle nous dicte nos modes de vie. Je suppose que ces éléments influencent l’esprit et la manière d’appréhender les questions d’environnement, de pollution et toutes ces problématiques de la vie actuelle. J’ai fait beaucoup de recherches en Islande de 2002 à 2005,  lorsque je me suis mise au land art. J’ai travaillé sur des rochers et des installations de nature. Tout le temps passé dans la nature à essayer de comprendre d’où vient cette énergie, c’était une manière de chercher mes racines, d’où je viens et qui je suis.

Qu’en est-il de la vie artistique en Islande ?

L’Islande abrite une petite population de 330.000 habitants mais on y trouve beaucoup d’artistes : des écrivains, des sculpteurs et même une scène musicale très vivante. D’ailleurs, bon nombre de new-yorkais viennent d’Islande. Paris et New-York sont séparés par six heures de vol et l’Islande se trouve à mi-chemin entre les deux. C’est un point de rencontre. Alors, même si l’île ne dispose pas de structures institutionnelles d’envergure équivalente, l’âme artistique est bien là. À Reykjavik, il existe quatre musées majeurs dont le Kjarvalsstaðir et l’Asmundarsafn. J’ai récemment eu une exposition collective au Kjarvalsstaðir, l’équivalent du Jeu de Paume à Paris mais en plus petit. C’est une institution dans le sens où des maîtres tel que Picasso y sont exposés.

Quels médiums travaillez-vous et quelles techniques mettez-vous en œuvre ?

Tout est question de liquidité, de jet et d’énergie. Pour réaliser cela, il faut se figurer Pollock jouant au golf… C’est du sport car il faut se concentrer tout en étant spontanée, sans crispation. J’utilise essentiellement de l’acrylique et du vinylique puis je créé mes œuvres avec plusieurs couches de techniques. Ensuite, tout est question d’équilibre car un jet qui dépasse peut tout casser.

De près, vous pouvez chercher une courbe au centre et vous vous éloignez progressivement pour voir de loin une autre structure. Cela donne l’impression de partir de l’infiniment petit et d’aller vers l’infiniment grand. L’idée de dimension compte beaucoup dans mon travail et c’est ce que l’on retrouve dans mon installation au Palazzo Bembo, avec la loupe. Lorsque vous observez d’un satellite ou d’une loupe microscopique, plus vous avancez et plus vous allez vers l’infiniment grand, vers le Big Bang, l’univers et in fine le début de tout. C’est pour cela que la pièce s’appelle gene&ethics, c’est un peu le début de l’Homme. Je conserve, d’ailleurs, ma première pièce à l’atelier. Elle est très particulière car elle a été réalisée avec un seul jet de technique. Cette œuvre représente le début de l’univers et j’ai dit à mon investisseur qu’elle ne sortirait pas de l’atelier !

Quand avez-vous commencé à peindre ? Quel a été le déclic ?

J’ai commencé à peindre assez tôt mais je dirais que ma pratique est devenue sérieuse à l’âge de 18 ans car je souhaitais alors devenir architecte. Cependant, je n’ai pas terminé mes études et je suis partie travailler. Ma pratique artistique a pris une tournure professionnelle en 2001 quand je m’y suis consacrée entièrement. En fait, mon beau-père est français et il parle 13 langues. C’est lui qui m’a incitée à apprendre une langue asiatique. J’ai alors opté pour le japonais car le Japon est très près de l’Islande sur différents plans comme la culture ou le fait que les deux pays soient des îles… J’étais fascinée par la manière qu’ont les Japonais d’écrire à l’envers avec des signes, par leur langage pictural. J’ai donc appris le japonais et c’est la calligraphie japonaise qui m’a amenée à la peinture. Aujourd’hui, je reviens à l’architecture en réintégrant les notions d’espace dans mon travail.

Vous travaillez en équipe…

Mélodie prépare la peinture, Cédric s’occupe des photos — tout est fait à plat alors l’appareil est important pour nous représenter l’œuvre dans l’espace —, Ernan gère les aspects techniques, Sylvain est le chef d’atelier et Émeline gère la logistique. La création a lieu au sous-sol puis tout est monté à l’étage pour y être photographié, verni, emballé et préparé à l’envoi. J’ai acheté cet atelier en 2012 et j’ai commencé à constituer une équipe en septembre. Il s’agit de mon deuxième espace, mon premier atelier n’est pas très loin, je le garde pour stocker des œuvres. Quand je suis en production, c’est Émeline qui prend le relais, elle organise le planning, les voyages et les productions. Tout doit être organisé afin de trouver un équilibre entre les différentes activités. La planification se fait sur au moins six mois et pour certaines commandes, il est possible d’atteindre un an d’attente. Avoir une bonne équipe est essentiel.

Pourquoi avez-vous choisi de vous installer en France ?

