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San – la peinture corps et âme

10 octobre 2012
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San

A une certaine époque, Paris connut les danses endiablées dans les sous-sols de Saint-Germain-des-Prés. Dans la cadence folle des pas du be-bop, les « rats de cave » célébraient l’Amérique des jazzmen noirs, accueillis en princes dans ces endroits exigus. Le relais outre-Atlantique de toute une culture était précieusement tenu par quelques passionnés, que l’Histoire devait désigner comme pionniers en leur pays. Le hip-hop fut transmis ainsi que le jazz, comme en témoigne ce qui s’est enclenché au terrain vague de Stalingrad au début des années 1980. Le groupe BBC, composé des graffeurs Ash, Jay et Skki© font de ce lieu désaffecté un trait d’union entre différentes disciplines du hip-hop comme la danse, la musique et le graffiti, son mode d’expression visuelle.

Le groupe de San, The Renagade Painters (TRP), voit le jour dans cette enceinte colorée de graffitis où Dee Nasty (1) assure l’ambiance de temps à autre. Mais les murs ne sont pas extensibles et pour s’y faire une place, San et son équipe doivent essuyer quelques réflexions : « Il faut se mettre à la place des BBC : ils sont au début d’un mouvement, ils se mettent à Stalingrad. Il y a Bando qui est un peu le concurrent qui vient aussi, la Force Alphabétick (2), c’est quand même déjà pas mal… et hop ! nous d’un seul coup on débarque […] Autour il y avait des loulous qui voulaient se mettre bien avec eux donc ça nous vannait. » (3).

Originaire de la banlieue Nord, San sillonne Paris pour graffer dès la fin de l’année 1984, peu de temps après les coups d’éclat du duo franco-américain Bando et Scam (4) ou des BBC. Il commence par s’inspirer de leurs styles ainsi que de Lokiss (5) et de tout ce qu’il pouvait voir de New-York. En autodidacte organisé, il photographie les graffitis des rues de Paris pour se constituer une banque d’images : « Je venais de banlieue, il y avait rien. ». Puisqu’il était témoin et acteur d’un mouvement naissant, ses clichés allaient contribuer à fixer une partie de l’histoire du graffiti français en alimentant livres et documentaires, le patrimoine de cet art éphémère (6).

Le poids de l’Histoire

Un beau jour de 1988, les voyageurs de la gare d’Epinay-Villetaneuse sont accueillis par un graff en chrome « San et Sandra ». Les lettres s’enchainent avec de larges bases, 1 deposit casino nz.com le « R » s’enfle en forme de cœur, et au centre apparaît le dessin d’un couple. San crie son amour, qui résonne aujourd’hui encore dans la mémoire de bien des graffeurs. Une œuvre légendaire, comme la phrase « One more time » qu’il accole à sa signature, ou ses throw-ups (7) qu’il numérote. Crazy Mic, Action ou Odace (8) sont parmi ses autres pseudonymes.

Aujourd’hui, ses images lui collent à la peau. Pourtant San aime trop la vie pour accepter que son identité se fixe dans son passé : « En France c’est trop cloisonné et nostalgique des années 1980. » « Si tu te figes, t’es plus toi-même ». San reste amoureux, de la peinture qu’il ne cesse d’explorer et qui, comme la musique, le fait voyager vers d’autres univers. A partir de 1990, c’est sans regret l’au-revoir au hip-hop: « J’en avais marre du mouvement hip-hop. Je m’étais embrouillé avec JoeyStarr (9), j’aimais pas la mentalité kaïra. A la base le mouvement était tout sauf ça.». San retrouve pourtant un mode de fonctionnement alternatif en phase avec le hip-hop qui l’a fait grandir en prenant part aux premières fêtes techno. Gawki, membre du groupe FBI (10) et rencontré à l’époque de Stalingrad est l’un de ses compagnons de route. « En 2-3 ans j’évoluais dans d’autres directions, donc mon graffiti a évolué aussi ».

