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Rencontre avec Élodie Royer, commissaire de l’exposition “Les êtres lieux” à la Maison de la culture du Japon

Fatma Alilate 13 juillet 2022
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Photographie Collection privée - Exposition "Les êtres lieux", La Maison de la culture du Japon à Paris © Tazuko Masuyama

Photographie Collection privée - Exposition "Les êtres lieux", La Maison de la culture du Japon à Paris © Tazuko Masuyama

Les êtres lieux actuellement à la Maison de la culture du Japon est certainement l’exposition-révélation de la saison estivale à Paris. Quatre artistes sont mis à l’honneur sous la direction d’Élodie Royer qui permet une mise en dialogue. Tazuko Masuyama (1917-2006) a photographié pendant près de trente ans son village-montagne, condamné à être submergé par les eaux d’un barrage.

Quotidiennement et de façon inlassable, comme dans une forme de lutte, Tazuko Masuyama a parcouru son village, photographié les événements de vie, les habitants, la nature. Elle a légué 100 000 photographies, une archive exceptionnelle.

Sara Ouhaddou (1986-) invite à la découverte de liens entre le Maroc et le Japon autour d’écritures pictographiques, de broderies et de différents médiums. Pour l’exposition, elle a conçu une étonnante cabane hybride. Yukihisa Isobe (1935-) est un artiste reconnu pour sa démarche pionnière reliant pratique artistique et enjeux environnementaux. En fin de parcours, Amie Barouh (1993-) propose un film-installation en hommage à son père, le parolier Pierre Barouh (1934-2016). Elle s’intéresse à des personnes vivant en marge d’un territoire.

Photographie Collection privée - Exposition "Les êtres lieux", La Maison de la culture du Japon à Paris © Tazuko Masuyama

Photographie Collection privée – Exposition “Les êtres lieux”, La Maison de la culture du Japon à Paris © Tazuko Masuyama

C’est vous qui êtes l’auteure du livret de l’exposition ?

Oui tout à fait. Le texte principal c’est un texte que j’ai écrit pour l’exposition. Il y a une préface d’Hitoshi Suzuki, le président de la Maison de la culture du Japon. Et puis il y a des textes écrits par les artistes qui complètent le texte principal.

Il y a des textes un peu poétiques.

Je voulais donner cette tonalité-là. C’est comme ça qu’on a conçu le livre avec aussi les graphistes qui ont travaillé sur l’identité de l’exposition.

Pour l’artiste Amie Barouh, je ne savais pas si c’était son père, le compositeur Pierre Barouh, qui était l’auteur des textes consacrés à sa partie ou elle ?

Pour Amie Barouh, ce sont les textes de chansons écrites par son père qui était parolier, compositeur connu, auteur de grands standards de la chanson française comme Un homme et une femme. Ce film est lié à son histoire personnelle, on avait choisi ensemble de proposer les paroles de Pierre Barouh.

C’est un film-installation à la fin de l’exposition. 

Amie Barouh propose une expérience un peu physique avec ces miroirs qui reflètent les images l’une dans l’autre. Le film dure vingt minutes. C’est une expérience de contenus, de formes.

Pour la présentation de l’exposition, vous citez la phrase de Marguerite Duras : “Jamais je n’aurais cru qu’un lieu pouvait avoir cette puissance, cette force-là.”

Je souhaitais travailler sur la question des lieux et la manière dont les lieux vont influencer et transformer une pratique artistique. Et au même moment, j’avais revu ce documentaire Les lieux de Marguerite Duras. Il y a aussi un livre. Elle n’est pas présente dans l’exposition mais c’était un point de départ important. Cette phrase et ce texte de Duras racontent combien les lieux qu’elle a habités sont aussi les lieux de ses personnages, et font partie de tout son travail artistique. C’est un thème sur lequel je travaille par ailleurs, la manière dont des lieux, des environnements, des milieux de vie peuvent transformer une pratique artistique. Indirectement, l’exposition interroge sur nos manières d’habiter aujourd’hui à l’heure de la crise écologique. On sait que nos habitudes de vie et d’actions nous amènent vers cette crise. Je pense que ce sont des questionnements qui résonnent particulièrement aujourd’hui.

