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Sarkis-Portrait

12 mars 2010
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Artiste émigré de Turquie dans les années 60, il est l’une des figures de la Diaspora Arménienne en France. Entre parfums d’Orient et grammaire d’Occident, son œuvre se nourrit de toutes les cultures et repousse sans cesse les frontières. Invité à exposer au Louvre, l’artiste use de son sens de l’hospitalité très méridional, et invite à son tour des œuvres et des artistes à dialoguer avec lui. Au Musée Bourdelle par contre, c’est un dialogue avec le temps qui se joue.

 

Propos recueillis par Anaïd Demir

 

Comment vous êtes-vous approprié le Musée Bourdelle ?

Je n’ai pas trop touché au musée mais, j’ai changé le regard des sculptures, la lumière… etc.

La salle principale est conçue pour une sculpture dédiée à un général, et j’ai toujours eu un problème avec la verticalité et l’ordre. Là, il y a la figure de Centaure mourant avec la tête inclinée. Au-dessus de sa tête, j’ai tendu un immense tissu de 550 m2 : c’est comme un nuage de lumière qui traverserait l’espace. D’un coup, l’idée de monumentalité disparaît.

Et toute l’exposition est envisagée à partir de l’idée d’un point et de son renversement : la lumière.

En fin de compte, j’ai détourné tout ce qui est agressif : les sculptures de Hercule ne tirent plus vers nous mais vers le mur. Il y a aussi une installation de 41 bocaux de 5 litres d’aquarelle pure chacun. Une larme d’aquarelle a été prélevée et déposée dans l’eau que j’ai ensuite laissé s’évaporer: c’est l’essence de la couleur. C’est une bombe de couleur dans un sucrier. A partir de là, on commence à entendre une musique : c’est Ravel qui fonctionne presque comme une musique d’ameublement. Et on arrive près d’une sculpture de Pénélope en bronze :  chaque jour, quelqu’un dépose deux gouttes de parfum sur sa tête, puis sa main et un petit courant d’air le diffuse dans l’air.

Enfin, au 19è siècle, Bourdelle travaillait avec des matériaux nobles comme le marbre ou le bronze… etc. A l’inverse, j’ai invité Jean-Marie Perdrix qui fabrique des objets avec des plastiques récupérés en Afrique. Patrick Neu, lui, dessine, avec la fumée des bougies, à l’intérieur des verres.

 

Tout cela est au milieu d’un environnement, très guerrier…

J’ai beaucoup travaillé avec la guerre. Maintenant, je renverse la vapeur.

 

On est donc en zone de paix ?

La paix n’est pas le contraire de la guerre. On crée des zones de pensées et de sentiments. Je trouve que le musée Bourdelle est un lieu idéal pour expérimenter cela. Il pousse à une résistance.

 

Vous vous intéressez à l’histoire?

Enormément. Ce n’est pas un hasard si j’ai été invité au Musée Bourdelle ainsi qu’au Louvre. Là, l’idée, c’était de rassembler des œuvres indéplaçables. Depuis quelques temps, mon travail est basé sur les rencontres entre les œuvres. Je voulais depuis longtemps réunir Le Werkkomplex de Joseph Beuys qui est à Darmstadt et Le Retable d’Issenheim de Mathias Grünewald, exposé à Colmar.

Il y a aussi un côté auto-biographique. J’ai découvert par hasard « Le Cri » de Munch en faisant des paquets de viande dans le magasin de mon père qui était boucher à Istanbul. J’avais environ 15 ans. Ensuite, quand je suis arrivé à Paris, j’ai dû aller voir peut-être 300 fois la « Bataille de San Romano » d’Uccello au Louvre… Quand le Louvre m’a invité pour l’Année de l’Arménie, j’ai pensé à mon rapport avec ces œuvres et le rapport de ces œuvres entre elles, puis avec le musée. J’invite donc ces quatre œuvres de façon virtuelle mais en direct par webcam. Puis je réalise 4 œuvres non virtuelles et invite quelques œuvres du Louvre qui font référence aux icônes : un ange pour le « Cri » de Munch, des chevaliers pour la bataille de San Romano. Des icônes mobiles que l’on mettrait dans sa poche : c’est l’idée de la croyance qui se déplace, c’est assez proche de Paradjanov. C’est l’idée que l’œuvre d’art peut du spirituel.

