Speedy Graphito by Speedy Graphito
Speedy Graphito, street artist français incontournable, a accepté de se livrer à Artistik Rezo. Il nous parle de lui, de son confinement, de son point de vue sur sa création, de sa mort… Il nous explique tout !
Comment se passe votre confinement ? Qu’est-ce que cela engendre chez vous en tant qu’artiste ?
Le métier d’artiste est un métier solitaire au départ. Je passe quasiment toutes mes journées chez moi dans mon atelier à créer. Donc ça ne me change pas radicalement, je ne suis pas vraiment en contact avec l’extérieur, je travaille plutôt en huis clos. Ça m’a juste donné un peu de temps, je n’ai plus la pression des expositions pour lesquelles il faut produire tant d’œuvres. J’ai du temps pour développer des projets que je n’avais pas eu le temps de faire avant, alors je le vis plutôt bien finalement. Je suis habitué à consacrer mon temps libre à mon travail, et rien ne m’empêche de travailler.
Vous deviez exposer à la galerie Polaris dans peu de temps, exposition dont les dates sont incertaines aujourd’hui, est-ce que vous pouvez me parler de cette exposition ?
Il faut savoir que la galerie Polaris est ma première galerie. J’avais fait une expo de groupe à l’Espace Cardin où j’avais une toile exposée en 1983, et suite à cette exposition il y a une seule personne qui m’a contacté pour voir mon travail, un galeriste, c’était Bernard Utudjian. On a commencé à travailler ensemble à partir de 1984. Pour cette exposition, je m’inspire beaucoup du travail de mes prédécesseurs, j’aime bien travailler sur le thème de l’histoire de l’art, je considère l’art comme une famille, j’aime bien parler de ce qu’il y a eu avant, j’ai l’impression d’être dans une sorte de continuité. Pour cette expo chez Bernard [Utudjian, galerie Polaris], j’avais envie de me servir de mon travail à moi comme référence artistique, comme point de départ pour travailler, c’est-à-dire de me voir comme je pourrais voir Picasso ou Matisse et de voir comment je peux réinterpréter mon travail aujourd’hui par rapport à des choses que j’ai faites, ou même des séries que j’avais arrêtées et que je continue, en y apportant quelque chose de nouveau. C’est l’exposition Speedy Graphito vu par Speedy Graphito.
Y a-t-il une raison derrière vos choix de lieux d’exposition ?
Ça se fait parce que des galeries vont me contacter à un moment donné, et je vais avoir envie ou non d’exposer avec elles. Plus le temps passe, moins je vais avoir le temps de travailler avec de nouvelles galeries. Après, le choix peut se faire parce que ça va être une galerie dans un territoire où je n’en ai pas encore, le sud ou le nord, dans un autre pays par exemple, donc ça peut être intéressant d’y développer mon travail. Ensuite, j’ai des rapports plutôt affectifs avec mes galeristes, donc en principe quand je travaille avec quelqu’un c’est plutôt sur la durée. Il faut que j’arrive à gérer mon temps pour alimenter toutes les galeries dans lesquelles j’expose. En principe, on a une exposition perso par galerie tous les deux ans, mais il y a également les foires, ce qui rajoute de la production. J’ai l’impression d’être toujours un peu en retard, d’où l’intérêt de ce confinement qui m’a donné un petit peu d’air.
Personnellement, je préfère les expositions aux foires, car c’est un peu le seul moment où l’on peut montrer des parties de son travail. Je les fais souvent sur des thèmes, je raconte une histoire, c’est ce qui m’intéresse le plus : concevoir l’exposition comme une installation. Je peins toujours des toiles spécialement pour les expositions. Chaque galerie a ses pièces. Il y a des galeries très commerciales qui vont me vendre énormément et d’autres qui le sont un peu moins, où je vais pouvoir exposer des choses plus intimes ou hermétiques. J’ai un peu besoin des deux.
Est-ce que ça vous arrive de récupérer et d’exposer des toiles qui sont dans des galeries depuis un certain temps mais qui n’ont pas été vendues ?
En général, je récupère les toiles au bout de deux, trois ans, justement pour essayer de les montrer à un autre endroit. Toutes les personnes susceptibles de les avoir vues là où elles sont les ont vues et ça ne sert à rien de les laisser dormir, je préfère les mettre dans des endroits où personne ne les connaît encore, et souvent je les réutilise pour les expos en musées, où j’ai un travail un peu plus rétrospectif. Alors, je vais aller piocher dans ces toiles-ci, c’est beaucoup moins compliqué que de retrouver des toiles qui sont chez des collectionneurs.
Comment se déroule votre processus de création ?
