Sophie Inard : “Je veux inciter à porter un regard différent sur le quotidien”
Pour la Vème édition du Festival international de courts-métrages Les Regards de l’ICART, six des sept trophées sont réalisés par l’artiste Sophie Inard. Avec son crochet et sa proposition unique, cette jeune créatrice crée des pièces fortes toutes en contrastes et en ambivalence.
Bonjour Sophie, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
J’ai 35 ans, je réside à Paris et je suis artiste textile. Pourtant, mon parcours académique est assez éloigné de la création. J’ai fait deux ans de classe préparatoire, une école supérieure de commerce, dix ans de marketing dans deux grandes entreprises. Mais tout cela n’a pas entamé mon intérêt pour la création textile. Plusieurs années passées à l’étranger ont nourri mon intérêt pour l’artisanat et l’art textile. J’ai par exemple découvert le tissage péruvien lors d’un stage en 2008. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé toucher les tissus, composer des patchworks colorés. Depuis mon enfance, j’ai successivement suivi des cours de couture, de tricot, de teintures naturelles sur textile. Au fond, ce que je voulais ce n’était pas tant devenir experte d’un métier que d’acquérir suffisamment de techniques pour être ensuite libre de créer. Je ne suis pas obsédée par la perfection, au contraire, je trouve beaucoup de poésie dans les irrégularités. C’est à partir de 2020 que j’ai commencé à créer de façon plus soutenue, lors du confinement que j’ai passé dans ma maison d’enfance. J’y ai retrouvé beaucoup de souvenirs un peu oubliés. C’est à ce moment-là que j’ai emballé mon premier objet. Il s’agit du skateboard de mon adolescence. En l’emballant de maille de fils crochetée vingt ans après, je crois avoir en quelque sorte matérialisé le regard un brin amusé et tendre que j’ai sur la jeune fille que j’étais. C’est comme cela que tout a commencé.
Peux-tu nous parler plus en détail de ton travail et de ta proposition artistique ?
J’emballe des objets de maille que je crochète. Après le skateboard, je me suis attaquée aux gants de boxe, aux raquettes de tennis, aux clubs de golf, aux casques de moto, etc. En emballant ces objets utilitaires, je les donne à voir autrement, je les transforme en objets désirables. Par mon travail, je veux inciter à porter un regard différent sur le quotidien. La maille que je crée est ajourée, l’objet reste ainsi perceptible. Je m’applique à suivre ses formes au plus près pour révéler ses lignes. Enfin, la dernière étape importante de mon processus créatif est la photographie. En effet, je fige chaque pièce dans une mise en scène où une personne la tient entre ses mains, et regarde l’objectif de l’appareil photo dans une position dominante. Ce regard et cette position affirmés créent un contraste fort avec la douceur apparente de ma pièce au premier plan.
Pourquoi avoir choisi le crochet ?
C’est lors de mon échange Erasmus à Lisbonne que j’ai découvert la technique du crochet grâce à ma colocataire brésilienne. Elle travaillait avec un crochet minuscule et réalisait de la dentelle. C’était magnifique mais difficile à aborder. C’est finalement à Paris, quelques années plus tard, que j’ai vraiment eu le coup de foudre pour le crochet grâce à une dame passionnée qui me l’a enseigné. J’ai eu l’impression de découvrir une baguette magique ! Avec une seule aiguille, le crochet, et une pelote de fil, je peux créer aussi bien à plat qu’en trois dimensions. C’est un outil très versatile et très léger, qui me confère une grande liberté. D’un point de vue historique, le crochet est un outil longtemps réservé aux femmes en Europe. En cela, il symbolise le travail domestique féminin. J’ai voulu prendre le contre-pied de cette image en m’éloignant le plus possible de la layette et des pièces pour bébé. Dans mon travail, j’aime accentuer les contrastes et provoquer des rencontres inattendues entre des univers, des générations et des époques différentes.
Qu’est-ce qui t’inspire au quotidien dans ta création ?
J’aime me promener dans Paris et je m’inspire des formes et des couleurs que j’aperçois dans les terrasses de cafés, dans les parcs. J’observe aussi les gens et c’est toujours dans la rue ou au marché que j’ai rencontré les modèles que je photographie par la suite.
Tu réalises les trophées de la Vème édition du Festival les Regards de l’ICART, quel est ton rapport au cinéma ?
J’aime beaucoup le cinéma et notamment l’absurde qu’on retrouve dans les films de Luis Buñuel. J’ai voulu rendre hommage à son film Le Charme discret de la bourgeoisie en créant une mise en scène dans laquelle des convives se mettent à table autour de plats et de desserts rendus immangeables par l’emballage en maille de coton crocheté.
Pour le festival les Regards de l’ICART, je réalise 6 des 7 trophées. Chaque trophée est un clap de cinéma, que j’ai emballé dans un duo de couleur unique, camaïeu de gris et de jaune, couleurs de la 5ème édition du festival.
Vous pouvez retrouver le travail de Sophie sur son site internet : www.sophieinard.com, sur la galerie d’art en ligne Kaleido et sur son compte Instagram : @sophie.inard.
Propos recueillis par Emma Augereau
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