Samson : “L’humour est un vaccin contre la bêtise”
Dessinateur de presse et d’humour, illustrateur, Pierre Samson a travaillé, entre autres, pour Hara-Kiri, la Grosse Bertha, Fluide Glacial, Sud Ouest, La Dépêche du Midi, Milan Presse, Le Monde, Libération, la Lettre du Cadre Territorial, ainsi que la presse agricole, le patrimoine ou des collectivités territoriales. Présent sur le catalogue Iconovox, il a publié une dizaine d’albums et ruiné plusieurs maisons d’éditions.
Un de vos dessins fait partie de la campagne sur Ulule au profit de la Fondation des Hôpitaux de France. Pourquoi participez-vous à cette initiative ?
Les dessinateurs sont souvent sollicités pour toutes sortes de causes bénévoles. J’ai accepté celle-ci car elle est le fruit d’une vieille amitié avec son initiateur James Tanay. Se retrouver en vente sur une plate-forme participative n’est pas si confortable. Chaque contributeur est une marche que j’ai l’impression de grimper. Manque de souffle… L’âge sans doute !
Votre devise est-elle toujours : « Ni dieu ni rien à me mettre » ?
Détourner la formule toute faite, le slogan gravé dans le marbre ou la parole pontifiante, c’est la moindre des choses. Rire de ses propres positions, aussi ! Au-delà de la formule romantico-anarchiste, s’opposer aux dieux et maîtres n’est pas toujours un parcours de santé. Ils nous tolèrent s’ils pensent que l’on ne menace pas leurs intérêts vitaux et leurs pouvoirs. Nous ne sommes que les petites trompettes de Jéricho. Mais à la longue, le rire crée une petite musique qui peut contribuer à ruiner l’édifice. Si le pouvoir devient risible, c’est qu’il devient illégitime. Le dessin c’est ma lutte des classes à moi, car je suis issu du monde des gens qui ne sont rien. Pas « qui n’ont rien ». Il n’y avait pas d’argent mais de la culture : la culture paysanne. Savante, populaire et pourtant méprisée. Cela forge des convictions.
Avec Jiho, vous êtes justement devenu un dessinateur politique influent en fondant Satiricon (1995-2006), « lou journal des mémés qui aiment la castagne ». Une version toulousaine du Canard enchaîné ?
Cette aventure a duré une douzaine d’années. Sans aucune flagornerie, sa brève existence a marqué le Toulouse de l’époque. Quinze ans après, ceux qui l’ont connu en parlent encore avec regret. Réalisé avec trois bouts de ficelle, une équipe de hasard et une bonne dose d’inconscience, ce modeste tabloïd trimestriel a fait trembler, voire craquer, quelques spécimens du gratin toulousain. De poil à gratter, Satiricon est devenu « Terreur sur la ville ».
L’atonie de la presse locale créait un vide, mais il a fallu des talents, un réseau de distribution alternatif, des informations fiables relayées par des amitiés solides… et beaucoup de travail. Sans oublier – cerise sur la dynamite – la présence de la crème nationale des dessinateurs de presse. Portés par une euphorie transgressive collective, masqués derrière des pseudos, nous entrions sans frapper dans les palais et parcourions les allées des notables avec une verve joyeuse et iconoclaste.
Foutre dieu ! Quelle jubilation de réinventer son métier ! Je me suis senti, là, mériter mon statut de journaliste. Mais tout à un coût. J’étais une homme jeune et prometteur sur lesquels misaient les autorités : un futur homme de cour ! La presse et la télévision locale, les collectivités territoriales, même le préfet de l’époque, sollicitaient mon travail. Avec Satiricon, j’ai scié la branche à laquelle ils m’auraient pendu !
Seriez-vous prêt à prendre le pouvoir de l’humour ?
Jeune j’ai crée un parti, les Radicaux De Poche, et chacun avait sa carte de dissident. Il n’a pas prospéré. Cela a dû décourager mes velléités de pouvoir. Il est de nombreux combats que je partage, mais le pouvoir m’a toujours laissé indifférent. Je ne saurais qu’en faire. Je ne suis ni leader, ni gestionnaire.