Du spirituel dans le graff

San Contrairement à de nombreux graffeurs, San est désireux de trouver des images de personnages qui lui appartiennent (11). Si le ptérodactyle peint sur une palissade du chantier de la pyramide du Louvre en 1985 est la reprise d’une bande-dessinée, cela reste une exception des premiers temps de sa carrière. Mais ensuite sous d’autres formes, le message qu’il fait passer par cette image de reptile volant du Jurassique reste le même : illustrer l’ « Action » primitive et éternelle de faire des graffitis, une de ses préoccupations centrales. « Qu’on me dise pas que le graffiti c’est ça ou ça, c’est des conneries. Le graffiti a évolué depuis la nuit des temps. » « Au début on faisait nos mains, ou nos proies qu’on allait chasser dans la forêt. Maintenant on fait nos freestyles comme un chamane ou un moine va se lâcher sur une peinture. ».

Les murs avec le graffiti, la peau avec le tatouage qu’il pratique depuis 1997, ou la toile depuis 2000 sont autant de supports que San investit. Ils sont les territoires qu’il parcourt, en quête d’élévation spirituelle : « La peinture c’est le meilleur chemin pour se réaliser intérieurement. » Il essaie en chemin de nombreux styles : ses lettres se tordent en 3D, s’érigent parfois en pyramides, se désagrègent en petits points comme un corps subit la fission, s’étalent dans des formes graphiques obstruantes. Avec ses freestyles, il tisse un réseau d’enchevêtrements psychédéliques : « Il y a des formes graphiques que tu retrouves dans le tatouage, dans un côté ancestral de l’humanité… pour moi c’est le tribal des temps modernes.»

SanSon triptyque Totems Hostels datant de 2011 révèle un processus que San nomme « palimpseste ». Denys Riout comparait les murs graffités et repeints à plusieurs reprises aux palimpsestes, ces parchemins du Moyen-âge que l’on grattait, repeignait à chaque nouvelle utilisation (12). Instinctivement, San s’était armé d’un appareil photo pour combattre l’effacement de ses graffitis, les faisant survivre en images. La disparition concrète de ses œuvres les ont fait tomber dans un espace plus sombre, plus abstrait, celui de la mémoire. Avec ses toiles-palimpsestes le peintre revit l’expérience de ses disparitions successives. Il attaque la toile d’un geste spontané, constituant une base qu’il recouvre par des couches graphiques de plus en plus minutieuses. San travaille la peinture comme d’autres la terre, cultivant ce terreau fertile pour faire naître une nouvelle vie peuplée de formes, de lignes et de couleurs.


Zone d’ombre

Dans sa mémoire, San garde la disparition du graffeur Zone. Le deuil de cet ami et membre de son groupe, les TRP, reste d’autant plus douloureux que les circonstances de sa mort restent inexpliquées. Découvert dans un tunnel du métro, le corps présentait les signes d’un assassinat. Le responsable du meurtre n’a pu être arrêté mais San a son idée sur la question : « Pour moi c’est par les flics. ». Et il n’est pas le seul à le penser dans son entourage.

L’histoire aurait commencé aux alentours de 1989. San, Bando et Boxer reviennent du quartier des Abbesses où ils ont réalisé un gros bloc chacun. L’heure du dernier train pour la banlieue passée, San doit finir sa nuit à Paris. Boxer se propose comme hôte, près de la gare du Nord : « Manque de pot, à six heures du matin, je dormais parmi les bombes et je me suis fait réveiller par les flics. » raconte San. Alertée par la RATP, la police judiciaire avait dans le collimateur Boxer et Bando qu’elle aurait soupçonnés de nombreuses dégradations. « Ils accusaient Bando et Boxer suite à un article dans un magazine, d’avoir cartonné tous les trains. ». A l’issue des procédures qui ont suivi la perquisition, les deux graffeurs s’en seraient sortis sans condamnation lourde. Cette sentence n’aurait pas été du goût du commissaire en charge de l’affaire : « Le problème c’est que le commissaire a pété un boulon. Il aurait fait une milice et aurait rectifié plusieurs graffeurs », dont Zone qui aurait succombé aux coups de cette milice.

