Robert Combas : “Je ne suis pas un clown !”
Vous êtes constamment au travail. D’où vient cette énergie ?
J’ai une force de travail titanesque, mais en dehors de ce travail je ne vois rien, je ne sais rien faire – je n’ai jamais utilisé une carte bleue… J’ai besoin de gens qui m’aident. J’emmagasine des images, mais je ne comprends pas les choses intellectuellement au départ. J’ai fait ma culture sur le tas. J’ai fait les Beaux-Arts, et j’y ai capté l’art contemporain d’aujourd’hui, proche du conceptuel. Et j’ai fait ma sauce. Pour moi, l’important c’était d’être nouveau, original, de m’étonner moi-même. J’essaye de me comprendre. Comme artiste, je pense être le plus mauvais et le meilleur. Pour être le meilleur, il faut être le plus mauvais aussi. C’est très oriental, très zen… Une partie de ma culture, c’est le mal fait bien fait, j’y crois beaucoup.
Peindre Geneviève, votre compagne plusieurs décennies durant, c’est une façon de construire votre propre mythologie ?
C’est une histoire d’amour en couleur. On dit : « Je t’en ai fait voir de toutes les couleurs » – et c’est vraiment ça. Je suis très difficile à vivre et très fatigant. Je peins une vie ensemble, une vie de remise en question par moments. C’est la vie, dans ce qu’elle a de plus grand et aussi le contraire. Ce morceau de ma vie peut représenter un morceau de la vie des gens. C’est l’amour qui nous fait souffrir. Le Paradis, c’est très froid, il suffit de voir les représentations qu’en font les religions. Donc on est attiré, peut-être pas par l’enfer, mais par ce qui nous fait du mal. Nous sommes enfermés dans notre corps, notre cœur. Je me pose beaucoup de questions. Parce que je fais une peinture humaine, on y trouve ma sensibilité, et la façon dont je me bats contre elle. Geneviève représente pour moi toutes les autres femmes. C’est la femme contemporaine, celle qui est en train de prendre le pouvoir que les hommes leur ont confisqué pendant des siècles. Ma mère était très différente… Et il faut être conscient de son féminin.
Quelle place tient la couleur à vos yeux ?
La couleur est une chose naturelle. Je m’y vautre. Comme j’ai l’esprit tout le temps en action, je me fatigue moi-même. Donc de temps en temps, il faut que je fasse des tableaux noirs et blancs. En ce moment, je suis en train de préparer une grande exposition noir et blanc à Montpellier dans une église néogothique, qui sera un écrin pour mon travail. Là, je travaille des nuances entre le beige et le gris, dans la tonalité pierres de l’église. Dans les églises, j’aime capter les énergies – vous saviez qu’elles se trouvent souvent sur sites telluriques ou d’anciens sites sacrés ? Même au sein de la couleur, j’ai des moments et des styles un peu différents.
Les titres de vos tableaux sont très souvent des œuvres en soi …
Tout est un moyen de communiquer avec les autres. Même si je fais beaucoup de frime, dans le bon sens du terme, au fond j’ai beaucoup de problème de communication. J’écris dans mes tableaux parce que c’est une façon de donner un plus – comme dans les Pifs gadgets, ou il y avait un jouet en prime ! Le prix des tableaux me complexe, et j’ai envie de donner quelque chose que tout le monde puisse avoir. Je voulais aussi écrire des choses que je ne voyais pas en littérature.
C’est une forme de poésie ?
Longtemps, je n’ai pas voulu entendre parler du mot poésie. La poésie m’intéressait et m’ennuyait à la fois. Je voulais qu’on voie autre chose. Et pour cela il me fallait une rigueur. Mes titres sont des histoires. Si elles n’intéressent personne, ce n’est pas grave. C’est en travaillant qu’on parvient à quelque chose. Construire ces titres, c’était un peu comme du sport, cela m’entraînait à écrire des choses qui ensuite m’ont servi dans la chanson, auquel je me suis mis aujourd’hui, et dont les textes sont assez sophistiqués pour certaines. Mes chansons m’ont permis de parler au premier degré, sans l’humour et le côté paillard de mes toiles. Mais là aussi, c’est beaucoup de travail, de répétitions, chaque semaine. Je prends ça très au sérieux. J’ai un humour qui pourrait paraître un peu clown, mais je ne suis pas un clown !
Que ressentez-vous face à une toile ?
Je travaille comme dans un labyrinthe. Je fais beaucoup de toiles de deux mètres sur deux. Quand je fais des performances, ou même quand je suis seul chez moi face à une toile, je recule rarement. Je suis dans le labyrinthe, et je dois en sortir. Je me mets à genoux. J’ai d’ailleurs les jambes massacrées à force de piétiner. Je ne sens pas la douleur quand je peins, je prends des poses que je ne devrais plus prendre depuis longtemps. Ca donne des varices, vaisseaux qui explosent. Le corps, je l’oublie quand je crée. C’est une heure ou deux après qu’il me rappelle qu’il existe…
Quel souvenir gardez-vous de l’aventure de la figuration libre ?
J’étais pris entre deux feux : prôner un groupe ou exister comme individu. Est-ce qu’il valait mieux que je reste seul ? Finalement c’est un peu le groupe qui a gagné. Les artistes, on les connaît sans les connaître. Souvent, on connaît un style et un seul. J’ai une peinture que soi-disant on reconnaît à première vue, mais si on regarde bien, je n’ai pas un seul style. Par exemple mon travail de dessin est aussi intense que ma peinture. Mais on peut penser ce qu’on veut de mon travail, l’essentiel est que je sois intègre. Ce n’est pas très important d’être populaire si on a quelque chose à dire. Je suis un artiste humain, avec mes qualités et mes défauts. Mes traits ne sont pas droits. J’ai à la fois une culture classique et une culture de l’image de masse, de la télévision. J’essaye d’en faire quelque chose parce que parfois c’est un trop plein d’images, un trop plein de vie. Je ne sais qu’une chose, ce n’est pas encore le moment de ma mort.
Sophie Pujas
Portrait de Geneviève ma fiancée en princesse du Sud, 1987
Femme mélancolique pensant à quelque chose de privé, 1994
Portrait de Geneviève période bleue, la barraca flamenca, 1999
© Robert Combas
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