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Rencontre avec l’artiste plasticienne Rouge Hartley

Photo de Luka Merlet, été 2019 © Rouge Hartley

Si vous avez un jour croisé son travail sur les murs d’une ville ou dans une galerie, il est impossible que vous ayez oublié ses œuvres. Rouge Hartley est une artiste plasticienne, qui exprime tout sujet sur tout support. Elle nous fait le plaisir de la découvrir.

D’où vient ton nom d’artiste ? 

Je l’ai choisi lorsqu’il devenait évident que je ne pouvais pas continuer à travailler dans l’anonymat. Il m’a accompagné dans la rue les premières années de collage. Il me vient du film Fond de l’air est rouge, de Chris Marker, et j’ai la chance d’être toujours à mon aise dans ce nom aujourd’hui, auquel j’ai récemment assumé d’ajouter mon nom de famille pour me rendre plus facilement identifiable. 

Rouge me va toujours : nom commun, primaire, simple mais multiple, à la fois pictural et littéraire, engagé, non genré, il est assez vaste et assez sobre pour me laisser y peindre ce qui m’habite. 

Comment te définirais-tu en tant qu’artiste ?

Ça fait seulement quelques années que je me définis comme artiste tout court, et si je devais y ajouter une dimension, je dirais que je suis artiste dans le sens simple du métier quotidien. En effet, quel que soit mon projet du moment, la constance est la quotidienneté, et personne ne peut aujourd’hui m’enlever ces heures en face à face avec ma pratique.  Il s’agit avant tout de lire, regarder, laisser des fragments s’associer en un paysage cohérent, et tenter de regarder ce paysage avec le plus d’honnêteté possible pour comprendre ce qu’au fond, ma pratique raconte, autour de quelques piliers comme la narration, la figuration, et un alentour politique. Depuis quelques années, je me concentre de plus en plus sur la peinture et c’est elle qui me permet aujourd’hui de regarder le monde.

Collaboration avec Madame © Rouge Hartley

Artiste aux nombreux talents, tu multiplies les supports et les techniques. Qu’est-ce qui te séduit dans tous ces procédés ?

Pendant longtemps, j’ai souhaité que le sujet et le contexte d’exposition ou d’intervention prime sur le médium. Le champ des arts plastiques est vaste. La vidéo, la performance, l’installation, l’intervention urbaine, peuvent autant me passionner que la peinture. 

C’est pourtant clairement sur la peinture que se resserre ma recherche aujourd’hui, sans que je ne l’ai prémédité, et même plus étroitement la peinture figurative, et ce champ est déjà suffisamment dingue pour que j’y passe bien des années. Aujourd’hui, je peins d’abord et j’identifie le sujet ensuite. J’essaie de continuer à penser une dimension autour de la peinture, sociale, collective ou expérimentale, en imaginant des projets collaboratifs ou en peignant là où ça semble nécessaire.

Qu’est-ce qui t’inspire ?

Franchement, tout. Je ne m’en rends généralement pas compte tout de suite. J’écoute des podcasts à longueur de journée, je note sur un mur de mon atelier tout ce qui m’attrape l’oreille. J’essaie aussi de lire beaucoup, de regarder l’actualité, d’écouter mes amis et mes voisins, et je passe un temps fou à guetter ce que produisent les artistes partout dans le monde. 

J’ai un espace intérieur où des fragments plus ou moins digérés de Gordon Matta-Clarke, Peter Doig, Ovide, Borremans, Brigitte Fontaine, Vallie Export, Francis Alÿs, Deleuze, ou Kate Tempest peuvent cohabiter sur un pied d’égalité avec une remarque de mon coiffeur et la chanson pop du matin. Ils sont susceptibles d’apporter un éclairage soudain sur une intuition. 

On retrouve beaucoup la nature et l’Homme dans ton travail. Qu’est-ce qu’ils représentent pour toi ?  

Je ne travaille pas vraiment par représentation, dans le sens où je ne travaille pas par symbole. Ce qui me plaît dans l’humain, c’est son adresse, directe, qui se passe de tout mode d’emploi. Les paysages ou compositions végétales, comme les compositions de textiles, me permettent d’approcher des textures, des densités, des foisonnements. Et la confrontation des deux me permet de poser l’hypothèse d’une chaire commune du monde, comme le pigment l’est de l’image.

En 2018, tu as composé quatre tableaux intitulés « États des lieux » où le corps est remplacé par des vêtements. Qu’est-ce que cela représente ?

J’aime beaucoup cette série, encore aujourd’hui. J’y ai trouvé ce que je cherche en général : une juxtaposition de deux registres académiques, le portrait et le drapé, dans une composition qui en décale la lecture classique de l’étude, ou du corps alangui. J’y imagine des personnages qui tentent de se mettre à nu et n’y parviennent pas, ou qui se découvrent vide comme un ballot de vêtements glissés sous une couette pour y figurer un corps. De part leur traitement, ces draperies deviennent presque entrailles : c’était une façon pour moi de parler d’un sentiment d’encombrement, de désarroi, mais aussi de richesse, d’ornement, quelque chose d’un peu baroque.

Inventaire, huile sur toile, Galerie Openspace © Rouge Hartley

Que cherches-tu à retranscrire dans ton travail ? 

Une amie me disait il y a peu que mon travail tournait autour d’une opulence lasse, d’une fatigue un peu trop mûre. J’ai trouvé ça assez juste. Parfois, je parle de la catastrophe tiède de nos vies quotidiennes, une petite chute pas si grave, en tension vers l’absurde. Au fond, j’essaie de peindre ou d’incarner, avec autant de tendresse que possible, ce quelque chose de perdu, de suspendu, de dissonant que nous éprouvons face à la vie malgré le confort de nos maisons et nos ventres remplis. Autour de ça, j’essaie parfois d’aborder avec colère l’imminence de la catastrophe écologique, les limites du matérialisme, la solitude, les angles morts historiques, le féminisme. Parfois, j’essaie de peindre des choses plus légères. 

Des projets à venir ?

Avec le virus soudain, tout est flou pour l’année à venir. J’ai une belle liste d’événements dont j’attends les nouvelles dates. Je travaille actuellement en atelier sur une série de peintures pour une exposition à venir et des collages uniques à semer autour de moi.

Plus d’informations sur son travail, sur son site & Instagram.

Propos recueillis par Marie Coindeau-Mattei

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