Robert Fohr : “La crise sanitaire a clairement eu un effet sur le mécénat culturel”
Le chef de la mission du mécénat au ministère de la Culture a accepté d’évoquer avec nous son rôle ainsi que des éléments de l’actualité du mécénat culturel.
En quoi consiste exactement votre mission ?
La mission du mécénat met en œuvre la politique de mécénat du ministère, définie par le secrétariat général et le cabinet de la ministre. Elle assure la promotion des dispositions juridiques et fiscales et contribue aux réflexions relatives à l’évolution de ces mesures. Elle est l’interlocutrice des autres ministères, conseille les opérateurs publics, les porteurs de projets, les entreprises et les particuliers. Elle peut apporter son concours à des levées de fonds initiées par les directions métiers et les établissements du ministère. Elle évalue et contrôle, en liaison avec la mission fiscalité, l’impact fiscal du mécénat culturel. Enfin, elle valorise le développement du mécénat culturel et ses acteurs.
La mission du mécénat anime un réseau. Quel est le rôle des correspondants mécénat ?
Depuis une quinzaine d’années, nos correspondants mécénat, principalement ceux des DRAC, consacrent une partie variable de leur temps (ils ont généralement des fonctions principales autres) à faire connaître la législation en vigueur, à favoriser les bonnes pratiques et à rapprocher acteurs culturels, entreprises et donateurs potentiels. Leur action concertée au niveau régional et local a beaucoup contribué au développement du mécénat dans le tissu économique.
Pouvez-vous aussi me parler des « Jeudis du mécénat » que vous organisez ?
Lancés il y a quinze ans déjà, ce sont des rencontres entre mécènes, professionnels du mécénat et porteurs de projets. Ils ont pour objectif de faire connaître au plus large public, à travers des expériences significatives, les développements et les problématiques du mécénat culturel. La dernière rencontre, consacrée au spectacle vivant en région Grand-Est, a eu lieu au Théâtre national de Strasbourg, le 22 octobre. Nous espérons organiser le prochain avant l’été, mais tout dépendra du contexte sanitaire évidemment.
Le nombre de fonds de dotation a explosé depuis leur création en 2008-2009. Beaucoup de ces fonds concernent-ils le monde de la culture ?
Oui, d’après les derniers chiffres, les fonds de dotation à objet culturel ou patrimonial représentent plus de 20 % des fonds créés (plus de 3 000). Si les fonds de dotation sont créés en majorité par des particuliers, il apparaît que les entreprises et le monde associatif s’y intéressent de plus en plus en raison de la simplicité de leur création, analogue à celle d’une association, et de la souplesse de leur gouvernance.
La limite : le fonds de dotation ne peut pas recevoir de subventions publiques (sauf accord exceptionnel du ministère de l’Economie et des Finances), ni de dons déductibles de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Le mécénat s’avère plus indispensable que jamais pour l’équilibre financier des acteurs culturels. Quelle est la part du mécénat dans les finances de ces établissements ?
Cela est très variable selon les types de structures et les années. Ce que l’on peut dire, c’est que la recherche de partenaires en mécénat et en parrainage est une activité qui s’est beaucoup professionnalisée dans les structures culturelles publiques et privées. D’ailleurs, elle a sa place dans les organigrammes depuis longtemps.
Si l’on observe les données fiscales globales (et pas seulement le secteur culturel), le mécénat n’a jamais cessé de progresser depuis la loi Aillagon de 2003, même si sectoriellement, il a pu connaître des tassements à certains moments. Il s’agit maintenant d’une démarche très ancrée dans les mentalités françaises et les stratégies des entreprises.
La crise sanitaire a-t-elle eu un effet sur le mécénat culturel ?
Oui, c’est assez évident, en raison de l’annulation des événements soutenus par les mécènes et de la fermeture des établissements, mais aussi dans une moindre mesure, d’une certaine forme de redistribution vers les priorités du moment : le fonctionnement des hôpitaux, l’aggravation de la grande pauvreté, la recherche sur les virus et les besoins du secteur éducatif.
Cela dit, ce que nous savons des données que nous sommes en train de rassembler ne traduit pas un effondrement. Il y a même les signes intéressants de l’émergence d’un « mécénat d’accompagnement » dans un contexte où le « mécénat de projet » se heurte à l’annulation des événements programmés : certains donateurs individuels et des entreprises ont à cœur de soutenir le fonctionnement de structures avec lesquelles ils sont liés depuis des années, en dépit des événements annulés qui occasionnent des pertes importantes de recettes.
Le dispositif fiscal du mécénat est régulièrement questionné. Craignez-vous une remise en cause des règles actuelles ?
Suite au rapport de la Cour des Comptes de novembre 2018, auquel vous faites allusion, les dispositions relatives au mécénat des entreprises ont été modifiées par le législateur pour répondre à deux objectifs : d’une part, contenir la dépense fiscale liée au mécénat des principales entreprises contributrices (moins de 80 entités) ; d’autre part, donner de la marge au mécénat des petites entreprises en créant un plafond alternatif de 20 000 euros.
Par ailleurs, le mécénat de compétence est mieux encadré et les entreprises sont dorénavant soumises à une obligation de déclaration à partir de 10 000 euros de dons annuels. C’est une réforme très ciblée qui marque la volonté de l’Etat d’être attentif au développement du mécénat ce qui montre bien à quel point cette pratique est implantée.
Quel regard portez-vous sur l’élan de générosité qui a suivi l’incendie de Notre-Dame ? Et sur les quelques critiques qui se sont fait entendre ?
Cet incendie a suscité une émotion considérable en France et dans le monde entier. L’élan de générosité qui s’en est suivi immédiatement a permis de lever plus de 815 millions d’euros (dons encaissés et promesses de dons contractualisées) provenant de plus de 340 300 donateurs, particuliers, entreprises, fondations, collectivités de France et de l’étranger, ce qui reflète l’importance de ce monument comme symbole de Paris et de la France. 95 % des dons proviennent de donateurs et d’entreprises françaises et les 2/3 de la somme collectée de grandes fortunes, fondations et entreprises françaises, dont certaines ont annoncé ne pas attendre d’avantage fiscal.
L’effet d’éviction sur les dons en faveur d’autres sites et d’autres causes d’intérêt général est contredit par le nouvel élan de solidarité qui a vu le jour un an plus tard dans le cadre de la crise sanitaire liée au Covid-19. On peut considérer, au contraire, que ces événements ont été des catalyseurs de la générosité des Français, lesquels se mobilisent rapidement dans les situations d’urgence.
Propos recueillis par Lionel Favereau
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