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Régis Loisel – Galerie du 9ème art

23 avril 2011
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MAGASIN-GENERAL-TOME-6-ERNEST-LATULIPPE

Dans votre panthéon personnel, vous placez Walt Disney et Gustave Doré. Qu’en est-il de Mœbius, à qui la Fondation Cartier vient de consacrer une grande exposition ?

Oui, la filiation n’est pas si étonnante, car on trouve beaucoup l’imagerie de Doré chez Walt Disney, notamment dans Blanche-Neige. Quant à Mœbius, qui n’a-t-il pas influencé ? C’est notre maître absolu. Personnellement je suis plus intéressé par le côté Mœbius que par le côté Giraud, surtout dans l’aspect humoristique. J’aime bien Blueberry, mais le far-west rejoint moins mon univers. De plus, Mœbius a toujours été versé en science-fiction, et moi en heroic fantasy. Je ne tiens pas à rivaliser avec lui ! Dès le début, tous les dessinateurs en herbe achetaient Métal hurlant pour savoir ce que ce diable d’homme nous avait concocté, à chaque publication. Maintenant c’est plus difficile de nous épater : il y a tellement de gens qui font des choses formidables, grâce aux influences des auteurs précédents. On se construit forcément sur d’autres influences : même Giraud s’est construit sur Jijé.


Qu’avez-vous ressenti quand vous avez vu votre première planche publiée dans
Les Pieds-nickelés, en 1972 ?

Oh ! Ça ! C’est un double salto arrière. C’est comme un artiste avec son premier spectacle, son premier disque, son premier roman… « C’est moi qui l’ai fait ! » Après, avec du recul, on se rend compte que c’est vraiment nul. J’avais 19 ans, et Claude Moliterni m’a publié dans Les Pieds-Nickelés trimestriel. C’est lui aussi qui m’a présenté à Mandryka pour La Quête de l’oiseau du temps (regarde le ciel). Merci mon Claude !

Vous avez collaboré à des magazines très différents…

Après Les Pieds-Nickelés j’ai collaboré une fois à Pif-Gadget, une fois à L’Echo des savanes, une fois à Métal hurlant, une fois à Fluide glacial, mais je n’ai jamais été attaché à un journal. Ma seule idée, c’était de publier. Nous étions à la merci du « j’aime/j’aime pas ». Les directeurs de publications étaient souvent intéressés, mais leur numéro déjà bouclé, ils gardaient nos dessins pour un temps indéterminé. Nous achetions tous les mois le numéro suivant, cependant nos travaux ne sortaient jamais ! Puis, quatre mois, un an, un an et demi après, on voyait les dessins publiés. Mais on avait évolué entretemps… Et là, je ne vous parle que de la publication ! Après, il fallait réussir à se faire payer !

BD, presse, éditions, publicité… vous dessiniez indifféremment, quel que soit le média ?

Tout m’intéresse… Bon, à l’époque je n’avais pas le choix, il fallait bien que je mange. Mon régime était composé de tomates et de bananes. Et des pâtes ! Mais avec les copains, nous étions tous à la même enseigne. Je prenais tout ce qu’on me proposait : « Vous avez déjà fait ça ? » « Oui oui, bien sûr ! » Alors que je n’y connaissais strictement rien. Et du coup, j’arrivais à réaliser des choses dont je ne me croyais pas capable. Mon plan de carrière consistait à vivre de mon dessin. Percer dans la BD était assez difficile, donc les illustrations, les petits cabochons [NDR : vignettes] me permettaient de payer le loyer. Un dessin en plus, et je mettais de la vinaigrette dans les tomates.


Le pied à l’étrier, ça a été La Quête de l’oiseau du temps ?

