Rencontre avec Ayoub Moumen, créateur de mode et artiste contemporain
À l’occasion des Journées Portes Ouvertes à l’Atelier des Artistes en Exil nous avons pu découvrir le travail d’Ayoub Moumen. Originaire de Tunis, Ayoub est un artiste contemporain utilisant le vêtement comme outil de création.
Bonjour Ayoub, nous avons tenu à te rencontrer après avoir vu ton installation lors des Journées Portes Ouvertes de l’aa-e. Peux-tu nous parler de l’œuvre que tu y présentais ?
Pour cette présentation j’ai voulu parler du désordre, car on vit tous un véritable désordre intérieur ! J’y ai présenté plusieurs vidéos, dont certaines que j’avais déjà utilisées pour la performance On marche sur des œufs réalisée au Subsistance à Lyon en 2020, et d’autres où je parle du désordre à travers un texte que j’ai écrit. Pour les Journées Portes Ouvertes de l’aa-e, j’ai mis en scène un espace avec ces vidéos et ai réalisé une performance. Le côté performatif est ce que je trouve le plus intéressant à montrer dans mon travail. Les vêtements sont comme une porte de passage vers la performance pour moi. Le vêtement créé un personnage, comme sur scène ou à l’opéra. Je pense tout le temps à l’opéra, mon rêve serait de mettre en scène un opéra alternatif.
Je ne savais pas que tu t’intéressais à l’opéra, as-tu des projets en cours ?
J’attends la bonne occasion mais je sens que je m’oriente vers quelque chose comme ça oui, à condition que ce soit quelque chose de très alternatif ! Dans la vie, même si j’habille des personnes ou en conseille d’autres, ce qui m’intéresse vraiment c’est de créer un personnage, d’aller vers la scène.
Quelle est ta démarche face à la création de mode ?
Je suis diplômé d’une école de mode, l’ESMOD de Tunis, donc j’ai fait deux ou trois collections haute couture, mais ce qui m’intéresse au final c’est vraiment de mettre en scène ce que je crée. Je n’aime pas trop tout ce qui est lié à l’industrie de la mode. En général, un défilé est une présentation pour des acheteurs, pas pour un public. Enfin oui, il y a des fans de marques, mais ça reste des acheteurs. Je ne me considère pas dans une démarche de vente. Je présente mes créations en réalisant des défilés, mais principalement à destination de spectateurs.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’idée d’habiller un groupe de personne ?
Ce qui m’intéresse avec le vêtement c’est l’image qu’il projette. Et il y a une image que je ne laisserai jamais tomber, ce groupe de personnes qui font des actions ensemble, habillés ou pas du tout. En travaillant sur le vêtement je travaille sur le corps, il ne faut pas l’ignorer. En plus d’être un support, le corps est un véritable champ performatif.
Tu réalises donc principalement des pièces uniques ?
Je produits des œuvres uniques mais bien sûr il y a un projet de collection prêt-à-porter qui m’assurerait un revenu plus stable, mais ce n’est pas le principal. Comme expliqué précédemment, mon objectif serait de mettre en scène un opéra. Actuellement j’ai 30 ans, mais peut-être d’ici mes 40 ans. J’imagine quelque chose de très alternatif, pas dans le langage classique de l’opéra. J’aime beaucoup ce que fait le Ballet national de Marseille par exemple, La Horde. Je suis un peu dans cet esprit-là.
Il y a des techniques que tu affectionnes ?
Il y a plutôt des techniques que j’utilise souvent. Je travaille beaucoup sur le destroy, donc j’intègre et enlève beaucoup de parties sur les vêtements, je laisse apparaître des parties du corps. Je parle beaucoup de l’intégrité du corps à travers ma création. Il n’est pas de question de limites, mais il y a clairement un message politique et engagé dans la conception du vêtement que je crée. Mon message est grand et il est réduit si je le mets uniquement sur un vêtement, exposé sur un cintre ou lors d’un défilé. C’est pourquoi je le mets en scène.
Je travaille sur le vêtement mais je ne m’arrête pas là. Je m’adapte à la personne que j’habille, sa démarche et son histoire. Je ne vise pas des acheteurs en particuliers mais je suis obligé de m’imaginer une histoire. La plupart du temps ce sont des personnes que je connais qui performent pour moi, et je crée les tenues sur mesure, selon qui ils sont. C’est une question d’attitude mais je parle de quelque chose de plus profond que l’attitude.
C’est-à-dire ?
Je creuse plus loin qu’un vêtement ou de ce que veut dire un vêtement. C’est l’accomplissement de plein de supports différents qui t’emmène à sa création. Quand tu es artiste tu es libre de passer toute ta vie dans ta discipline, mais tu as aussi la possibilité de te permettre d’utiliser tous les supports autour de toi. Il faut s’en donner la permission, parce qu’on est dans une société où l’on te demande de rester dans ton petit cube de confort. Pour moi, c’est complètement abstrait qu’un artiste ne sorte pas de sa discipline, qu’il ne touche pas à la vidéo, au son… Un simple bruit de ciseau coupant un tissu peut me permettre de visualiser une image, un tableau qui deviendra performance.
