Rencontre avec Isabelle Pitre, maître artisan spécialisée en restauration d’œuvres d’art à Paris
Isabelle Pitre est maître artisan en restauration d’art, en peinture et sculpture. Elle intervient aussi bien sur des œuvres contemporaines, modernes ou anciennes. 24 ans de métier déjà. Elle s’applique à donner une seconde vie à des chefs-d’œuvre (Bilal, Song Wei, Picasso, Miro, Fautrier, Delaunay, Calder, Monet, Carpeaux, Zurbaran, Goya, Daumier, Rembrandt, Teniers I, Jan Van Eyck, Léonard de Vinci, Botticelli, Michel-Ange, Fra Angelico…) ou rend grâce à des mémoires familiales en restaurant des œuvres avec la même attention et la même ferveur. Sa volonté d’excellence transparait dans sa manière de parler de ses commandes et du respect qu’elle leur porte, comme aux tableaux soigneusement accrochés dans son atelier empreints d’histoire et de transmission.
Comment cette appétence pour l’art vous est-elle venue ?
À travers ma mère peintre qui a fait les beaux-arts et a travaillé à l’atelier de Majorelle. Pendant 15 ans elle a été le bras droit de Édouard Georges Mac-Avoy au Lucernaire. Elle a aussi enseigné la peinture pendant 42 ans et a réalisé plus de 5 000 œuvres. Son métier de portraitiste et son dessin à la manière de David m’ont appris à regarder, à viser l’excellence en l’observant œuvrer dans son atelier. À ses côtés, j’ai appris la technique et la précision. Du côté de mon père, de mon frère et ma sœur, tous trois ingénieurs et chercheurs au CNRS et au CNAM, les sujets autour de la science ont toujours eu beaucoup d’importance dans nos discussions à la maison. Ce double ADN a eu la particularité de m’ouvrir à ces deux univers qui se conjuguent rarement ensemble. Maitriser à la fois les arts et les sciences s’est presque imposé à moi naturellement. De plus, j’ai exercé ma capacité technique en reproduisant des œuvres de maîtres, notamment au Musée du Louvre, pendant mon adolescence. Grâce à cet apprentissage, mon regard peut aujourd’hui scanner la palette de chaque peintre et la réintégrer à l’identique, avec les matériaux spécifiques. L’école du Louvre m’a ensuite donnée les clés pour traiter chaque œuvre comme objet unique et singulier. Son enseignement m’a permis de considérer mes actes comme passeur d’histoire, mais en restant dans l’ombre. L’essentiel de mon travail consiste à transmettre notre patrimoine sans le transformer. J’essaye toujours de rendre hommage à chaque œuvre quelle que soit sa valeur. Mes études en philosophie à la Sorbonne ont aussi participé à considérer le fond et la forme. À reconstruire mon regard sur l’idée du beau. Honnêtement, en prenant du recul, le beau est facultatif !
Vous avez suivi un cursus particulier pour la restauration d’art ?
Après avoir échoué deux fois au concours de L’IFROA, j’ai finalement passé un Master en Conservation et restauration d’œuvre d’art à l’école de Condé dont les professeurs étaient heureusement à l’époque issu de l’IFROA. (Aujourd’hui INP, institut national du patrimoine). Au côté de Didier Besnénou enseignant à L’IFROA, j’ai pu intervenir sur des sculptures du musée du Louvre. Puis la collaboration avec des Laboratoires de recherche sur des œuvres de maîtres a aiguisé mon envie de découvrir, d’apprendre et de tendre vers l’excellence.
Votre profession demande de nombreux savoirs historiques, picturaux, techniques, chimiques… Comment acquiert-on ces compétences ?
Les écoles sont essentielles. Les cours de techniques et de chimie construisent les bases d’histoires de l’art et des méthodologies nécessaires pour appréhender les matériaux et les composants de chaque œuvre. Chacune est unique et nécessite un soin particulier, en tenant compte de ses propriétés et ses réactivités pour dresser un bilan précis, appelé constat d’état. Une déchirure va, par exemple, demander un renforcement de la toile. Parfois, il est préférable de ne pas la doubler pour conserver une information au dos… Je me dois de rester attentive afin de discerner quels seront les meilleurs choix à réaliser. Ce qui signifie qu’il faut continuer à se former tout au long de notre carrière, grâce aux sciences, outils de recherches, laboratoires et fournisseurs en peinture ou pigments. Attention, nous ne sommes pas là pour créer, mais pour avoir une maitrise technique. Je me dois d’être le moins invasif possible sur l’œuvre dont j’ai la responsabilité. Il s’agit de s’ajuster avec humilité. Il est important de garder l’identité de l’objet et ce qui le constitue comme d’éventuelles annotations sur les châssis…
Vous êtes une sorte de détective artistique à la recherche de secrets cachés ?