Suite à la nouvelle, San tente d’exorciser la douleur qui l’affecte en descendant dans les sous-sols du métro, sur les lieux du crime: « La semaine d’après j’y allais tous les jours là-bas, j’étais vraiment pas bien. ». Et sur place : « Moi j’ai vu le métro juste après avec le début de son tag[..] : juste un « Z » et un « O » ». Le tag, comme la version de l’histoire, restera inachevée. Et dans la foulée le commissaire en question aurait rapidement été muté. « Zone avait 23 ans, ça allait être un putain de grand artiste en plus… »

SanSan est remonté à la surface pour poursuivre son chemin vers la lumière. Aujourd’hui, il nous apprend à nous détacher de la nostalgie des « âges d’or », lui qui en a vécu les revers les plus sombres. Autodidacte des premières heures du graffiti, il n’est pas ému par le luxe des nouveaux gadgets pour graffer (bombes de plus en plus perfectionnées) ni par les procédés techniques qui donnent aux peintres un résultat prévisible. Il continue de faire prévaloir la part d’invention et de révolution artistique contenues dans le graffiti : « J’évolue avec mon temps. Ce qui fait chier les petits jeunes c’est qu’on est vieux [..] mais on est plus avant-gardiste. ». Par ailleurs il est soucieux de transmettre son expérience aux plus jeunes qu’il respecte : « Je ne suis pas une légende. J’étais là un peu avant beaucoup de gens et j’ai montré le chemin à beaucoup de potes, beaucoup de petits jeunes qui avaient envie de peindre. Maintenant c’est eux qui sont en train de devenir des légendes ». Acteur solidaire et modeste, San a le rôle respectable d’un homme de l’ombre.

Bernard Fontaine

Notes : 

(1) Pionnier de la musique hip-hop en France, on lui attribue également le premier graff réalisé sur une rame de métro RATP, en décembre 1984. 

(2) Groupe composé des graffeurs Blitz, Rico, Spirit et Sib.
(3) Toutes les citations de l’article sont de SAN et ont été recueillies par l’auteur.
(4) Le français Bando fonde Bomb Squad 2 en 1983 avec Scam de New-York (source : Les Chiens D’La Casse et 93MC , Jour J, Paris, L’œil d’Horus, 2009)

(5) Membre du groupe Sons of the Gun. canalstreet.canalplus.fr/arts/interviews/la-place-forte-de-lokiss

(6) Dont le documentaire Writers ou le livre Paris City Graffiti : Vecchione, Marc-Aurèle, Writers 1983-2003 : 20 ans de graffiti à Paris, France, 2004 et Patron, Lionel, Comer, et Ross, Romano, Paris City graffiti, Paris, Da Real, 2010.
(7) Le Throw-Up est la forme intermédiaire entre le tag et le graff. Le lettrage est exécuté rapidement, en peu de traits, souvent avec des formes arrondies. 
(8) SAN cédera ce pseudonyme au graffeur Posh qui l’utilisera.
(9) Joeystarr, membre du groupe NTM, commence à taguer en 1985.
(10) Le groupe FBI est composé d’artistes internationaux dont Darco et Loomit.
(11) Les auteurs de comics sont particulièrement appréciés des graffeurs. Le dessinateur Vaughn Bodé est sans doute le plus repris. Cependant certains graffeurs comme Mode 2, Numero 6, Lazoo pour ne citer qu’eux, ont construit leur identité en créant leurs propres personnages.
(12) Riout, Denys, Le Livre du graffiti, Paris, Alternatives, 1990. Page 133. 

[Crédits photographiques : Bernard Fontaine et « SAN vs PARIS CITY graffiti » pour le graffiti Action (San, 1985) // 2ème photographie (de haut en bas) : la photographie du graff Action réalisé par San en 1985 sur les palissades du Louvre a été publiée dans les livres Paris City Graffiti et Graffiti, une Histoire en images : Patron, Lionel, Comer, et Ross, Romano, Paris City graffiti, Paris, Da Real, 2010 et Fontaine, Bernard, Graffiti, une Histoire en images, Paris, Eyrolles, 2011]

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