Tu as des préférences à propos des matériaux et des tissus que tu utilises ?
Quand j’étais à l’école ou que je faisais un travail de création et de consommation, oui. J’avais vraiment des préférences pour les matières un peu rigides, et d’ailleurs je continue mais en peignant mes pièces à l’acrylique. J’aimais beaucoup utiliser le néoprène, mais j’ai arrêté ce rapport à la création. Je fais principalement de l’upcycling maintenant, du coup je n’ai pas vraiment le choix du tissu, car il est imposé par la matière présente. Je commence par la fin en quelque sorte. Une fois le vêtement cousu, il est vendu et c’est une fin habituelle en soit. J’aime ce côté poétique de commencer par la fin, de lui donner une nouvelle chance. J’ai fait deux-trois collections haute-couture mais je garde une vision de plasticien. En général je suis considéré comme un artiste qui utilise le vêtement, pas comme un designer. J’ai voulu apprendre le vêtement pour être artiste.
Tu es diplômé de l’ESMOD, as-tu fait des études ou des formations complémentaires afin d’atteindre une pratique de plasticien ?
Non, je n’ai pas eu besoin de compléter mes études. J’envisage des formations mais pas pour avoir un diplôme. Je ne pense pas avoir besoin de connaître théoriquement les choses, j’apprends principalement en pratiquant. Je suis assez avant-garde, je me détache du passé au maximum dans l’histoire de l’art, et dans ma vie personnelle également. C’est le même cheminement. L’artiste et la personne c’est la même chose, on ne peut séparer les deux. C’est un processus intérieur et personnel, du coup pas besoin d’être diplômé dans l’art contemporain pour faire de l’art contemporain. Il y a plein d’autodidactes. Ce qui fait qu’une œuvre fonctionne ou non c’est si elle est honnête, si elle sort de la personne. Avoir un diplôme est rassurant pour les parents surtout. Et c’est pour ça que j’ai fait l’ESMOD, et c’était la seule chose qui se rapprochait vraiment de ce que je voulais faire dans ma tête. Ça me suffit d’avoir une pratique manuelle qui est très artisanale et très artistique.
L’art a-t-il toujours été une évidence pour toi ?
Je dessinais beaucoup quand j’étais môme. Je ne découpais pas mes vêtements mais j’aimais bien choisir les affaires que ma mère ou ma belle-mère allaient porter. Ma belle-mère est couturière du coup je voyais beaucoup de tissus mais ça ne m’interpellait pas vraiment à l’époque. Je faisais beaucoup de figurines en pâte à modeler, du dessin mais aussi jouer la comédie ! Je me déguisais et faisais du stand-up devant ma famille. Pour moi, c’était évident de faire quelque chose d’artistique plus tard, et ça depuis mon enfance.
Il y a-t-il un thème récurrent dans tes créations ? Ton passé impacte-t-il ta création ?
Il n’y a pas vraiment de thème récurrent dans mes œuvres, ça évolue. J’essaye de me soigner moi-même à travers ma création, d’exposer le problème à un public. Forcément l’exil me rajoute une identité politique. L’exil c’est se déraciner de quelque part et mon histoire est particulière. J’en parle mais je parle surtout de tout ce que veut dire ma personne, ce que je suis, pas dans les détails mais artistiquement parlant. Pour moi, changer les choses c’est rompre avec notre manière de penser. Quand tu pars sans revenir c’est un poids mais c’est aussi un choix, et ça a de l’impact sur ce que tu fais.
Comment as-tu découvert l’Atelier des Artistes en Exil ?
J’en ai entendu parler pour la première fois en 2017, quand j’ai créé mon projet1. Une amie m’avait fait remarquer la ressemblance entre mon travail et celui d’un membre de l’Atelier. Puis je suis entré en contact avec eux en 2018, grâce à une amie qui avait déjà travaillé avec eux. J’ai rejoint l’aa-e très rapidement, et ça m’a beaucoup apporté. J’ai pu faire beaucoup de choses avec eux. Mais on est beaucoup d’artistes ici et ce que nous faisons reste généralement dans le cadre de l’association. Dépasser le nom de l’aa-e c’est l’objectif de l’atelier, pouvoir se lancer dans la vie grâce à leur accompagnement.
1 Ayoub Moumen est le créateur et le directeur artistique de la marque de vêtements Refuge Engaged Wear (R.E.W Paris), qui a remporté le 3e Prix des E-fashion awards en 2018, ndlr.
Lors de ta collection performée Reborn ! au Bastille Design Center en septembre dernier tu as effectué une véritable mise à nu, te mets-tu en scène à chacune de tes performances ?
Je donne beaucoup de moi-même à chaque performance mais je ne participe pas à chacune d’entre elles. C’était la première fois que je le faisais de cette façon, mais ça ne m’a pas vraiment stressé. Je stresse techniquement, mais ce sont les meilleurs moments de ma vie, les meilleurs moments que je puisse vivre.
Propos recueillis par Charlotte Simoni
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