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Rencontre avec le photographe Romain Thiery

© Romain Thiery

Féru d’exploration urbaine, Romain Thiery capture les patrimoines abandonnés du monde et les pianos qui y résident. Des photographies témoignant du passé qui seront très bientôt réunies dans leur propre galerie d’art, la RT Galerie, à Pézenas. Une passion qui perdure et dont nous parle aujourd’hui le photographe.

Comment vous définiriez-vous ainsi que vos photographies ? 

Je suis un photographe professionnel autodidacte, né en 1988 en Dordogne et vivant aujourd’hui près de Montpellier. J’ai débuté la photographie il y a dix ans, inspiré par le travail de ma mère, spécialisée dans la photographie patrimoniale. Ce passe-temps est devenu une passion et, finalement, un métier, le jour où j’ai découvert un piano dans un château abandonné du Sud de la France. 

Mes photographies sont des témoins du passé. Les lieux que je recherche correspondent à des critères servant ma démarche. Je souhaite rendre intacte cette atmosphère paisible, l’ambiance, les textures, la lumière, de ces lieux soient le plus naturel possible et suscitent l’interrogation. Pourquoi être parti en laissant tout derrière soi ? Qu’est-il arrivé ?

 Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce médium ? 

Après mes études en 2008, j’ai décidé de voyager seul avec mon appareil photo en Asie. Au début, la photographie était un pur hobby, mais ce voyage de dix mois fut une révélation. Même si j’utilisais déjà depuis longtemps un appareil, j’ai aimé photographier l’agitation, les couleurs, l’atmosphère et l’architecture particulière des pays d’Asie du Sud-Est. C’est à partir de ce moment-là que j’ai compris l’art de la photographie et décidé d’en faire mon métier.

En rentrant en France, ma mère avait commencé un projet : photographier et documenter le patrimoine de ma région natale. J’ai décidé de la suivre dans cette quête et depuis, je n’ai pas arrêté. En 2009, dans un château abandonné dans le sud de la France, nous avons trouvé un piano à queue oublié. Depuis ce jour, très spécial pour moi, j’ai su que ma vie artistique allait prendre un tournant et me suis donné pour mission de combiner mes deux plus grandes passions : la photographie et le piano. J’ai donc décidé de passer mon temps libre à la recherche des pianos abandonnés en Europe et de voyager pour les photographier.

© Romain Thiery

Que représente le piano pour vous ?

Il fait partie intégrante de ma vie. Autant en terme d’instrument, j’essaie de jouer tous les jours, que dans mon travail artistique avec ma série Requiem pour pianos. Le piano est enraciné dans les profondeurs de notre culture. Même couvert d’une épaisse poussière, il n’en finit pas d’imposer sa noblesse. Le piano est un instrument rassurant par son élégance naturelle, à tel point que, même soumis à l’usure du temps, il n’en demeure pas moins attachant et digne d’un respect sans faille.

Pendant plusieurs années, vous avez sillonné différents pays pour produire une série de photographie que vous avez intitulée Requiem pour piano.
D’où vient ce projet ?

Cette série s’est créée assez naturellement. Pianiste amateur et photographe, j’ai toujours voulu associer mes deux passions en un seul projet. Il a pris forme en 2009, grâce la découverte du château abandonné dans lequel gisait un piano à queue. Il n’y avait plus aucun autre objet. Mais il était là, immanquable. À sa droite, la cheminée était en lambeaux. Elle a été pillée, éventrée, son marbre emporté. Peu de choses ont résisté au temps et aux vandales, sauf ce piano. Dès lors, j’ai bien compris que tout s’emporte, sauf un piano à queue. Les habitants sont partis un jour avec leurs effets personnels. Par jeu, les vandales ont saccagé le reste, pas le piano.

Depuis ce jour, j’ai consacré mon temps à la recherche des lieux abandonnés où un piano se trouvait à l’intérieur, comme un trésor. Cela m’a pris environ quatre ans avant de réaliser les premières photographies officielles de ma série. Le temps pour moi de me créer un réseau solide, de faire connaître mon projet et d’économiser pour réaliser mes voyages photographiques à la recherche des pianos oubliés. Aujourd’hui j’ai photographié plus de cent pianos différents ce qui m’a permis de découvrir de nombreux pays tels que la France, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, la république tchèque, la Slovénie, la Belgique, la Roumanie, la Bulgarie et l’Ukraine.