La première fois, en 1975, nous avons publié douze pages dans un magazine appelé Imagine. Puis, en 1981, nous avons proposé une version plus colorée, en collaboration avec Serge Le Tendre : c’est la version qu’on connaît, avec ses qualités et ses défauts. Nous sommes d’ailleurs en train de refaire les couleurs des deux premiers tomes, les coloris étant fatigués à cause du grand nombre de tirages. En revoyant les planches, j’ai une certaine tendresse pour le bonhomme que j’étais. D’un côté, je me dis, « C’est vraiment à ch… » de l’autre « Quelle énergie, dans les cadrages, dans les idées ! » Je peux comprendre que des gens aient été boostés par cette BD à l’époque, même si je n’ai pas fait exprès ! C’était comme ça, tant mieux pour moi !


Pour ce qui est de Peter Pan, c’est intéressant de vous atteler à un personnage aussi ambigu, qui tient plus de Barrie que de Disney…

Oui, j’ai développé vraiment le côté sombre, en créant une histoire raccord avec Barrie, en imaginant tout ce qui a précédé son roman. Ce sont donc les mêmes personnages, Clochette, Crochet (qui n’est pas encore Crochet, puisqu’il a ses deux mains), le crocodile… avec une envie d’expliquer ce qui n’existe pas, les origines de Peter, pourquoi il est devenu Peter Pan. J’avais envie de traiter, par le biais de l’aventure et des personnages, mon intérêt pour la psychologie des enfants en manque d’amour.


LOITRI-648Maintenant, vous êtes plus connu pour Magasin général. Quid de l’avenir de la saga ?

Et bien j’en ai encore pour an, je finis le septième, et il en restera un dernier à faire l’année prochaine. Et logiquement c’est fini ! Si j’avais su que c’était si long, je ne me serais pas lancé dans cette aventure : au départ, tout devait tenir en trois tomes ! Le scénario vient d’un de mes cartons, c’est l’histoire d’une veuve avant l’heure, héritière du principal commerce local, dans un village du Québec rural à partir du début des années 40. Lorsque l’éditeur nous a demandé : « Combien de tomes ? » nous avons répondu : « Oh…euh… trois gros albums de 80 pages, ça devrait suffir. » Le problème réside dans la foule des personnages, le curé, les couples, les uns les autres, le temps qui s’installe, les saisons qui passent… Tout ça prend des pages ! Nous avions imposé un rythme dès le départ, nous ne pouvions pas l’accélérer ; donc il y a eu un quatrième tome… un cinquième…un sixième… bon allez avec six, on devrait être bon ? Et bien non !
Donc j’ai dit à Jean-Louis Tripp que j’en avais assez, non pas de l’histoire, des personnages ou du dessin. J’aime toujours autant Magasin général, j’irais jusqu’au bout, avec des planches de plus en plus travaillés, mais à un moment, c’est important de se tourner vers autre chose. J’ai d’autres projets qui attendent pour être réalisés !


Pas trop dur de passer de l’heroic fantasy à un univers réaliste ?

Non, j’aime être où on ne m’attend pas. J’ai d’autres projets qui n’ont rien à voir avec Magasin général. Je ne peux pas vous en parler, car j’avance un pas à la fois, je ne sais pas ce qui va se faire. Je pourrais passer au « Gros-nez » [NDR: école belge de BD enfantine] car je sais faire de l’humoristique, c’est avec ça que j’ai commencé. J’ai de la chance, car jusqu’ici aucun de mes projets n’a été rejeté en tant que tel, personne ne m’a dit « Tu devrais faire uniquement ce que tu sais faire. »

Propos recueillis par Mathilde de Beaune

Exposition de Régis Loisel

Ouvert du mardi au samedi
De 14h a 19h et sur rendez-vous.
M° Anvers ou Pigalle (ligne 2)

Galerie 9e Art
4 rue Cretet
75009 Paris

www.galerie9art.com
www.regisloisel.com

[Visuels : en haut : couverture du tome 6 de Magasin général, Ernest Latulippe, Casterman. En bas, Magasin Général T6, planches 48 (page 52), planche du story board poussé de Loisel + planche finale de Tripp 37×26 cm. Crayonné : rustines, photocopies retravaillées (cases 2 et 5) et bulles collées sur l’original. Crayon de papier, feutre et blanc sur papier, 42×29 cm]

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