Rencontre avec Emmanuel Régent
Emmanuel Régent, lauréat 2009 du Prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo, est distingué pour la simplicité de ses procédés et le caractère expérimental de son travail. Après l’exposition dans l’un des modules du Palais de Tokyo, on le retrouve également au salon du dessin contemporain, au Carrousel du Louvre. Rencontre avec un artiste qui évolue dans une démarche à fleur de peau.
Emmanuel Régent, tu es le Lauréat 2009 du Prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo. Comment en es-tu venu à participer à ce prix ? J’ai été rapporté par Sylvie Fontaine, membre des Amis du Palais de Tokyo. Nous étions une trentaine d’artistes, chacun recommandé par l’un des membres de l’association. Le jury était composé de critiques d’art, d’un commissaire et de personnalités de l’art, dont quatre membres des Amis. Ce jury a sélectionné au final quatre artistes. Une présentation individuelle avec une projection des travaux a eu lieu dans un entretien de dix minutes par un représentant de l’artiste. C’est Caroline Smulders qui est intervenue en ma faveur, car elle suit mon travail depuis longtemps. Suite aux différentes entrevues, j’ai été sélectionné par un vote collectif. On m’a annoncé la nouvelle par téléphone.Que t’a apporté ce prix ? A la suite de ce prix, j’ai obtenu une exposition personnelle, dans le module 2 du Palais de Tokyo, ainsi qu’un apport financier pour contribuer à l’édition de mon premier catalogue. La réalisation étant onéreuse, des sponsors m’ont également soutenu pour ce projet : ma galerie Espace à vendre, I love My Job, l’association Artais et mon imprimeur. Tous ont contribué à cette initiative. Tes dessins peuvent être de très grands formats, avec une précision graphique minutieuse, sur des sujets pouvant être fluides, comme les files d’attente. Comment procèdes-tu dans l’élaboration de tes dessins ? J’ai trois sources d’inspirations d’un point de vue technique. Pour la première, il s’agit d’images d’internet : je divague sur le web pour dénicher des visuels, notamment des manifestations comme pour la série des casseurs, réalisée suite aux événements de 2008, en Grèce. Ce sont dans ce cas des scènes où je ne suis pas sur place. Les deuxièmes sources sont mes propres photographies de manifestation dans lesquelles je me rends. Puis les troisièmes sources sont des croquis préparatoires que je fais directement sur place. Je dessine beaucoup, presque quotidiennement, des dessins imparfaits, qui me servent à préparer une mixtion. Dans ce mélange d’éléments incorporés, je peux reconnaître dans mes files d’attentes dessinées une partie qui provient d’une image internet, une autre issue d’une photographie, une autre venant d’un croquis. Au final, c’est une vision nouvelle. Mon dessin intégrant à la fois l’informatique, la photographie, et le croquis classique, je peux jusqu’au dernier moment, changer d’avis, et rajouter quelque chose. C’est un travail qui bascule et évolue. Comme une métaphore à la souplesse dans une volonté de rendre le procédé liquide, même si les matériaux sont solides puisque c’est un contre-collage sur dibon, mais finalement c’est une place à l’interprétation et aux possibles qui reste. C’est cette envie de laisser la place à l’imaginaire, et à la supposition. Rendre des parties très visibles et en déserter d’autres pour laisser place à la divagation. Les blancs sont les espaces de projections, laissant une place libre pour l’autre. Ils apportent également un scénario autour de la disparition. Notamment dans mes objets, avec UC, le cadenas scié, on peut y voir quelque chose de dérobé. Le boomerang est transparent, donc peu visible, il tendrait à disparaître si on l’envoyait. Hormis la fragilité de la question du verre, c’est plus l’idée de la transparence qui m‘intéresse. Cette idée que si on envoie le boomerang, forcément, on ne le verra pas revenir. C’est également une métaphore du paysage et de la fenêtre. Le verre est censé protéger le dessin, qui en l’occurrence est à fleur de peau dans cet exposition. Le verre n’est utilisé que pour être envoyé à sa perte. Comme une bouteille