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Sephora Camocotelo : “les échantillons textiles que je manipulais étaient la plupart du temps jetés”

5 juin 2020
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© Sephora Camocotelo

Défilés, galeries et confection de bijoux sont autant d’expériences qui ont permis à Sephora d’être une styliste designer polyvalente et créative dans un monde artistique en mouvement. Passionnée par le textile et le luxe, elle partage avec nous sa vision de la mode.

Tu as travaillé à Paris et tu étudies à Londres. Quelles différences as-tu pu constater en termes de mode entre ces deux villes ?

Il y a une différence significative. À Paris, il y a une culture de la haute couture, toutes les marques influentes y siègent. Par exemple, le streetwear naît petit à petit à Paris, alors qu’il est déjà bien implanté à Londres ou à New York, ça fait parti déjà de l’énergie de ces villes. À Paris c’est encore très timide, on va préférer le modélisme et le structuré, plutôt que des choses fantasques, ce n’est pas la même culture.

Au niveau des universités, les formations sont plus axées sur le côté créatif en Angleterre. J’ai un rapport créatif et artistique à la mode, et c’est pour ça que j’ai choisi Londres.

Tu as travaillé dans les maisons Balmain et Saint Laurent. Qu’as-tu appris de ces expériences ?

À l’origine, l’univers du luxe ne m’intéressait pas du tout. C’est vraiment un monde à part. Finalement, les expériences que j’ai eues m’ont permis de dépasser mes préjugés. Chez Balmain, j’étais assistante de production alors que chez Saint Laurent, mon travail était axé textile. C’était vraiment deux ambiances différentes, les missions n’étaient pas du tout les mêmes. J’y ai appris la confidentialité et la transparence de ces marques, et j’ai pu relever certaines problématiques.

Je me suis rendue compte que les échantillons textiles que je manipulais étaient la plupart du temps jetés, alors que c’était des tissus de très bonne qualité. Par exemple, chez Saint Laurent, des fourrures ou des peaux d’animaux étaient détruits. C’est frustrant qu’une marque aussi réputée ait ce type de comportement, alors qu’il y a des lois qui sont passées. Certains créateurs ont déjà décidé qu’ils n’utiliseraient plus de fourrure, et là tu vois qu’il y a des marques qui le font et qui en plus jettent ces échantillons, ils les détruisent carrément, alors qu’il y aurait d’autres solutions pour pouvoir garder ces textiles et créer de nouveaux vêtements. Avec cette expérience, j’ai choisi d’aller à Chelsea pour l’approche sur le développement durable.

© Sephora Camocotelo

Peux-tu nous parler de ton projet ?

Mon projet découle du constat que j’ai pu apercevoir chez Balmain, Saint-Laurent et Palmer Harding, chez qui j’ai effectué un stage. Je récupère des textiles, exclusivement issus de marques de luxe, habituellement jetés pour des raisons économiques ou pour l’image de la marque. La finalité du projet, c’est d’en faire un vêtement, en associant les différents textiles. À l’origine je voulais créer une collection mais avec la situation actuelle, je vais réutiliser les textiles pour en faire un seul vêtement. Ensuite, je transforme les tissus en utilisant mes techniques, et en les adaptant selon mon style streetwear, des illustrations et du dessin.

Quel lien conserves-tu avec les marques qui t’ont donné des textiles ?

Au début de l’année, j’ai contacté une quarantaine de marques. Cinq d’entre elles ont répondu à mes mails et seulement 2 ont accepté, dont Palmer Harding. J’ai interviewé les marques qui ont accepté de me donner leurs textiles, pour comprendre leur image, comment ils travaillent et pourquoi ils sont amenés à jeter ces textiles-là. Ensuite, j’ai fait des expérimentations textiles, de l’illustration, de la sérigraphie et de la teinture. Là, je dois aller dans la recherche et le développement de vêtements.

© Sephora Camocotelo

Dans l’idéal, j’aurais aimé collaborer avec une des marques, pour qu’on puisse penser un vêtement ensemble. Ça me permettrait de comprendre comment un designer s’adapte au style d’une marque et confectionner une collection. Mais avec la crise sanitaire, j’ai peur que ça ne se fasse pas, parce qu’il faudrait que je sois sur place. Je vais essayer une collaboration à distance où j’enverrai des dessins et ils me feront des retours. Si ça ne fonctionne pas, je ferai moi-même le développement et la confection du vêtement.

La collaboration est courante dans le luxe, beaucoup font appel à des designers pour les épauler. Par exemple, avec Palmer Harding, une marque de luxe femme, on pourrait peut-être penser à une autre clientèle, plus jeune. J’ai gardé un très bon contact avec eux et ce serait intéressant de travailler avec eux. Mais collaborer et donner des textiles, ce n’est pas la même chose.

Quel est l’enjeu de tes actions ?

L’idée derrière ce projet c’est de montrer que, la plupart du temps, on parle des Zara, des H&M, et on oublie que l’industrie du luxe gâche aussi des textiles, alors qu’ils travaillent avec des tissus de très bonne qualité. Quand j’ai travaillé chez Saint Laurent, on m’a permis de récupérer des échantillons que j’avais manipulés, en me demandant de le garder secret. À la fin, ils les auraient détruits. Ça prouve bien que c’est vraiment dans leurs normes et qu’ils n’ont pas encore décidé de changer ces habitudes-là. Alors que les côtés éthiques et développements durables, ce sont des préoccupations qui concernent tout le monde. Mon projet, c’est de prouver que l’industrie du luxe pollue aussi, et qu’on pourrait faire quelque chose avec ces textiles, au lieu de les jeter.

© Sephora Camocotelo

 Comment voies-tu le futur de ce projet ?

Je trouve que mon projet répond à un véritable besoin. Cette année, j’ai récupéré des métrages de tissus, qui auraient terminé à la poubelle. Pourtant, un mètre c’est suffisant pour faire une jupe par exemple. J’ai travaillé avec une marque plus axée sur le développement durable, la traçabilité des textiles, mais qui n’avait pas d’autre choix de jeter quand même ses échantillons. Le problème, c’est que beaucoup de marques refusent de donner, alors que d’autres y sont ouvertes. Dans l’univers du luxe, il y a ce côté secret.

Les marques ont peur qu’on leur fasse concurrence. Il faut changer cette manière de penser. Moi c’est ce que j’aimerais faire. J’aimerais travailler auprès de jeunes créateurs, ou pourquoi pas créer mon label, selon mon propre style streetwear, en gravitant autour de l’art, du textile, du développement d’imprimés…

Propos recueillis par Célia Taunay

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