Romain Froquet : “Le plaisir de créer est propre à l’art urbain”
Depuis le début des années 2000, l’élégant plasticien urbain Romain Froquet est inarrêtable. Le caméléon de 38 ans crée sans compter et transforme tout espace en atelier. Cette année, il sera exposé au Pavillon Carré de Baudouin, à l’Atelier d’Estienne, à Fluctuart ainsi qu’à la galerie moscovite Askeri.
Tu es plutôt artiste contemporain ou street artist ?
Rien ne me dérange. Je me sens artiste avant tout. La casquette “art urbain” me va autant que la casquette “art contemporain”. Ce n’est pas à moi de décider l’étiquette que les gens vont me mettre.
Dans un monde orienté vers toujours plus d’authenticité, pourquoi as-tu choisi l’abstraction des “lignes” ?
La lecture de l’abstraction est plus compliquée que celle de la figuration, car la présence de formes et de couleurs sans éléments figuratifs laisse davantage place au ressenti, qui peut être difficile d’accès. Plus jeune j’étais passionné par l’art africain, ethnique, les arts “primitifs” plus généralement. Ma première ligne était donc tribale, puis elle a évolué vers le figuratif quand j’ai commencé à travailler le portrait. Mais je ressentais l’envie de créer quelque chose de plus singulier, ce qui me semblait impossible avec la figuration. J’ai donc entamé un processus de décomposition des formes, des visages et des masques avec une inspiration calligraphique. La calligraphie chinoise est un art que l’on apprend toute une vie, en répétant un geste, une ligne, un motif ; c’est comme ça que j’ai créé mon propre langage pictural abstrait. Finalement ce fut un long cheminement jusqu’à cette ligne, qui représente le lien (entre les humains, les générations…) et me permet aujourd’hui d’exprimer mes émotions.
Lignées, c’est le nom de ton exposition au Pavillon Carré de Baudouin qui avait débuté le 24 janvier. Elle va reprendre ?
Elle redémarre mi-juillet et sera prolongée jusqu’à fin septembre !
Dans cette expo on retrouve majoritairement du bleu et du noir. Pourquoi ?
Le noir c’est l’encre de Chine, elle m’accompagne depuis que je dessine. Symboliquement c’est la terre, mais c’est aussi à la fois la pureté, et la densité. J’aime cette couleur complexe parce qu’elle me sert à contraster, cerner, poser des frontières nettes mais aussi à lier les éléments entre eux : c’est le paradoxe de la ligne finalement. La ligne relie les choses entre elles mais elle les divise également. La dernière salle de l’expo est une accumulation de grandes toiles bleues suspendues. J’ai choisi de plonger les spectateurs dans un aquarium grâce à cette couleur que l’on retrouve dans tous mes tableaux. Je ne peux pas me passer du bleu, c’est une couleur qui m’attire. Elle appelle à l’harmonie.
Tu fais partie du collectif 9ème concept qui fête ses 30 ans cet été à Fluctuart. Quelle influence cette collaboration a sur ton travail individuel ?
J’ai intégré le collectif à 18 ans alors que je ne savais pas dessiner. Ils constituent ma famille artistique ainsi que ma formation. Grâce à eux, j’ai tout de suite intégré la collaboration dans mon processus de création. Le collectif est composé de personnalités très différentes, ça créé une complémentarité. Pour exister et être identifié au sein du groupe j’ai dû développer mon style. La meilleure façon d’apprendre c’est d’être au contact d’autres artistes. On a tous évolué de notre côté et aujourd’hui on est une vingtaine d’artistes [au sein du collectif] à se retrouver pour cette exposition à Fluctuart. Elle sera divisée en trois expos très différentes et durera six mois, avec une centaine d’artistes qui interviendront.
Qu’est-ce qui t’inspire ?
Je suis obnubilé par la ligne. Que ce soit un fil électrique qui pend dans la rue, une route ou encore la ligne d’un arbre : tout m’inspire, lorsque je le lie à l’Homme et à la planète. Les humains sont connectés les uns aux autres, par des liens qui ne sont pas palpables, mais ils le sont profondément. Par là le confinement a été très fort ; alors que le monde s’était arrêté, nous n’avons jamais été aussi connectés. Dans Lignées je m’interroge sur internet : le réseau informatique mondial ne constituerait-il pas nos nouvelles racines ? Finalement mon inspiration vient de nous, êtres humains.
Du 28 juin au 20 septembre 2020 tu seras exposé à l’Atelier d’Estienne à l’occasion de l’exposition L’art chemin faisant…
Cette année le centre d’art contemporain est axé vers l’art urbain. Ils m’ont proposé de créer une série d’installations in situ. Élise Herszkowicz, co-commissaire de l’exposition, a également invité Lek et Sowat, Sébastien Preschoux ainsi que Cristobal Diaz, alors, le parcours artistique sera vraiment riche ! Je souhaitais faire voyager Lignées avec une partie dédiée à Highway et aux photos satellites mais mon travail sera très ciblé sur Pont-Scorff, la ville bretonne où se situe l’Atelier d’Estienne, et, plus globalement, la Bretagne. On y verra des fresques murales ainsi que des grandes toiles. Dans une salle lumineuse qui me fait penser à une chapelle, j’exposerai un assemblage de couleurs “de vitraux”, de lignes et de toiles. L’objectif est de plonger le spectateur dans l’illusion d’une lumière qui passerait par des vitraux. Il y aura également un “urban tree” mural en extérieur !
La création sera in situ, en quoi cela diffère d’un travail en atelier ?
Ça ne diffère pas vraiment parce que je serai seul, et le lieu sera mon atelier pendant deux semaines. Il aura deux vies : atelier puis salle d’exposition. Ouvrir son intimité au public c’est très émouvant.
Mur, toile, papier : sur quel support préfères-tu travailler ?
Cela dépend vraiment des périodes. Parfois j’ai envie d’expérimenter avec du très grand. D’autres fois, je reviens au papier, en format A4, et j’aime y travailler l’encre de Chine. Je peux jeter ceux qui ne me plaisent pas, sur un mur c’est plus compliqué. Je travaille aussi le bois et le volume qu’il offre m’intéresse. Cependant la toile est mon support préféré. Elle est noble et sacrée mais j’ai appris à la dompter, à jouer avec et aujourd’hui je travaille en déroulant des mètres de toile, que je travaille au sol ou bien au mur, et, je fais de très grandes peintures que je décompose par la suite pour les mettre sur châssis. Je prends beaucoup de plaisir avec chaque support, c’est essentiel dans mon processus de création. En réalité c’est assez propre à l’art urbain, je connais peu de street-artistes qui travaillent dans la souffrance.
Ton réseau social préféré et le compte que l’on devrait tous suivre ?
Instagram sans hésiter. Je vous conseille de regarder les stories hyper sympa de @grisfluo !
Propos recueillis par Salomé Guez
Découvrez Lignées de Romain Froquet jusqu’en septembre 2020 au Pavillon Carré de Baudouin. Retrouvez-le également au centre d’art urbain flottant Fluctuart, avec son collectif 9ème concept cette fois-ci, du 2 juillet au 20 décembre 2020. Enfin, ses installations in situ seront exposées du 28 juin au 20 septembre 2020, à l’occasion de l’exposition L’art chemin faisant 2020, à l’Atelier d’Estienne !
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