Sensualité et spiritualité. A le recherche de l’absolu – musée Jean-Jacques Henner
114 œuvres, peintures, dessins, carnets de Henner, associés à d’importants prêts de Léon Bonnat, Eugène Carrière, Paul Baudry, Alphonse Legros, Gustave Moreau, Puvis de Chavannes et Théodule Ribot, nous entraînent dans un parcours à la rencontre du regard porté par Henner sur le sujet religieux et la subtile dialectique qu’il insuffle à son oeuvre autour du motif du corps, à la frontière entre sensualité et spiritualité.
Le corps. Elément principal constitutif du travail de l’artiste, il est son substrat, il est l’instrument de sa quête dans la représentation du sujet religieux.
Par l’étude d’après les grands noms — Adam et Eve chassés du paradis de Massacio, Descente de croix par Corrège, les anges de Verrochio du Baptême du Christ —, c’est la part du divin qu’Henner cherche à appréhender.
Entre beauté et souffrance, le corps est la raison de son art.
Que ce soit dans les représentations de Marie Madeleine, allongée ou assise, Henner nous montre une femme toute pensive. Elle contemple, le visage emplit de douceur et de sérénité.
L’artiste joue sur les carnations de sa peau blanche, laiteuse, porcelainée qui entrent en résonance avec le bleu de son manteau, ce bleu signe de pureté, de fidélité, ce bleu couleur de la robe de la Vierge Marie, ce bleu symbole du lien entre le ciel et la terre, entre le matériel et le religieux. Marie-Madeleine se fait alors l’incarnation de la spiritualité.
Dénudée, son extase est sensuelle. Offerte, elle s’abandonne à Dieu dans sa contemplation mystique comme une femme amoureuse s’abandonne à un homme. Mais sa beauté vient d’ailleurs, elle n’est pas terrestre. C’est sa spiritualité qui la rend belle. Elle la rend sensuelle. Henner cherche à aller au-delà de la représentation d’un corps, il cherche à lui donner sens : La représentation du corps comme véhicule de la grâce.
Mais ce corps peut aussi se faire souffrance, déchirement de la condition humaine, notamment avec Saint Jérôme et ses vision extatiques représenté dans la meurtrissure de sa chair. Henner dépasse ici la notion de religiosité et de spiritualité même. Le corps de cet ermite participe tout entier, dans la tension de sa musculature sèche, à l’appréhension du divin. Quand Saint Jérôme se transcende pour toucher Dieu, Henner nous projette l’image d’un Saint Sébastien teinté d’un mysticisme angoissant, annonciateur de la fin des temps. Les êtres et l’artiste sont à la recherche de l’absolu. L’absolu du corps, l’absolu de la pensée, l’absolu de la spiritualité.
Et partout le travail caravagesque sur les ombres, sur les clartés. Ces noirs et ces blancs qui se font écho, qui font écho à une atmosphère obscure, messianique. Une atmosphère oscillant entre représentation métaphysique douloureuse de la relation mystique au divin de ces êtres et leur quête spirituelle, toute sensuelle.
On pourrait presque parler d’un combat entre les noirs et les blancs de Henner, entre l’ombre et la lumière, entre le visible et l’invisible. Un dialogue s’installe entre ce qui disparaît et ce qui apparaît, entre le terrestre et la révélation spirituelle. C’est comme si tout concourait à toucher au mystère.
Et pourtant la peinture de Henner est tout évanescente. Il y a comme une forme de théâtralité dans son appréhension du sujet. Pour exemple, l’utilisation du symbole de l’Ophélie pour se rapprocher de la notion de martyre, entre sensualité et spiritualité, ou avec une magnifique piéta qui nous plonge dans l’univers mystique de L’Enfer de Dante. L’on se dit que l’on pourrait écouter les vers de Byron ou voir jouer Shakespeare à l’instant même. Henner nous pousse. En exaltant ces contrastes, ces corps, il nous emmène au-delà de la sensualité, au-delà de la spiritualité.
Et c’est ce à quoi nous touchons avec le travail particulièrement saisissant sur les Christ morts. Christ au tombeau faisant penser à Cranach ou série de Christ disposés les uns en dessous des autres, c’est la notion d’enfermement qui prime, c’est la souffrance du corps qui s’exprime, le corps sans vie, meurtri, spirituel. Mais au-delà de la souffrance, ces corps, dans leur lutte entre l’ombre et la lumière, ces corps extatiques dont les chairs blanches se détachent des fonds bruns, noirs, angoissants, participent seuls à la pureté du moment.
Alors qu’ils disparaissent dans cette obscurité qui les dévore, il ne laisse derrière eux qu’une forme de spiritualité. Le corps s’efface, la sensualité reste, spirituelle, absolue.
Nous sommes au-delà de la sensualité, au-delà de la spiritualité.
Energie, douceur, angoisse, mystère, la spiritualité de figures de Henner s’exprime dans un profond mysticisme.
Beauté, extase, souffrance, pureté, leur sensualité nous élève, pleinement. Elle est intense.
Force silencieuse de ces cris étouffés, déchirement douloureux des passions, au fil de l’exposition, nous touchons du doigt le propos de Henner, à la recherche de l’absolu.
Anne-Lise Charache
Sensualité et spiritualité. A le recherche de l’absolu
Commissariat d’exposition : Marie-Hélène Lavallée, conservatrice générale du patrimoine, directrice du musée, assistée de Pomme Cramer pour les recherches scientifiques et documentaires
Du 16 novembre 2012 au 16 septembre 2013, de 11h à 18h
Les lundis, mercredis, jeudis, vendredis, samedis et dimanches
Nocturne jusqu’à 21h, le 1er jeudi du mois
Plein tarif : 5 € : visite des collections // 7 € : visite des collections et activité culturelle
Tarif réduit : 3 € : visite des collections // 5 € : visite des collections et activité culturelle
Gratuité (y compris pour les activités culturelles) : pour tous, le premier dimanche de chaque mois- aux moins de 18 ans, aux 18-25 ans ressortissants ou résidents de longue durée d’un pays de l’Union européenne, aux enseignants des établissements français du primaire au secondaire munis d’un Pass éducation en cours de validité, au personnel en activité ou retraité du Ministère de la Culture (avec un accompagnateur), aux allocataires des minimas sociaux et aux demandeurs d’emploi
Musée national Jean-Jacques Henner
43, avenue de Villiers
75017 Paris
M° Malesherbes ou Monceau
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