Sama Beydoun : l’héritage culinaire, une “Langue Maternelle”
Sama Beydoun, artiste libanaise multidisciplinaire, présente son photo-film “Langue Maternelle”, une représentation visuelle et sonore de recettes de grands-mères, qui déterminent notre identité et qu’il est important de transmettre.
L’identité d’un pays se traduit souvent par la nourriture et surtout les recettes de grands-mères qui sont les seules qui persistent parmi les changements qui s’opèrent dans un pays. Ces recettes apportent en bouche les saveurs culinaires du pays et réveillent, surtout aux expatriés, des souvenirs et sentiments d’appartenances. C’est ce que l’artiste libanaise Sama Beydoun souhaite conserver à travers son photo-film Langue maternelle, surtout avec son départ pour la France en 2020.
Ces “contes comestibles” comme les définie l’artiste, est la documentation de la longue période d’attente pour la délivrance de son visa français : “J’ai attendu 3 mois mon visa, mes valises étaient prêtes et mes cours à l’université avaient déjà commencé. J’avais ce sentiment que je ne méritais pas de partir et qu’en même temps je ne pouvais pas rester à cause de la situation au Liban qui compliquait tout” explique Sama Beydoun.
Pour passer le temps et oublier sa frustration, elle capture alors les moments de son quotidien avec sa famille composé de sa mère, grand-mère et arrière-grand-mère. “Elles communiquaient toujours à travers le billet de la nourriture, se demandaient quel est le prix des courgettes, et ce qu’elles allaient cuisiner aujourd’hui” raconte l’artiste. “Des discussions assez communes dans ma famille et dans nos familles. Ça fait partie de notre culture.” raconte Sama Beyrouth tout en cuisinant, pour la petite anecdote.
Elle poursuit cette démarche en France en 2020 lorsqu’elle y déménage, puisqu’elle se rend compte que son quotidien est rythmé par les appels et messages vocaux du trio matriarcal concernant la cuisine. D’ailleurs elle introduit dans son photo-film certains extraits “Allô maman ? Comment faire ta soupe aux lentilles ?”, “Il y a deux recettes (…)” mais aussi plusieurs photos de recettes et de plats. Elle nous montre également des photos de sa mère et ces grands-mères. Tous ces éléments elle les dépose là, simplement, tel des ingrédients qui ensemble forment une recette ; celle qui détermine la culture et le partage autour de la cuisine et de la nourriture.
“Je prétextais la nourriture pour appeler mes grands-mères. C’était notre principal sujet de discussion au téléphone. Je leur demandais de rester avec moi en ligne durant le processus de cuisine pour m’aider dans les étapes et m’y accompagner. Donc ça a créé un espace où on était là, ensemble, mais sans l’être physiquement et c’est ça que j’aimais beaucoup. Ça a créé un pont qui me relie à mes grands-mères”.
Sama Beydoun ne s’arrête pas là et souhaite mêler des histoires similaires et aller à la rencontre de la diaspora de son pays d’origine qui vit forcément la même chose.
Elle se lance alors dans une aventure à la rencontre des mères et grands-mères expatriés à Paris. Reçue dans leurs espaces privés du quotidien, leurs cuisines, elle est ainsi replongée dans le quotidien qu’elle vivait avec sa famille au Liban. “C’est un projet sur le lien, sur l’héritage, sur cette connexion grâce à la nourriture. Je parle aussi de la distance, du fait de partir mais de pouvoir prendre dans notre valise des épices, des ustensiles de cuisines, et toutes sortes de choses auxquels on se rattache et qui nous rappelle chez soi. Je souhaite que ce message soit universel, que toutes nationalités puissent s’identifier. Ça parle de moi, comme ça parle de toi mais aussi de l’autre”. En effet, à aucun moment elle ne mentionne le Liban dans son photo-film. Ce qui l’intéresse dans ce travail, c’est de mettre en avant les moments d’échanges et de partages autour de la nourriture. Ceci nous permet de garder un lien sensoriel, gustatif et olfactif avec notre culture.
Cet aspect multisensoriel elle le traduit tout d’abord dans le titre choisi Langue maternelle : “Je voulais un titre qui parle du multisensoriel du fait que ce sont des odeurs, un espace, quelque chose que tu touches, quelque chose qui t’es instantanément familier. La cuisine est un langage transmissible de génération en génération par nos mères et nos grands-mères, c’est donc un moyen de communiquer et surtout un moyen de rassembler les gens que j’aime. C’est ce que j’ai hérité de mes grands-mères. D’où le titre Langue Maternelle. Le clin d’œil au Liban sans le mentionner, se trouve dans mon choix d’avoir un titre qui marche dans les 3 langues parlées par les Libanais (Arabe Libanais, Français, Anglais). Les participants s’expriment alors dans la langue qu’ils veulent, puisque c’est aussi ça notre identité. Ça me ressemble et ça nous ressemble.”
Cette vidéo multimédia qui mélange photographie argentique, numérique et messages vocaux ou appels est un récit diasporique à la fois touchant et nostalgique. Le photo-film a été diffusé le 7 juillet parmi les restitutions des master class d’ŒilDeep à Arles.
L’artiste est à suivre sur son compte Instagram
Fabienne Touma
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