Relance de la culture à Paris : cap sur la pratique
Le deuxième tour des élections municipales se tiendra dans une ville frappée par deux mois de dur confinement. La culture, fleuron de la vie et de l’économie parisienne, déjà fragilisée, est désormais en grand péril. L’engagement pour une politique culturelle ambitieuse, en prise avec les attentes des Parisiens et tournée vers l’avenir devient plus important que jamais. Or, si une part de la politique culturelle est nationale, l’échelon local est, en la matière, indispensable : lui seul est en prise directe avec les acteurs culturels, à même de s’adapter à la réalité des quartiers, capable de repérer et d’accompagner les initiatives locales. Bousculés par la crise sanitaire, les acteurs culturels et les Parisiens vont devoir réinventer leurs relations et leurs priorités.
Refuser les idées reçues sur le rapport des Parisiens à la Culture
Un sondage réalisé par Médiamétrie à l’initiative de l’ICART début 2020 pouvait rassurer le monde de la culture et les défenseurs d’une démocratie éclairée : les Parisiens sont attachés à la culture, massivement convaincus qu’elle enrichit, ouvre l’esprit et renforce les liens sociaux (1) . Près de 80% d’entre eux déclarent faire au moins une sortie culturelle par mois, sans compter les plus de 80% qui déclarent lire des livres.
Paris capitale culturelle… C’est son image, c’est son histoire, c’est aussi sa réalité.
Pourtant, le sondage perturbait également bien des idées reçues : loin des modes réelles ou supposées, les Grands-Parisiens vont plus au théâtre (2) qu’au concert (3) , sont plus attirés par les musées que par les tiers lieux (4) , et s’intéressent somme toute assez peu à la culture numérique (5) . Il montrait aussi la double importance de la pratique artistique : plus de la moitié des Parisiens ont une pratique artistique, et ¾ d’entre eux la plébiscitent comme l’un des meilleurs moyens d’initiation des enfants à l’art. Enfin, si les coûts connexes des sorties sont signalés, les tarifs ne sont pas identifiés comme un frein majeur.
Des priorités de politique culturelle essentielles, mais pas suffisantes
Alors que la campagne municipale engageait chacun à dévoiler sa vision, ces résultats nous interpelaient sur les priorités de la politique culturelle et les chantiers à mener ces prochaines années. Après la crise du Covid-19, la fermeture de tous les lieux recevant du public et la distanciation physique qui empêche les regroupements obligent à tout revoir, et la nécessité d’accompagner les artistes et les lieux est primordiale. Sans artistes pas d’art, pas de culture, rappelons-le en toutes occasions.
Ces dernières années, la Ville a fait beaucoup en ce sens : elle a sans doute contribué à faire émerger la culture numérique, beaucoup fait pour que des lieux s’installent dans des quartiers dits “défavorisés”, contribué à l’accompagnement des artistes, et elle a bien fait. Elle a accompagné le maintien de librairies indépendantes. L’effort paye et doit être poursuivi. Rien de tout cela n’est remis en cause, et une politique culturelle qui oublierait cette dimension ne tiendrait pas debout.
Mais cela ne suffit pas. L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme. Faut-il convoquer Malraux ou le service public cher à Vilar pour rappeler combien la culture est, outre un plaisir, un enjeu d’ouverture et de débat, donc de démocratie libre ? Faut-il attendre que l’intelligence artificielle dicte ce qui est “raisonnable” pour se souvenir que seule la créativité peut inventer un monde de demain humain ?
La pratique artistique : un enjeu majeur et un cap pour 2024
Les Parisiens doivent être mieux accompagnés dans leurs pratiques artistiques et culturelles. Tous les Parisiens. D’abord parce que le sondage en a montré les attentes, ensuite parce que le confinement et ses suites ont aggravé encore davantage les inégalités en tous genres, enfin parce que, décidément, l’époque a besoin de créativité, d’imagination, de citoyens sereins et investis, de générations et communautés qui se parlent et s’écoutent, de rêves et de confiance. Tout ce qui précisément nait notamment de pratiques artistiques et culturelles.
