Romain Froquet : “L’art ce n’est pas quelque chose que l’on doit garder pour soi, c’est quelque chose que l’on doit partager”
Depuis 20 ans, Romain Froquet, nous émerveille avec son travail qui tourne autour de la ligne. Exposé à Épinal jusqu’au 18 décembre, l’artiste nous emmène dans son monde où l’amour de la ligne et la couleur bleue dominent. Entre évolution, liberté de création, réflexions et audace, rencontre avec le passionnant Romain Froquet.
Ton travail tourne autour de la ligne depuis toujours. Si ton travail a évolué avec les années, la ligne reste le thème principal de ton art. Pourquoi donc ?
C’est une trame, une espèce de fil conducteur de mes recherches plastiques. Je m’imagine faire évoluer mon travail autour de ce sujet toute ma vie. Ce qui veut dire que je suis certes dans une perpétuelle construction, et aujourd’hui mes recherches se sont portées sur un questionnement du lien justement. Ce qui m’a amené à travailler sur beaucoup de choses comme des thématiques liées à la nature, des choses liées beaucoup plus à l’urbanité, des installations, de la peinture, etc. Ce qui veut dire que j’ai un champ de recherche très large, mais je me dois de toujours ramener mon travail à mon questionnement de la ligne, du lien, et des connections.
Aujourd’hui tu as 40 ans, cela fait donc un certain moment que tu vis de ton art. Est-ce que tu trouves que cela a un impact sur ton travail ? Remarques-tu ton évolution ?
À 40 ans, je pense que tu as une certaine maturité. Relative certes, mais je pense que tu as une certaine maturité, d’une part, au niveau du travail plastique : j’ai démarré lorsque j’avais 20 ans. Cela veut dire que j’ai 20 ans de travail, 20 ans de recherche graphique, donc il est vrai qu’il y a une certaine maturité à ce niveau-là. Mais il y a aussi une maturité sur mon questionnement d’artiste. C’est vraiment les deux choses sur lesquelles je me rends compte que je ne travaille plus de la même façon qu’il y a 20 ans.
Ça ne veut pas dire que je me sens vieux, je ne ressens pas encore de limite physique dans ma pratique de la peinture. En revanche, je me rends compte que je n’aborde plus les choses de la même manière. Il y avait peut-être un peu plus de spontanéité, alors qu’aujourd’hui je suis plus dans la réflexion lorsque je m’engage sur un projet, ou une exposition. Disons que j’ai un peu plus l’impression de savoir où je vais, j’ai une direction à suivre. Ce qui n’était pas le cas quelques années auparavant.
Tu viens d’exposer à Épinal, où tu as travaillé sur des supports sortant de l’ordinaire. On y a retrouvé notamment du bois mais aussi des gaines en plastique. Est-ce que c’est une nouvelle manière de travailler ton art ? Est-ce que cela fait partie d’une véritable évolution de travail ?
De façon très schématique, je vais séparer une exposition dans une galerie, d’un mur que je vais faire dans la rue, d’une collaboration que je vais faire avec une marque, de ce genre d’exposition. Dans ce genre d’exposition, on est dans un cadre très particulier : c’est un centre d’art, donc il n’y a rien à vendre. L’exposition est gratuite et ouverte à tous. Je ne me sens donc pas jugé, et je ne vais pas non plus juger de la réussite de l’exposition sur le nombre de tableaux vendus.
Je me donne donc une vraie liberté de création quand je suis dans ce cadre-là. Je prends ainsi ce moment pour expérimenter, pousser mes limites. Je ne pense donc pas forcément à ce que le public va penser de mon travail. Je me permets donc d’essayer d’aller au bout de mes idées et donc j’utilise plein de supports différents.
La toile c’est effectivement mon premier amour, c’est le support sur lequel je me suis construit. Mais là je suis dans un centre d’art, je suis libre donc je fais des œuvres grandes, petites, pérennes ou éphémères. Je me l’autorise.
Tu as abordé deux éléments qui sont très intéressants, notamment le fait d’enfermer les artistes, de vouloir plaire à tout prix pour vendre notamment. Est-ce que c’est dur de trouver l’équilibre entre la liberté de faire et le fait de vouloir plaire à un potentiel acheteur ?
Honnêtement, j’essaie de ne pas plaire à l’acheteur, ce sont des pièges dans lesquels on peut tomber. Je parle de piège certes, mais j’ai conscience que chacun a sa propre vision sur ce point. Mais j’ai tendance à penser que si je me concentre sur l’autre et comment l’autre va percevoir mon travail, ça va corrompre mes idées et mes envies. J’essaie vraiment, dans la mesure du possible, de faire abstraction de cela. Après, lorsque tu présentes des œuvres dans une galerie, tu vas forcément penser à des côtés logistiques comme la taille de l’œuvre. Donc forcément, je pense un peu à l’acheteur pour des questions comme ça mais lorsque je crée, lorsque je suis devant mon tableau, j’essaie de me focaliser sur moi et non sur les autres. Je fais, et si ça plait, c’est tant mieux mais ce n’est pas une finalité.