À la Renaissance, les peintres étaient éduqués à la fois à la peinture et à la sculpture, pour comprendre comment dessiner l’espace, les corps et la troisième dimension. Les œuvres d’ateliers étaient le fruit d’un travail d’équipe pour créer les toiles, les pigments… Il y avait là une dimension de transmission de savoir importante. Tout était choisi méticuleusement les essences des bois séchées plusieurs années avant d’être utilisées, les toiles décatis et enduites de gesso, les pigments broyés sur du marbre, les liants et vernis étaient fabriqués suivant les recettes secrètement transmises avec des particularités propres à l’artiste ou suivant les matériaux accessibles selon les lieux géographiques…
Quelles sont les étapes de prise en charge d’une commande ?
Je dois d’abord prendre le temps d’observer l’œuvre. Soit sur son lieu de conservation soit à l’atelier. Puis, j’organise mes méthodes d’intervention en fonction des résultats des tests de réactivités. Parfois, je m’appuie sur des informations relevées par les outils scientifiques multiples (radios, scanner, analyse de la palette, datation des matériaux…). Vient ensuite l’étude des devis avec l’estimation du temps à consacrer pour chaque œuvre. Je vais dans des lieux très divers, comme à l’hôpital Robert Debré pour maroufler une toile ou chez un particulier pour restaurer une sculpture. Je travaille parfois sur cinq œuvres en parallèle. Plutôt une bonne chose pour réfléchir aux méthodes à appliquer en amont, aux gestes, aux produits, aux temps de séchage. Il faut aussi se donner du temps afin de vérifier le résultat de chaque étape. Je restaure environ 150 œuvres par an. Avec toujours des challenges. C’est un métier qui demande beaucoup d’attention, d’anticipation, de précision et d’exigence renouvelée.
Quels types de clients font appel à votre expertise ?
Je travaille pour l’État, les musées, les églises, pour des collectionneurs, des experts et tous les amoureux des arts. J’espère collaborer avec des fondations bientôt. On m’a confiée à la fois des icônes, des œuvres d’art modernes ou du street art. Des œuvres de maitre comme Miro, Picasso, Botticelli ou Rembrandt sont aussi passées entre mes mains. Une joie indicible. Ma spécialité de restauration de sculpture me permet un champ plus large d’intervention. Cela m’a conduite à restaurer, entre autres, une sculpture de Michel-Ange conservée au Louvre, ou par exemple ce bouddha en éveil de Birmanie. Aujourd’hui, plus de 3 000 œuvres ont été restaurées par mes soins. Et j’ai toujours la même passion et pression afin de délivrer un résultat parfait.
La transmission dans les métiers d’art est précieuse, comment la ressentez-vous ?
J’ai un grand respect pour chaque œuvre et chaque peintre, vecteur d’informations de sa propre histoire et aussi de son temps. Ils nous relient au passé, cela est précieux et je sens ce devoir de transmission de mémoire. Cela m’a amenée à donner des conférences, notamment à Drouot, à Corvisart, dans des écoles, des musées, pour des experts et à l’église Saint-Julien-le-Pauvre. Un livre retranscrit d’ailleurs mes interventions dans ce lieu.
Vous arrive-t-il d’avoir des surprises en travaillant sur des œuvres ?
Oui, c’est motivant ! À l’église Saint-Julien-le-Pauvre, en démontant les icônes de l’iconostase, les tondi (support de format rond) qui représentent la vierge Marie et Saint-Jean, ont éveillé mon attention sur un relief qui ne coïncidait pas à la peinture visible. Pour confirmer mon intuition, des radios ont été effectuées. Elles ont révélé des peintures sous les peintures, ce qui est fréquent dans les églises car on y recyclait les œuvres. Sous la vierge Marie, il y avait un Christ pantocrator (représentation du Christ en gloire), et sous Saint-Jean, une vierge Marie, un beau symbole qui n’assignerais aucun genre à la figure de Dieu. Pendant le Covid, je me suis occupée d’un tableau représentant un Saint-Sébastien de Pontormo, le saint patron des maladies et pandémie. La symbolique était un joli clin d’œil. Je devais sauver celui qui était censé nous “sauver”. Je me sens à ma place lorsque des épisodes de ce genre se produisent.
L’intuition aussi se développe au fur et à mesure du temps. Il y avait un doute sur l’authenticité de cette œuvre. En prenant la décision de réaliser des radios, un dessin d’une main à la mine de plomb est apparu. Cela a validé qu’elle ne pouvait être une copie d’époque puisqu’il y avait eu une recherche de dessin préalable du peintre…
Isabelle Pitre démontre de réelles prouesses de maitrise et de savoir-faire à travers ses diverses restaurations. Ses années d’expériences lui permettent une expertise avisée sur de nombreuses périodes de l’histoire de l’art et de sublimer à nouveau des œuvres altérées par le temps. Une adresse essentielle pour tous les amateurs d’art.
Pour découvrir son travail : Instagram : isabellepitrealatelier / Site Internet : www.a-latelier.fr
À L’Atelier – Conservation & Restauration de tableaux et sculptures contemporains, modernes et anciens
28, rue Traversière – 75012 Paris, Métro Gare de Lyon, Tél : 01 44 75 52 24 sur rendez-vous
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