Pour les expos, je vais faire des toiles que j’ai envie de faire, un peu sans chercher pourquoi, et ce sont souvent les premières toiles qui vont donner la couleur de la série qui va suivre. Au départ, il n’y a pas de construction, la série se fait à partir du moment où le thème apparaît. La thématique de la toile m’apparaît une fois qu’elle est finie. Certaines personnes vont chercher à parler de la mondialisation ou de l’écologie, alors que moi je vais faire ce qui me passe par la tête et c’est en regardant la toile que je vais me dire : “Ah tiens, ça parle de l’écologie, du système consumériste…” C’est mon travail qui me dit ce qu’il se passe dans ma tête. J’ai plutôt l’habitude de regarder mes mains travailler que de les commander à faire quelque chose. Je suis assez passif dans l’histoire [rires]. Des fois, je me surprends, je regarde des séries que je viens de faire et je me demande réellement pourquoi j’ai fait ça !
Et comment ça se passe quand quelqu’un vous demande une explication par rapport à une de vos toiles ?
En fait, c’est intéressant car les gens se racontent sur mes toiles. On m’a déjà dit : “C’est incroyable votre toile, c’est l’histoire de ma vie, là c’est moi, là c’est ma femme, là c’est la voiture quand on est partis en vacances, là ce sont nos enfants…” C’est pareil pour moi, je vais me raconter une histoire en la regardant et avec le temps je redécouvre certaines toiles qui me parlent de façon totalement différente. J’aime cette liberté d’interprétation, pour moi il n’y a pas qu’une seule interprétation.
Est-ce que vous continuez à apprendre des choses dans votre métier ?
Tout le temps. [rires] Tout le temps oui, parce qu’il y a des moments où d’un seul coup je vais vouloir faire quelque chose de simple et faire une image en deux couleurs, ce qui est simple en soi, et en travaillant ces deux couleurs, on s’aperçoit qu’on arrive à en faire apparaître une troisième avec les vides. Ça a toujours été la curiosité qui m’a fait avancer, c’est-à-dire que je vais partir de quelque chose et me dire “Tiens, c’est intéressant ça” et je vais essayer de pousser l’idée pour voir ce que je vais arriver à faire. Ç’est comme ça que mon travail avance, c’est souvent des accidents, des petites choses un peu au hasard qui vont m’inspirer pour faire des choses plus importantes.
Comment un artiste fixe-t-il le prix d’une œuvre ?
Au début, on met un premier prix, c’est-à-dire qu’on évalue à combien une personne pourrait acheter l’œuvre. Souvent, les premières toiles, c’est à sa famille qu’on les vend. Ensuite, ça se fait en accord avec la galerie, et si on vend tout par exemple, on envisage de monter les prix. Et on continue, moins il y a d’offres, plus il y a de demandes et plus les prix montent. Si à chaque fois que je vends des toiles on s’aperçoit qu’elles sont vendues le double en salle de vente, c’est qu’il y a un problème. Ça veut dire que moi et la galerie on gagne autant qu’une personne qui achète la toile et qui la revend le lendemain. Alors, on équilibre les prix, au final ils se font tout seuls. Il faut que ce soit un prix cohérent, avec le format par exemple, car les œuvres sont vendues au format, ce qui est un peu idiot d’ailleurs mais c’est comme ça. Ce n’est pas vraiment moi qui décide de ce prix finalement.
Est-ce que les images d’enfance de vos enfants ont influencé votre création ?
Oui, forcément, ça m’a permis de faire le lien avec la culture d’une autre génération. Si j’utilise Bob l’Éponge dans certaines de mes toiles, ce n’est pas de ma génération ! J’étais quand même assez grand quand il est apparu. C’est comme avec les Pokémon, je les ai découverts avec mes enfants. Donc oui, ça fait partie de ma culture aussi, les enfants sont transmetteurs, chaque génération transmet sa culture, comme mes parents m’ont transmis des choses par l’éducation, la vision du monde qui est la leur. C’est ce qui m’intéresse. D’avoir des toiles multi-générationnelles, avec des codes perceptibles par plusieurs générations.
Vos enfants dessinent-ils ?
Oui, j’ai une fille qui a fait les mêmes études que moi, qui est graphiste aujourd’hui. J’ai un fils qui est ébéniste, il travaille le bois, donc il est manuel. Et ma dernière fille est mon assistante, elle s’occupe de tout ce qui est un peu logistique… Ils sont tous dans l’univers artistique, dans des domaines un peu différents les uns des autres.
Et vous leur avez appris à dessiner ?
Ils ont toujours eu accès à l’atelier librement quand ils étaient petits, je ne leur ai pas vraiment appris à dessiner, mais par exemple, je mettais plein de feuilles par terre, des assiettes pleines de peinture, on marchait dedans puis on faisait des dessins avec nos pieds, des choses comme ça. Ce sont plus des approches expérimentales, pas dans le côté académique du dessin.
