Renaud Donnedieu de Vabres : “La culture doit être le socle d’une vraie réconciliation en profondeur”
Ancien Ministre de la Culture et de la Communication sous la présidence de Jacques Chirac de 2004 à 2007, il est celui qui a impulsé la réalisation du Louvre à Lens, du Louvre Abu Dhabi, la construction de la Philharmonie de Paris ou le Musée des Civilisations à Marseille. Renaud Donnedieu de Vabres, qui ne cesse de promouvoir la culture en Europe et dans le Monde, a fondé en 2012 sa propre société de conseil, RDDV Partner, qui vise à promouvoir la diversité culturelle et les dialogues entre les cultures. Nous avons interrogé ce témoin et acteur privilégié sur ce que représente la culture aujourd’hui dans notre monde en crise, et sur le combat que nous avons à mener, à chaque instant et dans chaque lieu, pour la rendre vivante.
Renaud Donnedieu de Vabres, en tant que fin connaisseur de la politique et de la culture, quel est votre ressenti sur la situation politique après ces élections législatives ?
Par définition, je dois dire que quand le peuple s’exprime c’est important. Pour moi la situation politique n’est pas une surprise. Il y a une violence, qu’elle soit visible ou larvée, dans notre pays, qui est amplifiée par les réseaux sociaux. Elle s’est exprimée dans notre pays lors du premier tour de l’élection présidentielle et elle s’exprime de nouveau lors des élections législatives. Le plus important dans ce genre de conjoncture, c’est de recréer des liens entre des communautés de plus en plus divisées. C’est le rôle de la culture. Dans ce genre de période, la culture n’est pas uniquement le fait des loisirs intelligents. C’est le socle d’une vraie réconciliation en profondeur entre des générations, des cultures, des sensibilités, des religions qui sont engagées dans une mauvaise spirale.
La culture peut-elle tout faire, tout résoudre ?
Bien sûr que non. La situation économique est évidemment essentielle, c’est le vecteur de l’activité. Sans activité, la situation ne fait que se dégrader, mais la culture alliée à l’éducation sont stratégiques. Je ne suis plus engagé dans la politique aujourd’hui, mais pour y avoir passé vingt ou trente ans de ma vie, je conserve intactes mes convictions profondes. Et je les partage avec des personnalités, des ministres, des intellectuels de tous bords. Je suis un homme d’action qui pense et impulse un certain nombre de projets à travers mon activité actuelle et ma société, qui ont parfois des conséquences ou des répercussions politiques majeures. J’ai travaillé avec beaucoup de fierté sur un projet qui a été abandonné dans le triangle de Gonesse, qui était un lieu de développement culturel, sportif et économique situé dans un espace de désespérance. Un projet de cette nature était une chance politique, selon moi, pour apaiser les dérives identitaires et culturelles qui rendent ce territoire difficile. Contribuer à ce genre de projets est une petite pierre que je lance, muni de mon expertise. Les projets que j’initie sont parfois très éthérés ou très enracinés dans la réalité sociale, économique et politique.
Faut-il nécessairement passer par un organisme privé comme le vôtre, doté d’une expertise et d’un réseau d’acteurs très pointu, pour mener à bien des projets culturels innovants ? N’est-ce pas le rôle dévolu au Ministère de la Culture ?
Non, je ne pense pas. Je connais et fais confiance à la nouvelle Ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, qui a la passion de mener des projets avec une belle énergie. Très discrètement, je vais bientôt lui soumettre des idées et elle en fera ce qu’elle voudra. Mais je pense qu’elle doit jouer pleinement sa partition. Un gouvernement est comme un orchestre. Il y a bien sûr la partition de l’autorité, de la loi à faire respecter. Mais il y a aussi la partition de la liberté et de la diversité, du déformatage des esprits. Cela me semble absolument essentiel et la nouvelle Ministre a un magnifique champ de possibles à explorer. Il faut qu’elle fonce. Il faut redonner en profondeur confiance aux Français, en leur propre destin, en leur propre pays. Regardez ce qui se passe lors des Journées du Patrimoine. Ce ne sont pas des Français nostalgiques et étriqués, mais des personnes de tous horizons qui viennent heureux découvrir les monuments et institutions de notre patrimoine et de notre histoire. Cela donne de l’énergie. Sans être d’un optimisme béat, je pense que les croisements sont nécessaires, qu’il faut des ouvertures, des échanges permanents et symétriques. Il faut expliquer à un artiste qui ne jure que par l’art contemporain que l’art classique a été lui-même en rupture avec ce qui le précédait. Et vice-versa. Il faut que le Ministre de la Culture soit passionné, le plus ouvert possible. Il ne doit pas y avoir un centimètre carré du territoire national où le Ministre de la Culture se sente interdit de séjour. Il faut être partout, quelque soit la ville, quelques soient les réalités. Et developper chaque lieu au paroxysme de son rayonnement. Nous, nous sommes une force d’appoint, pour épauler les politiques.