Au mieux je peux marcher en meute. J’aime le monde des idées, des songes et des rêves. Parfois je me réveille pour les mettre en œuvre, mais en solitaire. Désormais, je revendique, le droit de me taire quand je n’ai rien à dire, de m’indigner, si ça me gratte, et de rire de ma propre impuissance devant le cours du monde. Ce programme intensif devrait occuper mon solde de vie de retraité.
Comme dit un autre de vos amis, « avec ce virus on a les boules » ! La pandémie rend-elle quand même l’homme attachant ?
La contrainte physique et l’enfermement du peuple se révèlent un terreau extrêmement fertile pour l’humour. Voilà pourquoi les dessinateurs de presse se confinent volontairement en temps ordinaire ! S’il ne tue pas le Covid, l’humour reste un vaccin contre la bêtise, la suffisance et l’incompétence de ceux qui prétendent nous gouverner. Mais c’est un vaccin qui se transmet comme un virus : par les yeux, la bouche ou les oreilles. D’où sa dangerosité ! Certains scientifiques supposent même qu’il rendrait intelligent…
On n’aurait pas perdu la boule ? Quel est votre secret pour porter un regard décalé sur des sujets clivants (mondialisation, production intensive, élevage industriel, chasse, dérives sécuritaires…) ?
Ces thèmes que je traite depuis plus de trente ans parlent de la terre et de ceux qui la travaillent. C’est d’ailleurs une de mes fiertés : avoir donné une image plus digne à une profession dont la seule représentation était jusque-là celle du plouc à sabot outillé d’une fourche. Évidemment passer du tank à lait du paysan (même confédéré) à la Grosse Bertha suppose quelques ajustements.
Le décalage est un rapport à soi, mais également au public auquel vous vous adressez. Il faut trouver la juste distance du sujet au lecteur. Mais chacun peut faire cet exercice : observer un point en se décalant physiquement. Alors, on ne voit plus la même chose. Le dessin de presse c’est la gymnastique du fainéant : un pas ou deux de côté. Ça ne muscle pas beaucoup mais ça permet parfois de gagner sa vie.
Vous n’hésitez pas à pimenter des thèmes plus intemporels : l’art, la musique, la mort…
L’art c’est mon petit musée perso ! Je m’offre les plus grands maîtres pour pas un rond ! Je ne suis pas sûr d’avoir assez de vies pour finaliser tous les croquis notés. Mais, aujourd’hui, je regrette ce recueil de dessins sur la mort, quasiment achevé, qu’Iconovox devait publier et que le Covid vient d’enterrer. Une bouffée d’oxygène pourtant plaisante et très d’époque. En attendant, cap sur un projet tout vert et bourré de nature.
Vous considérez que les dessinateurs de presse sont « les mercenaires de la plume et du goudron ». C’est-à-dire ?
Parfois, je me laisse aller à la phrase à panache. Mon côté cadet gascon ! Le dessinateur de presse se vend-il vraiment au plus offrant ? Est-il une machine à pondre des gags ? Méchants ou marrants : mettez la pièce dans la bonne fente ! J’ai une meilleure estime de ce métier. J’y croise toutes sortes de sensibilités et de talents. Déconneurs, mutiques, goguenards ou fringants, tous ont une conscience forte des enjeux politiques de leur profession. Surtout depuis l’horreur de Charlie Hebdo qui a tué l’insouciance. Pas l’impertinence, ni l’insolence. Cet Éden perdu est une balafre commune et désormais notre fraternité.
Et si vos dessins pouvaient faire évoluer les consciences, voire bouger les lignes ?
Changer le monde : un rêve de débutant. De plus, il faut se méfier, car avec la presbytie, les lignes deviennent floues. Remplir son frigo assouplit les consciences. Et pour plaire, on peut vite se retrouver à broder de petites choses drôlatiques et sans grande conséquence. Il y a longtemps déjà, il m’est arrivé de tracer une ligne d’horizon qui, trop tendue, se cassait. J’ai compris que je ne devais pas m’éloigner de cet espace ouvert. Et, si je n’ai pas changé le monde, j’aurais au moins caressé de mes doigts – et de mon crayon – un peu de sa réalité. Nous sommes des lucioles, une espèce en voie d’extinction. Le monde n’attend pas que nous l’éclairions. Mais sans lucioles, il sera vraiment moche.
Propos recueillis par Sarah Meneghello
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