Est-ce que vous pouvez me parler d’une expérience forte de votre vie, liée à votre métier ou non ?
Il y en a plein [rires], c’est délicat comme question.
Je pense que l’expérience la plus forte de ma vie, c’est quand je suis mort. En avril 2004.
J’ai eu des périodes plus ou moins difficiles dans ma vie. On parle d’un artiste quand tout va bien mais la vie d’artiste ce n’est pas constamment le succès, la gloire et l’argent, il y a forcément des périodes où ça ne marche pas du tout. Il y a aussi la solitude, la pauvreté… À la fin des années 1990, ça a été un peu difficile pour beaucoup de peintres de ma génération parce que la peinture était devenue quelque chose de complètement ringard pour les gens, on était dans le conceptuel, la photo… il fallait tenir, et je me suis retrouvé vraiment sans un sou, à peindre tous les jours, à être au RMI, je n’avais plus de galerie. On m’a demandé d’écrire un livre sur mon parcours, un monsieur qui est venu un jour et qui adorait les années 1980, qui se demandait un peu ce qu’étaient devenus tous ces artistes. Il voulait faire un livre et raconter ma vie chaque année. J’ai commencé à écrire ce livre, qui s’appelle L’Aventure intérieure et en l’écrivant ça m’a donné un retour sur ce que j’avais vécu, les périodes de ma vie… À la fin du livre, je me suis tué, j’ai annoncé ma mort dans ce livre car, pour moi, soit j’allais renaître et il allait se passer quelque chose, soit la vie n’avait plus de saveur. J’avais l’impression d’avoir fait tout ce que je pouvais faire et ça ne servait à rien de rester dans ce monde juste pour ne rien faire. Donc, j’ai attendu la date de ma mort, qui est inscrite dans le livre, pour voir ce qui allait se passer. Et le lendemain matin, j’étais vivant ! [rires] Les choses sont reparties à ce moment-là, en 2004. Il a commencé à y avoir un retour à tous ces artistes, le retour à l’art urbain et tout a redécollé. C’était un passage important de ma vie.
Et comment s’est passée la renaissance ?
Très bien, les choses sont reparties, c’est à ce moment-là que j’ai eu à nouveau de la visibilité, que j’ai recommencé à vendre des tableaux.
Et pensez-vous que, si vous n’aviez pas daté votre mort, la renaissance n’aurait pas eu lieu ?
Peut-être. Ce que je sais, c’est que le fait d’avoir écrit ce livre m’a libéré. On a toujours tendance à être dans la vie, dans l’instant, ou à demain, enfin moi je suis plutôt dans l’instant, et je regarde rarement ce qu’il s’est déjà passé, ce que j’ai vécu. Le fait de regarder des tableaux que j’avais faits il y a 10 ans, 20 ans, je ne les voyais plus de la même manière qu’au moment où je les avais peints. Je n’avais jamais vraiment regardé ce que j’avais laissé derrière moi et ce livre m’a permis de prendre du recul et de me voir de manière extérieure. Ça a été assez thérapeutique d’écrire ce livre en tout cas.
Et comment vivez-vous le succès que vous avez aujourd’hui ?
En fait, j’ai l’impression de vivre exactement de la même manière. Le truc, c’est que mon travail a marché extrêmement rapidement quand j’ai commencé, dès que je suis sorti de l’école. Et je voyais des amis artistes qui me disaient que c’était la galère et moi je me demandais ce que c’était que la galère car je ne l’avais jamais vécue. Le fait de l’avoir vécue par la suite m’a permis de m’apercevoir que c’est quelque chose qui nous fait peur, on nous dit qu’il faut gagner de l’argent pour vivre alors qu’en fait, qu’on ait de l’argent ou pas, la vie se passe ailleurs. J’ai toujours eu un toit sur la tête, j’ai toujours mangé, donc ça m’a enlevé cette peur où l’on se dit : “Comment je vais faire si jamais demain je ne vends plus ?” Ça m’a permis de me détacher de tout ça.
[Construction 2020]
Dans ces moments, avez-vous envisagé de changer de profession ?
Non, jamais. On me l’a souvent proposé, en me disant qu’il faudrait que j’aie un vrai métier, mais je n’avais pas le temps, je peignais tout le temps, même si je ne vendais rien, que je n’avais aucune expo, ça ne m’empêchait pas de travailler tous les jours. C’est vital pour moi, je ne peux pas rester une semaine sans travailler. Je n’aime pas trop les vacances, quand je voyage c’est pour le travail… Je suis un peu obsessionnel [rires].
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Propos recueillis par Margaux Frappier
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