Alors “être mieux accompagné”, c’est certes mettre fin aux idées reçues sur des tarifs supposément toujours trop élevés pour le spectacle vivant, accroître et non réduire les affichages pour les propositions culturelles, assurer les trajets nocturnes en transports en commun dans le Grand-Paris, ouvrir les bibliothèques le soir et le dimanche aux heures les plus utiles en fonction des quartiers, accompagner une réflexion sur l’évolution du salon du Livre/Paris…
Mais l’enjeu crucial est surtout celui de la pratique artistique.
Pourquoi est-ce aussi difficile de trouver des lieux et de l’information pour suivre une pratique artistique de qualité et à tous âges ? Pourquoi la fête de la musique n’entraine-t elle plus autant d’artistes en herbe à tous les coins de rue ? Pourquoi est-ce aussi difficile de trouver des lieux de répétition ? Et puisqu’il y a des succès populaires, comme les Voix sur berges sur le canal Saint-Martin, pourquoi ne pas s’appuyer dessus et les déployer très largement ?
On répond en général : il y a les conservatoires, il y a la MPAA… Mais combien de Parisiens les connaissent et y ont accès ?
L’enjeu est là : qu’importent qu’ils soient scolarisés dans le public ou dans le privé, qu’ils soient dans le temps scolaire ou hors temps scolaire, qu’ils soient dans tel ou tel quartier : nous ne pourrons nous permettre de choisir que lorsque nous aurons collectivement assuré la possibilité de parcours d’éducation artistique aux 800 000 Parisiens de moins de 30 ans. Pas avant.
Cela passe bien sûr par davantage de places dans les Conservatoires, mais pas uniquement. Puisque le Président de la République propose un immense effort d’éducation artistique et culturelle, la plateforme développée en son temps par Françoise Nyssen et Jean-Michel Blanquer (www.education-artistique-culturelle.fr) est à disposition de tous : si les collectivités s’en emparent et la font évoluer, elle peut être utile. La Ville doit pouvoir renforcer et orienter, identifier, assurer en lien avec les artistes un réel maillage territorial. Et assurer à tous, quelle que soit son origine, un accès à de la pratique artistique de qualité. Pour y parvenir, public et privé doivent travailler main dans la main, établissements nationaux et municipaux, toutes les ressources fiables doivent être mobilisées. Il n’est plus l’heure de privilégier tel ou tel quartier en fonction d’autres politiques publiques : la mixité sereine de notre grande ville ne pourra passer que par la créativité et l’ouverture de chacun, à commencer par ces 800 000 jeunes sur qui les yeux de tant de médias et de capitales sont braqués.
Loin des clichés sur les modes des vies des différents quartiers : que ce soit une richesse. Mixité sociale et mixité générationnelle peuvent devenir des atouts si l’on sait les rassembler et non les mettre en silo. La pratique artistique sait être rassembleuse comme plus grand-chose (avec la pratique sportive) ne sait l’être.
Après cette crise, le Paris olympique accueillera le monde. Que les 4 années qui nous séparent de 2024 soient tournées vers ce défi : l’accès à des pratiques artistiques diversifiées et de qualité pour 800 000 jeunes lorsque le monde découvrira le Paris des parisiens.
(1) Bien au-delà de 90%
(2) Note de 7,3/10, avec plus de 70% des personnes qui attribuent une note supérieure à 7 – tous âges confondus
(3) Les concerts n’arrivent qu’en 5e position avec une note de 6,9, et un fort décrochage après 35 ans
(4) Note de 7,5 pour les musées, versus 5,9 pour les tiers lieux
(5) Forme culturelle la moins plébiscitée avec une note moyenne de 4,4/10
Céline Danion
Consultante en projets culturels, ancienne dirigeante d’établissements culturels, co-coordinatrice du pôle culture de Terra Nova.
À lire également sur Artistik Rezo : ICART & Médiamétrie – Enquête sur les pratiques et sorties culturelles des Français
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