Ce titre appelle aussi à une ouverture, c’est très large “Les êtres lieux”. Le choix du titre, c’est vous ?

Oui. Au début, ça s’appelait “Les lieux”, “Les liens aux lieux”. Mais je n’étais pas très satisfaite. Je voulais un titre qui incarne cet aller-retour entre nous et les territoires.

C’est un beau titre.

Pour moi c’était un titre poétique, assez évocateur. J’aime bien effectivement quand les expos ne sont pas complètement thématiques. C’était un titre qui ouvrait un espace pour le spectateur, un imaginaire. On est à la Maison du Japon, ce sont des pratiques artistiques qui ont un lien avec le Japon et en même temps il y a une portée universelle. Sara Ouhaddou travaille entre deux géographies, le Japon et le Maroc. Amie Barouh est Franco-Japonaise. Il y avait aussi cette hybridité, cette fluidité de territoires que je trouvais intéressante de convoquer ici à la Maison du Japon.

"L'Atlas" de Sara Ouhaddou Exposition "Les êtres lieux", La Maison de la culture du Japon à Paris © Fatma Alilate

“L’Atlas” de Sara Ouhaddou – Exposition “Les êtres lieux”, La Maison de la culture du Japon à Paris © Fatma Alilate

Le choix des artistes, ça s’est fait comment ? Vous les connaissiez ?

C’était une invitation faite par la Maison du Japon. Je suis commissaire d’expositions depuis quinze ans. En 2011, j’ai fait une résidence de recherche à la Villa Kujoyama à Kyoto sur des pratiques historiques d’après-guerre qui avaient un lien très fort avec la nature. Et c’est un peu ma rencontre avec le Japon. Il y a eu la catastrophe de Fukushima que j’ai vécue sur le territoire. Cet événement a bouleversé ma vie et mon travail dans le milieu de l’art. J’ai beaucoup travaillé sur la manière dont la catastrophe de Fukushima avait transformé des pratiques artistiques au Japon et plus largement sur des pratiques ayant un intérêt environnemental.

"Energy of the City of Paris" de Yukihisa Isobe - Exposition "Les êtres lieux", La Maison de la culture du Japon à Paris © Fatma Alilate

“Energy of the City of Paris” de Yukihisa Isobe – Exposition “Les êtres lieux”, La Maison de la culture du Japon à Paris © Fatma Alilate

Du coup il y a eu ce fameux artiste Yukihisa Isobe dont on voit une toile ?

Je l’ai rencontré au Japon, il y a quelques années. Je l’avais déjà exposé et effectivement c’est lié à ce travail. C’est un artiste majeur au Japon. J’étais contente de pouvoir emprunter cette œuvre au CNAP en France qui était disponible parce que toutes ses autres œuvres sont au Japon. Ensuite, Sara Ouhaddou est une artiste que j’ai rencontrée il y a un an et demi parce qu’elle travaillait sur le Japon. J’ai tout de suite pensé à ce projet qu’elle menait entre cette région du Nord du Japon, Aomori, et l’Atlas. C’est intéressant ces questions de circulations d’histoires et de territoires. Amie Barouh traite du lieu de la famille avec une expérience créatrice autour de ce père qui écrivait. Elle évoque cette imprégnation de liens de différents milieux de vie. Tazuko Masuyama, c’est cette vieille dame.

Oui elle est très touchante. C’est la pépite de l’exposition.

Oui ça c’est incroyable.

Comment vous l’avez connue ? C’est la révélation de l’exposition. On voit aussi la place centrale qu’elle occupe dans la scénographie.