© Romain Thiery

Vous avez édité, sous le même nom, un somptueux livre, associant vos photographies et partitions. Quel sens a-t-il pour vous ? Le ressentez-vous comme l’achèvement de votre série Requiem pour pianos ?

Il n’est pas simple de proposer un livre qui englobe toute une palette de photographies. Choisir les photos, les textes, les illustrations, quelle mise en page sera la plus propice. J’ai fait le choix de combiner mes deux passions dans cet ouvrage. La couverture reprend les codes des anciennes partitions de piano de Chopin, un de mes compositeurs favoris. On y retrouve à l’intérieur l’intégralité des photographies de ma série et des partitions de piano que j’aime jouer.

Lorsque l’on réalise un livre, il représente souvent l’aboutissement du travail. Je pense qu’après presque dix ans de recherches, il était temps que je les concrétise dans une seule et même œuvre. Mais je continue, je ne peux pas m’arrêter. Je découvre encore aujourd’hui de nombreux lieux.

Actuellement, mon ouvrage Requiem pour pianos est épuisé depuis environ un an. Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à sa réussite. Je travaille actuellement sur une deuxième édition.

Trouvez-vous les lieux que vous photographiez par hasard ? Comment préparez-vous vos voyages ?

Ce n’est pas évident. Premièrement, j’utilise des logiciels d’images satellites qui me donnent une première impression sur l’état du bâtiment, les toitures et jardins. Je ne recherche que des lieux type palace, château, manoirs, car je sais que c’est dans ce type de bâtiments que les familles avaient souvent un piano. J’ai aussi la chance d’avoir une certaine notoriété et beaucoup de familles m’écrivent directement pour que je vienne photographier des pianos qu’ils connaissent ou pour me mettre sur la voie de recherches précises. De plus, j’ai des amis dans le reste de l’Europe qui m’aident dans ce travail.

Que cherchez-vous à transmettre dans vos photographies ? 

Tout ce qui m’inspire : la beauté des lieux, la vie et la mémoire, le mystère de l’imagination. Quelles sont les histoires quotidiennes de ces lieux ? Qui les animait ? Qui jouait sur les touches de ce piano ? Mes photographies représentent un instant figé où chacun des éléments apparaît. Une porte ouverte où le spectateur est invité à s’engouffrer comme dans un livre, une dimension où toutes les histoires sont possibles. Se projeter hors du temps dans des lieux mystérieux, inconnus et laisser son imagination vivre et inventer leurs histoires … C’est un peu comme découvrir un roman et se plonger dedans ou dans un film où le seul travail et de se laisser rêver. La photographie est un art incroyable pour laisser libre court à tout cela et entamer des voyages.

Quels photographes ou séries nous inviteriez-vous à découvrir ?

De nombreux photographes m’inspirent et méritent d’être appréciés. Tout d’abord Richard Tuschman avec son travail photographique sur la solitude dans sa série Hopper Meditations, puis Sophie Calle avec son travail d’observation dans sa série The Hotel. Leurs travaux sont incroyables.

Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours et à venir ? 

Je travaille depuis quelques années avec une association Musique et spoliation qui s’occupe de la recherche des instruments spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Je récupère les numéros de série des pianos que je photographie et leur transmet afin qu’ils puissent en rechercher la provenance dans les archives. Je sais bien que je ne pourrais pas sauver les bâtiments que je photographie, mais je participe, à mon échelle, à la sauvegarde des pianos.

Je travaille également sur un projet mêlant les sons et la photographie. Je vais enregistrer les sons de tous les pianos que j’ai photographié afin de créer des compositions musicales et ramener, d’une certaine façon, ces pianos à la vie. L’idée est aussi d’enregistrer leurs sons dans des pianos numériques afin que les personnes qui visitent mes expositions puissent en jouer tout en étant en interaction avec les photographies.

Pour découvrir ses photographies, c’est ici, sur son siteson Instagram

Propos recueillis par Marie Coindeau-Mattei

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