Rencontre orientale avec l’illustratrice Sandrine Thommen
Depuis de nombreuses années, l‘illustratrice Sandrine Thommen s’épanouit dans un style pictural influencé par les cultures orientales. Retour sur le parcours et les projets d’une artiste qui voyage en explorant ses envies.
Depuis le premier livre que tu as illustré, La fleur du mandarin aux éditions Actes Sud Junior, tu ne cesses de t’inspirer des cultures orientales. Comment est née cette passion ?
Cette passion est née pendant mes études à l’École des arts décoratifs de Strasbourg (qui s’appelle maintenant la HEAR). À ce moment-là, je me cherchais un peu au niveau illustratif, je n’étais pas encore très affirmée dans ma personnalité graphique. Une professeure d’histoire de l’illustration nous a montré une miniature persane originale et ça a été le déclic ! Cette peinture très fine avec un côté naïf, sans perspective ni ombres mais dégageant pourtant une étrange profondeur, m’a fait entrevoir une très belle manière d’allier force et légèreté. C’est en essayant de dessiner comme cela que j’ai commencé à utiliser la gouache, qui permet d’avoir un aspect mat tout en ayant des couleurs très intenses et fines. Avec cette nouvelle façon de dessiner, j’ai directement senti que quelque chose se passait, ça interpellait davantage les gens tout en me libérant.
Ces influences orientales sont aussi présentes dans ton travail pictural à travers des compositions aplaties et des détails subtils. Adaptes-tu aussi tes couleurs en fonction de la culture sur laquelle tu travailles ?
C’est un subtil mélange de documentation et d’intuition qui conduit à mes choix colorés. J’adapte les couleurs en fonction de l’ancrage culturel, mais aussi de l’atmosphère émotionnelle des histoires que je souhaite raconter.
Ce savoir-faire tu l’as mis au profit des plus petits. Est-ce que la littérature jeunesse te laisse une plus grande place à l’imaginaire et à la créativité ?
C’est vrai que la littérature jeunesse laisse une grande place à l’imaginaire et à la créativité, et c’est ce qui m’a toujours plu. Mais je me rends compte à présent que j’ai aussi envie d’évoluer vers des choses plus adultes, tout en gardant cette liberté qu’on peut trouver dans le livre jeunesse…
Des projets plus adultes dont tu serais l’auteure ou plutôt l’illustratrice ?
Éventuellement des projets à moi, mais j’ai aussi en tête un projet de collaboration, qui doit encore rester confidentiel… ! Les derniers documentaires que j’ai illustrés avec Actes Sud Junior et l’autrice Fleur Daugey – Yôkai !, Les Oiseaux globe-trotters et un autre qui paraîtra l’année prochaine sur les volcans – sont classés en album jeunesse mais à mes yeux, ils sont à la frontière entre jeunesse et adulte. En règle générale, quand je fais mes images je ne pense pas forcément qu’à la jeunesse mais plutôt à un public large et global.
Dernièrement tu as travaillé sur Sindbad le marin, sorti l’année dernière aux édition Belin. Qu’est-ce qui est le plus important quand on se saisit d’un récit aussi célèbre pour l’illustrer ?
Tout d’abord, ce qui m’a importé a été la justesse des décors, des objets et des costumes. L’autrice Viviane Koenig m’a fourni d’une documentation précieuse concernant Bagdad au IXe siècle. Ensuite, j’ai souhaité me rapprocher au maximum d’un style de représentation rappelant les miniatures persanes. Le recueil des Mille et une nuits est plus ancien que la période phare des miniatures persanes, mais me référer à ces images était une façon de m’approprier le récit, tout en restant dans une influence très ancienne et Moyen-Orientale.
Tu as aussi beaucoup travaillé autour du Japon, y a-t-il un conte traditionnel japonais que tu affectionnes particulièrement ?
Il y a une légende japonaise qui me touche beaucoup que j’ai découvert dans le film La Ballade de Narayama de Shôhei Imamura (Palme d’Or au Festival de Cannes en 1983). Il s’agit d’une coutume mythique, qui n’a jamais été très répandue, mais qui a donné lieu à beaucoup de récits : il s’agit d’emmener une vieille personne en haut d’une montagne sacrée, quand c’est le moment pour elle de mourir, pour qu’elle y finisse sa vie en paix et en compagnie des dieux.
Dans mon livre La Grand-mère qui sauva tout un royaume, écrit par Claire Laurens, la menace que fait l’empereur aux personnes âgées fait référence à cette légende. Dans La Ballade de Narayama le point de vue est complètement différent, c’est une vieille femme qui accepte réellement d’être arrivée à la fin de sa vie. C’est son fils qui la portera sur son dos jusqu’au sommet sacré. Je trouve cette histoire très émouvante, surtout par le fait que cette femme affronte finalement seule ces derniers instants, avec un courage et une sérénité immense.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ? Quelles-sont tes inspirations ?
En ce moment je travaille sur un projet dont je suis l’autrice, un livre d’images très inspiré de mes premiers pas au Japon, à Kyôto en 2013, mais aussi, par petites touches, de mon récent séjour d’une année complète à Tokyo. Ce sera un livre assez contemplatif, un voyage qui se déroulera le temps d’une journée, avec très peu de texte, et dans lequel on survolera une ville du Japon d’aujourd’hui.
Pour ce qui m’inspire en ce moment, j’ai eu une grande prise de conscience féministe en rentrant du Japon. Depuis – et c’est nouveau – ce qui se passe en France au niveau des divers courants féministes m’intéresse et m’inspire beaucoup. Même si le Japon reste pour moi une immense influence esthétique, mon regard sur cette culture est en train d’évoluer, notamment sur l’idéalisation que j’avais du cadre familial japonais. Mes projets à venir vont à coup sûr se nourrir de cette confrontation entre deux ces pôles : délicatesse et révolution !
Pour en découvrir davantage sur les créations de Sandrine Thommen, retrouvez-la sur sa page Instagram ainsi que sur son site Internet.
Propos recueillis par Hélène de Montalembert
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