Comment peut-on agir face à une volonté politique qui chercherait à revenir à un concept trop rétrograde de la culture nationale ?
La base de la notion de culture est celle de la liberté. A partir de ce mot, toutes les initiatives sont bonnes à prendre. La France est un pays très vivant, riche de son patrimoine et confronté aux nouvelles formes. Notre jeunesse est multiple, certains jeunes ne partent pas en vacances, restent dans les quartiers. En liaison avec tout le réseau d’éducation populaire, il faut développer des croisements, des liens entre des imaginaires qui se bousculent. Je pense que l’on est dans une période où, quelque soit notre situation, simple citoyen ou responsable institutionnel, on doit se sentir bousculé. L’instabilité de la situation internationale, avec l’accueil notamment des réfugiés d’Ukraine et d’ailleurs, doit conduire les politiques de tous bords à se sentir concernés. Il y a des dérives dans certains propos que l’on ne peut pas laisser passer. Sans vouloir donner de leçon puisque je ne fais plus partie du monde politique, mais les propos intolérables de Monsieur Zemmour ne devraient pas être laissés sans réponse de la part d’un Ministre de la Culture. C’est une grave erreur. Sans parler du renouvellement de l’Assemblée Nationale, qui va jouer pleinement son rôle d’expression des différentes sensibilités, et c’est son rôle, nous vivons une période difficile. J’ai déjà vécu des périodes de crise. Si nous ne nous étions pas battus contre le projet de loi sur la Licence Globale (proposition française visant à légaliser les échanges non-commerciaux de contenus audiovisuels à travers Internet en contrepartie d’une rétribution forfaitaire en 2006, ndlr) proposé durant une minute d’inattention pour des députés qui n’étaient pas tous présents dans l’hémicycle, il aurait été adopté avec des conséquences désastreuses pour les droits d’auteurs des artistes et les techniciens. Le parlement est donc un lieu dangereux, mais de résolution des crises. Et c’est bien qu’il soit le reflet des tensions qui apparaissent dans la société française. La situation actuelle est passionnante et bien que retiré du monde politique, je ferai tout pour aider les plus jeunes.
Quel conseil leur donneriez-vous ?
Au sein de ma société de conseil, je dis souvent à mes collaborateurs que chaque seconde, chaque centimètre carré peut être une chance. Il faut être pro-actif. Ma deuxième maxime, c’est « faire d’un grain de sable un continent ». La simple manière de répondre au téléphone, quand vous êtes sollicité, peut déboucher sur un lien ou rester un réflexe d’automaticité stérile. C’est vrai dans tous les domaines comme dans celui du mécénat dans lequel je travaille. Il faut créer un sentiment de liberté sans s’embarrasser des process que je déteste. Bien sûr que les règles sont nécessaires, mais aujourd’hui, avant même de réfléchir à la question qu’on vous pose, on se contente de dire « Envoyez un mail ». Le vrai sujet, c’est qu’on est dans un pays dans lequel il y a polémique quand on fait quelque chose et il n’y jamais de polémique quand on ne fait rien ! Laisser à l’abandon l’axe Roissy-Paris, pour lequel nous avions un projet culturel, ne gêne personne ! Alors que cela pourrait être une chance pour démultiplier les talents.
Mais il faut des moyens pour investir dans des projets culturels.
Oui, mais vous savez, il y a toujours une raison qui s’oppose au fait de faire. Je ne dis pas que rien est fait ni que tout est facile, mais c’est en faisant, en investissant dans la culture que l’on peut s’en sortir par le haut, que l’on peut s’extraire des tensions et des affrontements. La réconciliation ne peut pas se faire avec du sur-place car tout est symbolique. Pour remplacer la flèche de Notre-Dame, le Président de la République avait eu la bonne idée de lancer un concours d’architectes. Finalement, les résistances, les conservatismes ont fait que le concours a été annulé. On reconstruit donc cette flèche à l’identique, sans doute aussi pour finaliser le tout avant les Jeux-Olympiques de 2024. C’est dommage, car cela donne le sentiment que nous avons peur. Dans cette période difficile, nous ne devons pas avoir peur. Nous avons une histoire, une folie créatrice, un bouillonnement d’idées qui doit nous conduire à l’audace. Non pas l’audace de tout changer et de faire table rase du passé, mais de pouvoir confronter les idées, nouvelles ou anciennes, pour décider in fine ce que l’on veut, ce que l’on peut faire. Librement.
La culture n’est donc selon vous ni de gauche, ni de droite ?
C’est une question qui m’a déjà été posée à l’époque où j’ai pris mes fonctions de Ministre. La culture n’est ni de gauche, ni de droite : c’est l’intensité que l’on met dans l’action. Je n’ai jamais jugé mes collaborateurs selon leur couleur politique. Je m’entoure de personnes qui partagent la même passion, la même obsession. Agir, pour convaincre et mobiliser. Les moyens viendront après. Il faut faire feu de tout bois.
Propos recueillis par Hélène Kuttner
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