Rencontre avec Olivier Dassault, photographe de l’abstraction
À l’occasion de l’exposition “Perspectives – Franchir le seuil du visible” à la Galerie W, nous sommes allés à la rencontre d’Olivier Dassault. S’il dispose de plusieurs cordes à son arc, l’une d’entre elles, celle qui le fait peut-être le plus vibrer, est peu connue du grand public. Il manie en effet le Minolta avec tout autant de sensibilité que de modernité et ce, depuis des années.
Pourriez-vous nous décrire ce qui a provoqué chez vous le déclic de cette passion photographique ?
J’étais un adolescent assez timide quand j’ai débuté, et tenir l’appareil m’a aidé à m’affirmer, tant vis-à-vis du monde extérieur – des jeunes filles ! (rires) – que dans ma famille. L’appareil photo est devenu mon complice, mon intime, une part de moi. J’ai investi la photographie avec bien plus de curiosité et de goût que pour d’autres disciplines. J’ai expérimenté dans tous les sens ! Puis les reconnaissances qui ont suivi, les partages, quand j’ai commencé à montrer mes images, n’ont fait qu’asseoir le besoin que j’éprouvais de créer et de m’exprimer avec ce médium. Cela m’a montré que je choisissais le bon chemin.
Quelles ont été ou sont vos sources d’inspiration, et en avez-vous trouvées par exemple hors du domaine de la photographie ?
Les sources d’inspiration viennent de toute part, on se nourrit de tout ce qui nous entoure quand on est artiste. J’ai d’abord aimé faire des portraits, de ma petite sœur notamment, en leur donnant une atmosphère romantique, impressionniste ou encore symboliste que j’empruntais à la peinture. Dès ma plus tendre enfance, j’ai parcouru les allées des musées avec ma mère. J’ai donc pris goût très tôt aux arts visuels, auxquels s’est ajouté un immense intérêt pour la musique, qui là encore est au départ un héritage familial. Mes œuvres se sont enrichies, de manière totalement inconsciente de ma part, de ces “bagages”. Aujourd’hui, l’abstraction de mes photographies doit peut-être autant à ma sensibilité picturale qu’à une rythmique musicale qui m’est intérieure.
Comment votre style a-t-il évolué durant votre carrière artistique pour en arriver à vos créations actuelles ?
Je n’ai cessé d’expérimenter, jusqu’à trouver mon langage. Des premières créations figuratives, j’ai naturellement évolué vers l’abstraction, sans diktat ni mode pour m’influencer, simplement par sensibilité.
Quel élément est demeuré immuable dans vos photographies jusqu’à aujourd’hui ?
C’est la lumière et son rôle prédominant. C’est elle qui me guide. Le cadre et l’angle sont soumis à la vision qu’elle m’offre et lui procurent un “socle”. Qu’il s’agisse des portraits des débuts, des ciels, des paysages, puis plus tard des abstractions, c’est avec la lumière que j’écris – c’est d’ailleurs l’étymologie même du mot photographie. Et puis à la source, il y a mon Minolta, qui m’accompagne depuis mes débuts.
Actuellement, comme le démontre votre exposition “Perspectives – Franchir le seuil du visible” à la Galerie W, vous capturez un élément du réel, une simple matière métallique par exemple, et vous la travaillez comme un orfèvre pour nous révéler via l’abstraction un tout autre monde. Comment définiriez-vous cette esthétique qui vous est si propre ?
C’est une esthétique qui veut s’inscrire au-delà du visible – d’où le titre de l’exposition. Il s’agit pour moi de révéler (dans tous les sens du terme) une image, un motif, une forme, inédits, une “vie secrète” des éléments, des objets que nous avons tous les jours sous les yeux sans y prendre garde. J’aime l’idée de soulever un voile et faire surgir une émotion qui se cachait là, derrière la réalité matérielle.
Vous baladez-vous autant que possible avec votre Minolta en laissant place à la spontanéité, ou, au contraire, réfléchissez-vous en amont au résultat abstrait que vous recherchez à obtenir ?