Tu t’es fait une place importante dans le milieu de l’art notamment avec une signature qui est très forte. On arrive facilement à reconnaitre tes œuvres car elles reposent souvent sur le travail de la ligne et de la couleur bleue. Tu l’évoques une fois de plus au sein de ton exposition à Épinal.
Est-ce que c’est une fierté pour toi d’avoir une signature aussi forte dans ton travail ou c’est plutôt quelque chose qui te fait peur et qui tend à t’emprisonner ?
Je t’avoue que je ne m’en rends pas forcément compte. Je me rends compte que j’ai une certaine notoriété dans le milieu de l’art urbain, à Paris on va dire. Mais après, c’est difficile de se rendre compte de la portée de son travail et comment les gens peuvent nous mettre ou non dans des cases. Et sur cela, j’ai peu de recul là-dessus.
Le bleu, les lignes, c’est en revanche, quelque chose que j’ai souhaité garder mais ça s’inscrit aussi dans la continuité de mon travail. Pour le bleu, c’est venu petit à petit, c’est-à-dire que j’ai vraiment une attirance pour le bleu que je n’ai jamais vraiment su expliquer. Le bleu était une couleur récurrente dans mes toiles, à tel point que je m’interdisais quelque fois d’en utiliser, et pourtant je finissais toujours par aller en chercher !
Pour aller plus loin dans mon attirance envers la couleur bleu, j’ai démarré un nouveau travail autour de cette couleur en y apportant une réflexion autour de la lumière.
C’est l’océan, le ciel… Je vais voir plus large que cette idée en me disant cette lumière elle est différente partout et cela entraîne de travailler sur des bleus qui sont donc propre à un endroit en raison de sa lumière unique.
Je marche donc énormément pour découvrir toutes ses nuances, et je me sers de ce que je vois comme sources d’inspirations. Avec mon exposition à Épinal, je voulais vraiment travailler sur ce bleu des Vosges et ainsi proposer une exposition qui parle aux gens, qui est en lieu avec leur territoire.
Pourquoi exposer à Épinal alors ?
Le hasard de la vie j’imagine. J’ai fait une grande fresque murale à Saint-Dié-des-Vosges et j’y ai rencontré des gens. Cela m’a permis de découvrir ce centre d’art La Lune en Parachute qui fait des expositions d’art urbain. Ils ont notamment exposé Madame pendant un temps. C’est un centre qui a une vraie histoire. Donc voilà, comment j’ai exposé à Épinal : les hasards de la vie.
Pour revenir à ton travail et notamment ton attachement aux lignes, qu’est-ce qui te plait tant dans la ligne ? Est-ce que cette dernière t’apaise ?
Effectivement, je dirai plutôt qu’elle m’apaise. Je travaille sur des lignes courbes, et j’ai tendance à penser qu’une ligne droite raconte moins de choses. C’est vraiment une question de point de vue dont je débats souvent avec des amis artistes qui préfèrent la géométrie parfaite des lignes droites.
Si je préfère les lignes courbes, c’est notamment en raison de l’origine de mon travail très ethnique, très tribale et dont beaucoup de choses partent du symbole de l’infini. Donc on est vraiment dans la courbe et ce symbole de l’infini, il montre bien ce qui m’attire : l’infini.
Plutôt apaisant de se dire que mon travail est dans l’infini et n’a pas vraiment de fin, c’est ce qui me plait.
J’ai l’impression que tu aimes faire participer le spectateur. Que cela soit dans une certaine nuance de bleu qu’il pourrait reconnaitre ou encore dans cette idée de la ligne que tu commences et que tu laisses au spectateur le loisir de la continuer.
Oui, ça ne vient pas de nulle part cette idée. J’ai démarré dans un collectif qui avait pour concept de rendre l’art accessible à tous. L’art ce n’est pas quelque chose que l’on doit garder pour soi, c’est quelque chose que l’on doit partager. Dans mon exposition à Épinal, toutes mes installations étaient manipulables. Il y avait notamment une grande installation avec des drapés et l’on poussait les visiteurs à les toucher, à déambuler à l’intérieur. J’ai vraiment cherché à rendre mon exposition pas forcément participative mais généreuse.
Pour finir cette interview, trois mots pour décrire ton travail ?
Nature, persévérance et espoir.
Suivez le travail de Romain Froquet sur son site Internet et son compte Instagram
Retrouvez-le à l’occasion de l’exposition CAPITALE(S), 60 d’art urbain à Paris à l’Hôtel de Ville de Paris jusqu’au 11 février 2023. Entrée gratuite sur réservation.
Propos recueillis par Tiphaine Conus
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