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Vhils : « La destruction est une force créative »

23 juillet 2015
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Vhils : « La destruction est une force créative »

Vhils_-_Entropie_-_galerie_Magda_DanyszPoète de la destruction, orfèvre du marteau-piqueur, le Portugais Alexandre Farto, dit Vhils, né en 1987, taillade les murs pour y tracer des visages. Retour sur son archéologie urbaine.

De quand date votre première rencontre avec l’art dans la rue ?

J’ai grandi dans la banlieue sud de Seixal, et au centre de Lisbonne. Lisbonne possède une riche tradition de peintures dans la rue, essentiellement celles qui ont surgi après la révolution du 25 avril 1974, qui a mis un terme à la dictature fasciste. Les rues se sont alors couvertes de peintures politiques et non politiques, de fresques et de pochoirs. Cela a été assez unique en Europe, on était plus proche de ce qui avait pu se passer en Amérique du Sud. Mais le Portugal, membre de l’OTAN, était perçu comme un pays très stratégique : beaucoup redoutaient qu’il devienne une version européenne de Cuba. Il y a donc eu une contre-révolution soutenue par l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis. Le pays est alors devenu une démocratie modérée de centre-droit, et dès lors, sur les murs, les fresques révolutionnaires ont côtoyé les affiches publicitaires. A l’époque personne n’attachait de valeur à ces peintures, et j’ai donc grandi au milieu de ces fresques révolutionnaires avec leurs promesses utopiques de nouveau monde, qui se dégradaient peu à peu et formaient un contraste direct avec les publicités flambant neuves qui vantaient les mérites de tous les produits de la société de consommation capitaliste. Ce choc des opposés m’a immensément influencé par la suite. La première scène graffiti portugaise a émergé à la fin des années quatre-vingt, depuis son expansion a été massive et c’est par le graff que j’ai moi-même commencé.

Qui sont les artistes que vous admirez, ou par qui vous vous sentez influencé ?

Ils sont nombreux. J’ai commencé par admirer le travail de writers, surtout ceux qui étaient actifs là où j’ai grandi : des fresques de MRPP, UDP, MES, etc. Mais aussi Clear, Tape, OXi, Ram, Time, Hium, Mar, Klit, et plus tard des graffeurs européens comme Honet, Stak, Blu, INXS, Trane, Phare, Vino, Hue… Je dois aussi mentionner Banksy, parce que la première fois que j’ai été confronté à son travail, cela a radicalement modifié ma perception de ce qui pouvait être fait dans la rue. Mais il y en a beaucoup d’autres, comme Os Gêmeos, Barry MacGee, et plus tard Gordon Matta Clark, Katherina Grosse ou d’autres. 

Pourquoi avoir choisi de créer par la destruction ?

Mon travail est avant tout une façon de remettre en cause la réalité dans laquelle nous vivons, dans ces espaces urbains qu’habitent aujourd’hui la plupart d’entre nous. Il questionne la ville. J’essaie de me concentrer sur la destruction comme force créative. Symboliquement, je crois qu’en enlevant certaines couches et en exposant d’autres, plus profondes et donc plus anciennes, je peux montrer des choses qui ont été oubliées ou abandonnées au fil du temps. Certaines peuvent être vraiment importantes, ou du moins intéressantes. Ces mémoires perdues composent ce que nous sommes aujourd’hui. J’essaye d’éclairer la poésie de la décadence, créée par cette vitesse qui nous fait perdre tant de choses au long du chemin.

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Comment concilier la précision du rendu avec des outils aussi inhabituels que le marteau-piqueur, entre autres ? 

L’idée était de dessiner à l’envers. En mettant au jour ce qui se trouve sous la surface des choses, j’espère rendre la ville plus humaine et plus belle. Je trace une première esquisse de l’image ou du portrait que je veux créer sur le mur. Elle est très rudimentaire parce que ce qui compte, ce sont les grandes lignes de force et la forme générale. Ensuite commence le travail au marteau, au burin, au marteau-piqueur — tout ce qui sera nécessaire pour retirer ce qui créera du volume, de la profondeur et surtout du contraste. Cette année j’ai aussi fait une série en utilisant des explosifs, mais c’est en vidéo que ce travail a le plus d’impact, puisque l’essentiel est le processus lui-même. Ce qui est aussi le cas pour le reste de mon travail. Le processus est plus important que le résultat, puisqu’il porte en lui une grande part du message que je veux délivrer.

C’est une façon d’explorer la mémoire de la ville ? 