J’aime le côté bon-vivant de la France et sa gastronomie qui ne me laisse pas indifférente mais ce que j’apprécie le plus, c’est l’absence de bruit. Paris est une petite niche qui me plaît. Londres m’étouffe trop, j’ai besoin d’espace et de verdure. Assurer les montages d’exposition, assister aux vernissages me suffit amplement, je n’ai pas besoin d’y vivre. Qui plus est, à Paris je dispose de deux ateliers : un de 300 m2 et un autre de 350 m2, soit près de 700 m2 ! Il est très compliqué de trouver un tel espace en plein cœur de Londres ou de New-York. Et c’est encore plus compliqué, si vous voulez une équipe professionnelle. La France, berceau de la haute-couture, est bien connue pour sa main d’œuvre qualifiée et mon équipe représente tout pour moi alors je ne partirai pas. Si je devais mettre un pied hors de France, ce serait pour ouvrir un deuxième atelier, ce qui serait l’occasion pour mon équipe de découvrir un autre univers de travail.

Beaucoup d’artistes vivent à Paris mais le marché de l’art, en lui-même, n’y est pas présent. Berlin, Londres et New-Yok sont les villes qui dirigent le marché. Berlin est une ville d’artistes qui se démarque par un niveau d’innovation incroyable. Quant à Londres et New-York, ce sont de hauts lieux de vente. Paris est également loin des mondanités qui ont cours à New-York. J’ai eu un atelier en Islande pendant quatre mois et plusieurs ateliers aux États-Unis mais je n’ai jamais été aussi créative qu’en France. Cela ne s’achète pas. Quand une ville est très tourmentée, cela m’affecte car je suis très sensible. Même le cœur de Paris est trop agité pour moi, j’ai besoin de nature et de calme.

Où vos œuvres se vendent-elles le mieux ?

Berlin figure en première place en termes de ventes — le plus souvent, ce sont des Américains qui viennent y acheter —, Londres vient en seconde place. Ce sont mes deux marchés qui, à eux seuls, font près de 95 % de mon chiffre d’affaires. En France, je participe de temps en temps aux foires mais je refuse de faire des expositions dans les galeries car cela n’a aucun sens.

Qui vous collectionne ?

Mes acheteurs sont italiens, suisses, belges, américains… En France, plusieurs membres de la famille Yves Rocher me collectionnent — dont Bris Rocher —, les Taittinger ou les Courtin-Clarins. À l’international, je peux citer la famille Hoffer et Wendy Asher. Certains me passent des commandes particulières, si je ne me sens pas à l’aise, je ne le fais pas ou bien je propose autre chose. Un collectionneur m’a un jour demandé d’inverser la colorimétrie et cela m’a ouvert une nouvelle piste de réflexion… Je peux également répondre à des commandes publiques, comme pour la ville de Nîmes, pour qui j’ai réalisé une fresque de 80 m2 au sein du stade olympique local, en 2005. Le projet a pris fin en 2007.

Vous êtes assez présente sur les foires… Combien de galeries vous représentent ?

Je ne fonctionne pas à l’exclusivité… pour l’instant. Cela me permet de conserver une certaine liberté et cela ne sert pas à grand chose d’avoir deux ou trois galeries dans une ville. Mieux vaut fonctionner par pays. Mes galeries sont, en effet, présentes sur les foires : Art Paris (au moins trois galeries), Art15, Art Istanbul ou Art Vienna. Je vais participer pour la deuxième fois à Art Istanbul. La Turquie est très en avant en ce moment, c’est une véritable plateforme entre l’Europe et le Moyen-Orient, à cheval entre modernité et tradition. La culture y est très proche de celle de l’Europe, ce qui m’a beaucoup intriguée. Par ailleurs, la demande pour l’art contemporain y très forte.

Quels sont vos prochains projets ?

Je prépare une biographie qui doit paraître chez Skira, célèbre éditeur d’art italien, cet automne. Le lancement est prévu pour octobre à Londres et New-York. L’année a été très dense donc le prochain solo show n’aura pas lieu avant 2016. Quant au travail de création, plusieurs pistes me viennent à l’esprit. Une des prochaines étapes est de travailler sur de plus grands formats. Je vais également explorer les manières de faire vivre la peinture. En effet, la peinture est statique, je vais chercher à la faire vivre et vibrer. Le recours à la loupe est déjà un premier pas en ce sens. D’ici juillet, je vais me consacrer à la recherche, ce que je n’ai pas fait depuis trois ans. Je vais expérimenter de nouvelles matières, travailler sur la notion de limite. Cette étape va demander du vide.

Art Media Agency

[ Crédit Photo : Katrin Fridriks with DNA crayons at the Gallery Le Feuvre; © aaaartifact.wordpress.com ]

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