 

Comment se traduit votre identité Arménienne d’après vous ? Paradjanov ainsi que la spiritualité par exemple?

Oui. Ce qui me rapproche le plus de Paradjanov, c’est qu’il a toujours invité d’autres cultures dans son travail. Quand tu regardes « Sayat Nova », tu vois qu’il y a plusieurs langues : l’assyrien, l’arménien, le turc, le turkmen…. C’est tout ce bouillonnement qui m’intéresse. C’est aussi la dimension cinématographique. Imaginer comment filmer Sayat Nova, un poète arménien du XVIIIè siècle… Ce déplacement dans le temps, dans les cultures…Toutes ces cultures invitées à vivre ensemble, c’est typique de mon travail.

 

Quel est votre parcours ? Quand avez-vous quitté la Turquie pour la France?

Je suis arrivé d’Istanbul en 1964, j’avais 25 ans. J’avais terminé mes études et fait mon service militaire. J’étais marié. Mais à un moment donné, c’est le travail qui vous pousse.

 

Vous êtes marqué artistiquement par l’Orient…

…par la culture du monde.

 

Quelle est la situation artistique actuelle en Arménie ?

On m’a proposé d’exposer à Erevan il y a quelques années, et j’ai fait une exposition au Musée Paradjanov. Et aussi à HayArt, un lieu d’art contemporain dirigé par un artiste et historien d’art. Un lieu totalement abandonné qui n’avait jamais vraiment fonctionné. Il n’y avait là ni eau, ni électricité, ni secrétaire, ni téléphone… juste un homme qui luttait. Et j’ai préféré exposer là-bas plutôt qu’au Musée National. L’AFAA nous a aidé. On a tout financé et j’ai tout laissé. Et j’en garde un souvenir extraordinaire car chaque jour les gens venaient me voir même pendant le montage. Et pendant 10 jours, j’ai parlé du matin jusqu’au soir.

La situation en Arménie : j’ai vu pas mal d’artistes jeunes avec beaucoup de difficultés. Je ne sais pas s’ils ont un programme culturel là-bas, mais je n’en ai pas vu.

Quand certaines personnes fortunées de la Diaspora, pour faire cadeau, envoient des sculptures géantes de Botéro là-bas, je trouve que c’est une honte. Avec ces sculptures-là, tu peux financer au moins 1000 œuvres de jeunes artistes de là-bas. Il faut qu’ils arrivent à regarder les choses un peu différemment. Moi, je n’arrête pas de parler et je ne mâche pas mes mots à ce propos.

Je suis pour l’ouverture des frontières entre la Turquie et l’Arménie et ce ne sont pas les historiens qui vont régler ces questions. Il faut créer des ouvertures, des lieux de discussion, sensibiliser… C’est ce qu’essayait de faire Hrant Dink (directeur de la rédaction d’Agos, un hebdomadaire arménien publié depuis six ans à Istanbul. Dink est assassiné le 21 janvier 2007, quelques jours avant notre interview par un jeune chômeur turc)… Et il y a des Turcs et des Arméniens qui se réunissent pour élargir cet espace de pensée.

 

Est-ce que l’art est un moyen de communication possible et efficace entre l’Arménie et la Turquie ?

Bien sûr. Moi, je suis pour que des artistes Arméniens, Turcs ou Kurdes fassent des expositions ensemble.

 

Dans le cadre de l’Année de l’Arménie : « Sarkis : rencontre avec Uccello, Grünewald, Munch, Beuys », Musée du Louvre, 75058 Paris Cedex 01, tel. : 01 40 20 50 50. Du 17 février au 14 mai.

Sarkis au Musée Bourdelle, « Inclinaison », 18, Rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris. Jusqu’au 03 juin.

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