J’aime le contraste entre les couches anciennes et les plus récentes, le glamour et la ruine. C’est à peu près ce dont j’ai été le témoin en grandissant dans un pays où la tradition et les paysages anciens étaient dévorés par l’urbanisation. Ce qu’il y a d’éphémère dans la physionomie d’une rue dit beaucoup de la vie des gens à une période donnée, et j’essaye de capturer quelque chose de cet ordre dans mon travail. Mais tout cela résulte aussi du graffiti dans ce qu’il a de plus brut — comme j’aime encore le pratiquer.

Est-ce une métaphore des différentes dimensions qui composent chacun ?

La nature éphémère de ce qui nous entoure depuis le jour de notre naissance me passionne, comme le changement perpétuel de toute chose. J’essaye de mettre en lumière et de questionner les réalités nées de ces jungles urbaines dans lesquelles nous vivons. Mon intention est de poser des questions, de donner à penser, et pas de donner des réponses claires. Je veux amener les gens à s’interroger par eux-mêmes, en créant des contrastes et des frictions. 

Pourquoi cette fascination pour les visages ? 

Il y a quelque chose de très puissant dans un visage humain. Au cœur de mon travail, il y l’idée de vivre dans nos villes — ces villes créées par les hommes, mais qui sont un environnement artificiel où très peu de place semble laissée pour être humain. En faisant surgir des gens de ce même environnement artificiel et non humain, j’essaie de rendre un peu d’humanité à la ville — et c’est d’autant plus vrai quand je les taille dans des lieux à l’abandon. Certains de ces portraits sont liés à l’endroit, ou à la ville, mais la plupart sont simplement des visages, des visages anonymes. J’ai toujours aimé l’idée de créer des icones inconnues, et une partie de mon travail tend à développer ce concept. Par ailleurs, j’aime les visages. J’aime offrir des visages à la ville, comme un reflet des gens et de la vie en général. Cela reflète aussi la façon dont la ville façonne véritablement les gens qui y vivent, avant d’être à son tour façonnée par eux. C’est un cercle de création intéressant.

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Il y a une dimension symbolique dans la façon dont vous choisissez vos lieux d’intervention ? 

Je prends des murs à divers endroits de la ville, pour en refléter la variété. J’aime les murs décrépis avec une surface plus sombre derrière, les creuser et exposer leur fragilité. En mettant en lumière la valeur poétique du délabrement – à la fois naturel et né de l’intervention humaine —, j’essaye d’explorer la nature éphémère de toute chose. Mais je veux aussi remettre en question la recherche du changement et du développement pour le développement, au mépris de l’héritage social, culturel et historique. 


Comment envisagez-vous votre travail d’atelier ?

Je suis perpétuellement en recherche de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques, de nouvelles sources d’inspiration. Récemment, j’ai travaillé sur des bois achetés au marché aux antiquités de Lisbonne. J’ai aussi travaillé des pièces de métal à l’acide nitrique. Comme quand je gratte la surface des murs, il y a là la notion de cette décomposition qui permet aux choses d’apparaître. En ce moment, je prépare aussi des pièces à partir de nouveaux matériaux, comme la mousse — un pur matériau, blanc, et très fragile à la fois, dont j’aime expérimenter les possibilités. J’aime bâtir de nouvelles formes, construire de nouvelles choses, tout en étant constant dans la direction que je prends.

Où en est la scène portugaise aujourd’hui ?

C’est une ville où l’on peut encore peindre facilement. Le « Barrio Alto », dans la vieille ville, me fait penser à l’âge d’or de Barcelone, tel qu’on peut le trouver documenté dans le premier livre de Tristan Manco. La ville ne voit pas cela d’un bon œil et commence à prendre des mesures anti-graffiti, l’uniformité européenne est sur le point de s’imposer. Mais pour l’instant, la scène du street art et du graffiti est active, beaucoup de gens créent dans la rue dans des styles nouveaux, sans le support des institutions, des galeries ou des collectionneurs, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela signifie que les gens créent pour l’amour de l’art. En un sens, c’est une scène assez innocente et pure, puisqu’il y a si peu d’argent impliqué. La scène musicale est très vivante aussi ; j’ai travaillé sur des vidéos pour un groupe, « Buraka Som Sistema », qui mélange la musique angolaise avec l’esprit portugais. Lisbonne, il y a quelques siècles, a été la porte d’entrée de beaucoup de gens venus d’ailleurs et leur rencontre a forgé l’identité de la ville, et toute la création d’aujourd’hui.

Sophie Pujas

[Visuel : Vhils, Diorama, sculpted styrofoam, 190×150 cm, 2012. Courtesy galerie Magda Danysz]

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