Absolument. Elle occupe beaucoup de place car c’est aussi la première fois que c’est montré à l’étranger. Je suis chercheuse, je fais un Doctorat sur des pratiques d’artistes femmes au Japon qui travaillent dans des endroits marqués par des luttes ou des catastrophes environnementales. Au cours de mes recherches, je suis tombée sur cette pratique mais récemment, à l’automne dernier. Elle était présentée dans une exposition collective à Tokyo. J’étais vraiment subjuguée à la vue de quelques photographies. J’ai trouvé que c’était intense et que ça racontait tellement de choses aussi sur la manière d’habiter. À la base, c’est une agricultrice et une aubergiste mais par le fait de prendre des photographies pendant près de trente années, elle développe une pratique artistique, politique, sociale.

Photographie Collection privée - Exposition "Les êtres lieux", La Maison de la culture du Japon à Paris © Tazuko Masuyama

Photographie Collection privée – Exposition “Les êtres lieux”, La Maison de la culture du Japon à Paris © Tazuko Masuyama

Tout le temps, tous les jours. C’est un témoignage.

Je trouvais qu’il y avait une force incroyable. C’était une merveilleuse découverte. On a ramené du Japon quelques archives.

C’est la famille qui a prêté ou qui a fait un don ?

Tazuko Masuyama a eu deux enfants mais ce n’est pas eux qui ont pris en charge l’archive. C’est une connaissance qui a pris en charge toute cette archive, à titre personnel. C’est conservé dans un petit village de la même région, de façon amatrice mais avec beaucoup d’engagements. J’espère que ce sera conservé sur une autre échelle car ça a vraiment une portée importante. À ma connaissance, Tazuko Masuyama a été exposée deux fois au Japon. Il y a de jeunes artistes photographes japonais qui s’y réfèrent.

C’est votre rôle de faire connaître ces personnes, c’est ça qui est génial.

C’est vraiment comme ça que je vois ma pratique de commissaire d’exposition. J’essaie toujours de chercher, de transmettre de la meilleure manière le travail et de faire découvrir. Pour Masuyama, j’ai fait cette sélection d’images sur cette grande table chronologique de 1977 à 1985 qui précède les déménagements de 1996. Et ensuite, je voulais justement montrer les albums, sans intervention de ma part. Au mur, j’ai fait reproduire un album dans son intégralité qui est en fac-similé pour montrer comment elle conservait, classait ses photographies. Avec parfois, toujours une même image comme cette image de mise à feu que je trouve très belle. Il y a plusieurs modes de présentations sur des unités de temps différentes. L’album qui est au mur c’est deux jours. C’est comme un scénario qui se déroule.

Les photos ne sont pas retouchées. Il y a une authenticité.

Il y a quelque chose de très direct, de respectueux dans ses images avec ses personnages en pied. C’est un Japon très rural mais qui est la réalité de plein d’endroits au Japon même encore aujourd’hui. Ce pays fonctionne aussi à cette allure-là. Et puis ce barrage, c’est aussi une histoire universelle. Il y a aussi les textes présentés en regard des photos.

Ses textes sont magnifiques.

Elle écrivait beaucoup. C’est vraiment passionnant parce que quand on regarde ses albums, il y a toujours des textes derrière le dos des photos. Ça donne une épaisseur à ses photographies. Dans la série sous vitrine, elle retourne là-bas dix ans après les déménagements. On voit une nature très en fleur.

Ça semble l’apaiser, la beauté de la nature. C’est une consolation.

C’est ce que les textes disent, comment elle trouve la force de se résigner à l’abandon de ce territoire à travers ce lien. Elle dit à des moments à quel point la photo va transformer sa manière de comprendre, de ressentir son environnement.

Propos recueillis par Fatma Alilate

Livret de présentation sous la direction d’Élodie Royer. Coédition : MCJP et les presses du réel – Nombre de pages : 48 pages / Prix : 10 €

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