Si j’ai développé un langage, je m’appuie néanmoins sur celui-ci pour improviser, toujours. Comme en musique : vous possédez votre instrument, votre technique, puis vous lâchez tout et vous laissez advenir l’image, l’émotion, l’intuition.
À partir de l’objet photographié, présentez-vous une approche davantage de l’ordre de la construction et de la prolongation pour apporter une nouvelle esthétique ou de la déconstruction totale pour créer un autre monde ?
Les deux ! Ce sont la lumière et la matière qui vont déterminer la naissance de l’œuvre. Parfois, je travaille sur l’intuition initiale, et à d’autres moments je vais m’arrêter sur une forme qui aura capté ma rétine, c’est alors avec elle que je vais créer un chemin jusqu’à l’œuvre.
Votre œuvre est riche et variée : est-ce le résultat de diverses recherches ? Êtes-vous en perpétuelle quête de “quelque chose de nouveau, différent” ?
En tant qu’artiste, on se trouve confronté à des interrogations sans fin en termes de création. Je parlais tout à l’heure des expérimentations tous azimuts que j’ai pu faire à mes débuts. Au-delà de cette “mystique personnelle”, chaque rendez-vous avec le public, donc aussi avec un galeriste, apporte de l’eau à votre moulin si je puis dire. Non pas que mon expression soit soumise à l’opinion des autres, mais je me nourris des sensibilités et des sensations du monde qui nous entoure. C’est à ce titre que cette fois-ci, je me suis ouvert à la lithographie et à l’édition de mobilier à partir de certaines de mes œuvres. C’était à la fois émouvant et étonnant, passionnant de travailler sur d’autres supports. Et c’est Eric Landau, de la Galerie W, qui m’y a encouragé.
Lorsqu’on parle de photographie, des termes comme la lumière, la forme ou la couleur viennent à l’esprit. Quelles terminologies vous interpellent le plus ? Et pour quelles raisons ?
Elles forment un tout qui ne peut se réduire à l’une de ses parties. La lumière sans la forme, la couleur sans la lumière, la lumière sans la matière… On pourrait davantage parler de “priorité” ? Et là c’est la lumière, son dessin qui ouvre la voie vers une géométrie, une mathématique émotionnelle. Cela me rappelle cette formule du peintre Pierre Bonnard que j’affectionne particulièrement : “Le dessin c’est la sensation, la couleur le raisonnement.”
Que recherchez-vous à créer chez vous et chez le spectateur via vos photographies ? Des sensations et/ou davantage, notamment dans cette période de crise sanitaire ? Vos photographies renferment-elles des sens cachés ?
Les sens cachés doivent le demeurer…! Je recherche l’émotion, et avec elle, par elle, la beauté, et sa vérité. Qui a dit “la beauté est l’éclat du vrai” ? Je veux que dans la vérité d’une œuvre le spectateur se perde, pour mieux se confronter à elle, puis à lui-même… C’est donc un voyage, qui nous permet soit de nous éloigner d’une actualité, terrible comme la crise sanitaire, soit de nous rapprocher de ce que nous avions oublié et qui est pourtant essentiel : la beauté du monde, à laquelle nous revenons, donc. C’est peut-être beaucoup demander, mais qu’est-ce qu’un art qui vous laisserait de marbre ?
Enfin, pour terminer, quelles seraient les définitions du beau et de l’art selon vous ?
Le beau est inqualifiable, ineffable, au-delà de toute notion d’esthétique formulée à travers les siècles. Il y a autant de beautés que de sensibilités, les canons ne valent plus grand chose et c’est pour le mieux : cela ouvre la voie à d’autres formes d’expression. Regardez l’essor, le dynamisme, l’inventivité du street art. En fait, je dirais même que les canons ont toujours été là pour être renversés et bousculés. Pour le seul résultat qui vaille à mes yeux : au-delà de toute considération, l’art doit toucher au cœur. Donner du sens. Le pire, c’est l’indifférence, non ?
Retrouvez toutes les informations relatives à l’exposition “Perspectives – Franchir le seuil du visible” à la Galerie W jusqu’au 27 septembre 2020 en cliquant ici.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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