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Simone de Beauvoir, mémoires des racines du féminisme

Icart Bordeaux 30 novembre 2018
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Il y a un an à peine, nous découvrions l’affaire Harvey Weinstein amenant une bien-heureuse omniprésence dans le débat public de l’oppression subie par les femmes. C’est le début d’une immense libération de la parole des femmes, aidée par les réseaux sociaux. Un an plus tard, si l’écoute a progressé, si certains actes ou mots sont désormais devenus intolérables, il reste encore beaucoup de chemin à faire…

De même si l’on voit quelques évolutions concernant le droit à l’avortement au Chili par exemple, il reste toutefois de nombreux obstacles et seule une soixantaine de pays dans le monde autorise l’accès à l’avortement sans restrictions. 

C’est alors comme une évidence que la phrase de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme on le devient. », issu de son ouvrage Le Deuxième Sexe résonne. Cette citation résume certainement l’ensemble de ses thèses. Être femme n’est pas une donnée naturelle mais le résultat d’une histoire.
En 1929, Simone de Beauvoir publie Le Deuxième Sexe. Elle y dénonce la domination masculine et invite les femmes à se libérer de leur statut d’objet. L’idée de cet ouvrage lui vient d’une conversation, deux ans plus tôt, avec son illustre compagnon, Jean-Paul Sartre. Beauvoir devient une figure du féminisme en décrivant finement cette société qui maintient la femme dans une situation d’infériorité. Son analyse de la condition féminine à travers les mythes, les civilisations, les religions, l’anatomie et les traditions fait scandale, et tout particulièrement le chapitre où elle parle de la maternité et de l’avortement, assimilé à un homicide à cette époque.
Quant au mariage, elle le considère comme une institution bourgeoise aussi répugnante que la prostitution lorsque la femme est sous la domination de son mari et ne peut en échapper.
« J’abandonnai le projet d’une confession personnelle pour m’occuper de la condition féminine dans sa généralité. »
Elle souligne le fait que c’est en tout premier lieu l’enfance qui détermine la femme comme étant une femme. Il y a certes, une différence biologique, la femme peut enfanter tandis que l’homme ne le peut « mais ce n’est pas cette différence qui fonde la différence de statut et l’état d’exploitation et d’oppression auquel est soumis la femme. C’est en quelque sorte un prétexte autour duquel se construit la condition féminine. Mais ce n’est pas cela qui détermine cette condition. » explique-t-elle.

Dans La Force des choses (1963), elle raconte ce moment : « Je sentais le besoin d’écrire au bout de mes doigts, et le goût des mots dans ma gorge, mais je ne savais qu’entreprendre […] En fait, j’avais envie de parler de moi […] Je commençai à y rêver, à prendre quelques notes, et j’en parlai à Sartre . Je m’avisai qu’une première question se posait : qu’est-ce que ça avait signifié pour moi d’être une femme. »

Il ne s’agit pas là seulement de son passé mais aussi du nôtre dans ces Mémoires de son passé mais aussi de cette époque. Cent ans après, on peut imaginer un historien en tirer des conclusions.

Dans Mémoires d’une jeune fille rangée (1958), elle se rend compte petit à petit qu’elle a une vision erronée de ce qu’est le monde, elle ne comprenait que celle de ses parents. Elle analyse alors méticuleusement ce qu’on lui a instruit et s’en détache complètement pour construire elle même son histoire. C’est en effet à l’adolescence que la jeune fille se détourne de la religion, et décide de consacrer sa vie aux études et à l’écriture. Elle découvre la philosophie à la Sorbonne où elle fait la connaissance de son futur compagnon, Sartre. « Quand ils prétendaient m’expliquer , les autres gens m’annexaient à leur monde , ils m’irritaient . Sartre au contraire essayait de me situer dans mon propre système , il me comprenait à la lumière de mes valeurs , de mes projets ».
Ce livre est rempli de citations philosophiques (Goethes, Barres, etc) mais également de titres de livres qui l’ont accompagnée dans sa construction. Beauvoir parle de langage, de mort, de religion, d’amour et d’amitié.

Elle nous donne envie de lire, de se cultiver, de s’enrichir mais également de choisir sa voie et sa vie. On y trouve alors un message incroyablement positif, féministe, engagée, et surtout qui donne envie de s’écouter et de s’affirmer. Effectivement, sans être né dans ce contexte historique, sans avoir appartenu à ce milieu social, sans avoir eu la même éducation, on s’identifie tout de même très rapidement à Simone qui écrit ce livre à la fois intime et son contraire.

Simone de Beauvoir bouscule les idées conservatrices de son époque et elle est en cela la première philosophe féministe affirmée.

Effectivement engagée dans sa vie comme dans ses écrits, elle incarne la vie d’une inspirante intellectuelle libre et accomplie. Avec ses yeux bleus et ses cheveux coiffés d’un turban, Simone de Beauvoir est une des figures féminines de cette effervescence intellectuelle.

Elle est d’ailleurs le 5 avril 1971, à l’origine du Manifeste des 343 femmes qu’elle rédige et dont elle est également cosignataire. Les femmes ont ici le courage de parler et de dire haut et fort, qu’elles ont subi un avortement.
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre.»
Le Mouvement de libération des femmes (MLF) réclame l’avortement libre et gratuit. Une lutte de nombreuses années, puisqu’il faudra attendre 1975 et la loi Veil pour que l’avortement soit dépénalisé et 1982 pour qu’il soit remboursé par la Sécurité sociale.

Pour conclure, Simone de Beauvoir fut philosophe, romancière, théoricienne du féminisme et la moitié du «couple existentialiste» (et mythique) qu’elle forma avec Sartre, et elle fut aussi, bien sûr, une des grandes mémorialistes de notre temps.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » dit-elle et le chemin est encore long.
L’affaire Brett Kavanaugh en témoigne…

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