jetée en mer, en étant sûre qu’elle se brisera. En ce qui concerne tes objets ou installations sont-ils à voir comme des résonances ou des métaphores de tes dessins ? Oui, notamment Mes Plans sur la Comète, c’est très graphique même s’il s’agit de sculpture. Formellement se sont des signes sobres, qui rappellent le dessin. Egalement dans les matériaux, car il s’agit de papier à dessin dans une corbeille à papier comme on en a tous à la maison, et où l’on jette nos gri-gri raturés. Le dessin est toujours présent même en volume. Et les Plans sur la Comète représentent toutes ces ébauches que je voudrais faire mais que je ne fais pas. Ces projets ratés, et surtout ceux en attente, ce sont eux qui me font persister. Cette idée qu’il me reste plein de choses à aborder. Comment je pourrais les faire ? Comment ne pas les figer ? C’est cette angoisse de la fixation, je veux que les choses restent liquides et mobile. Ce n’est pas toujours évident avec des plaques en typons métalliques difficiles à transporter. Mais ici cela se joue autrement. Le dessin tient une place importante dans ton travail, alors que pour d’autres plasticiens il est simplement le point de départ à la création, chez toi, il semble être l’élément central de ta démarche. A l’heure de la création numérique et des nouvelles technologies, comment expliques-tu cette fidélité au geste de la main ? Oui, c’est une question. Pourquoi dessiner aujourd’hui avec un feutre et du papier, à l’heure du numérique ? J’ai l’impression que l’on est dans une époque où l’image est complètement immatérielle, dans le sens où son poids n’existe plus comme celui d’un sac de riz. On peut transporter une image numérique d’un bout à l’autre de la planète avec rien. Ca va se peser en Ko ou en Mo. Cela m’intéresse de retravailler cette immatérialité, à l’inverse sur du papier, de manière classique, avec une technique assez laborieuse. Effectivement par contradiction, j’aime passer du temps sur mon travail de dessin. C’est une gymnastique. Et effectivement je peux passer 200 heures sur un dessin, avec ce fourmillement de traits qui vont s’additionner, vibrer, comme un électrocardiogramme de mon quotidien ou un journal intime. Mais pourquoi insister sur le dessin ? Je pense que l’on est beaucoup de jeunes artistes à le pratiquer, pour s’y confronter. C’est un peu comme la question de la photographie à une époque, qui n’a pas du tout tué la peinture, au contraire. De même qu’aujourd’hui le numérique vient alimenter le dessin et l’art. Mais on ne peut s’empêcher de se questionner sur comment et pourquoi dessiner aujourd’hui depuis l’aire numérique. Ca bouleverse des choses, mais positivement, car ça devient un moteur de travail, et non pas une annulation. Exactement comme la photographie a son arrivée. Un souvenir d’enfance : Je viens d’une petite ville, Villefranche-sur-mer. Un jour, en descendant sur le port, je suis entré à l’intérieure de la Chapelle Saint-Pierre, décorée par Jean Cocteau. J’ai vraiment été étonné, et le gamin que j’étais s’est dit : « mais on peut dessiner sur les murs et on peut dessiner aussi grand sur les murs ». Ca a été mon premier éblouissement. Et en plus c’était des pêcheurs représentés, pour moi ça voulait dire « on peut aller à la fois à la pêche, et peindre », et surtout cette possibilité « on peut faire ca ! ». Evidemment je ne connaissais rien, je n’en connais peut-être pas beaucoup plus maintenant, mais c’était tellement étonnant pour moi. Quelle dimension tient ton travail dans ta vie, et quel sens prend t-il ? 24h sur 24 mais pas physiquement, heureusement. Je passe les trois quart de mon temps à dessiner, mais aussi à faire de la voile, à pêcher. Le moment de la pêche est celui où j’élabore mes idées, donc ça ne s’arrête jamais. Pour tous les artistes c’est certainement pareil, tu dors avec ton travail, tu te réveilles avec ton travail, en vacances tu pars avec ton travail. Tu y penses tous le temps sans pour autant être constamment dans une énergie de fabrication. Ce ne sont pas des heures fixes. Propos recueillis par Justine Vandendriessche
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