Rabindranath Tagore – Galerie nationale d’Art moderne et contemporain de Rome
« La Dernière moisson », exposition itinérante montrée actuellement à Rome à la Galerie nationale d’art moderne et contemporain (après Berlin, Amstelveen près d’Amsterdam, puis Paris), apporte un tout nouvel éclairage. Elle révèle l’œuvre de Tagore peintre. Son abondante production, près de 2’500 peintures, se décline sur les dix dernières années de sa vie. Seules quatre-vingt-dix-huit peintures sont ici présentées.
Initié en 1930, ce travail s’ immisce dans la vie de l’artiste de manière impromptue. Sa peinture s’ impose à lui instinctivement en jaillissant avec naturel et spontanéité. Ses premiers dessins répondent à la nécessité de gommer les ratures disgracieuses provoquées par l’écriture lorsque celle-ci s’accorde mal avec la pensée. Les dessins n’annulent en rien l’écriture, ils sont le résultat d’une transformation volontaire laissée à la créativité du geste. Au trait calligraphique de l’écriture se substitue le trait pictural. Ce sont d’abord des formes colorées dans lesquelles est insufflée l’âme d’une vie en gestation, elle-même façonnée par l’exercice et la force de la nature. Ce devenir est l’incarnation d’un état de mutation inhérent au temps et à notre condition humaine. Le lyrisme poétique des écrits de Tagore se retrouve dans ses peintures. Ces dernières sont la pure projection matérielle de sa pensée qui s’exprime sur le papier à travers la forme pigmentaire et l’énergie spirituelle de l’artiste. Voyageur érudit et éclairé, Tagore est attaché à ses origines tout en prônant une ouverture sur le monde où l’Orient et l’Occident se regardent.
Contemporain de Gandhi, dont on connait l’engagement pacifique pour l’indépendance de l’Inde, Tagore est bientôt considéré comme un prophète dans une Europe en quête de spiritualité. Son œuvre pictural, découvert et soutenu par Anna de Noailles, émerge dans un contexte où l’on s’interroge sur soi. Les artistes expérimentent de nouvelles méthodes de travail au sein desquelles l’instrospection tient une place prépondérante. Déjà en 1910, Wassily Kandinsky théorise sur le sens de l’art et de la peinture à travers son ouvrage Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier. Pour lui, les formes et les couleurs revêtent un caractère spirituel voire sacré comme étant le prolongement de l’âme humaine et le dessin du monde. Puis en 1919, les surréalistes André Breton et Philippe Soupault publient Les Champs magnétiques, recueil de poésie rédigé selon le principe de l’écriture automatique. Il existe par ailleurs un engouement croissant pour la psychanalyse de Freud. Ce sont les balbutiements d’une recherche scientifique sur le comportement humain avec des postulats tels que « l’inconscient », le « moi », « l’interprétation des rêves ». Au-delà de la quête identitaire individuelle, il s’agit d’un processus créatif à partir duquel l’introspection permet à l’artiste de trouver en lui l’universalité de toute son humanité. Ses émotions et ses sentiments propres se manifestent par la singularité de son histoire personnelle.
Chez Tagore, l’œuvre d’art parle d’elle-même. Elle n’a rien à livrer de l’artiste bien que celui-ci s’y soit investi totalement. Si l’on s’accorde à parler de rencontre entre une œuvre et son spectateur, ce dernier devient l’ultime conteur. Tagore ne donne aucun titre à ses peintures. La liberté est entière. Pourtant, il se raconte et son œuvre est largement autobiographique. Comme Rembrandt avant lui, Tagore relate des évènements de la vie quotidienne, des épisodes de sa vie intime. Le chatoiement des couleurs le rapproche de certains artistes fauves et expressionnistes tels que Emil Nolde et Edvard Munch. Les formes quant à elles s’apparentent au dadaïste et surréaliste Hans Arp. Eclectique, la richesse intérieure de Tagore laisse entrevoir un monde baigné d’influences bouddhiques, se référant à l’hindouisme, et dont la matérialisation nous transporte parfois dans la symbolique des peuples primitifs, ou encore des cultures tribales et maories que nous rappellent la géométrie de certaines formes.
La peinture de Tagore est un ode à la vie, une danse où seul le rythme nous évoque le mouvement d’une existence périssable. Elle est dotée d’espérance car dans son apparente obscurité un faisceau de lumière scintille toujours. Cette dichotomie omniprésente chez Tagore met en évidence la part d’ombre et de lumière de l’homme. Pour lui, l’Art est l’écriture de soi et du monde. La voie de l’art est sans doute pour Tagore le seul combat valide et légitime dans un monde en ébullition.
Géraldine Tachat
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Rabindranath Tagore – La dernière moisson
Du 29 mars au 27 mai 2012
Du mardi au dimanche, de 9h30 à 19h
Fermeture le 1er mai
Galerie nationale d’art moderne et contemporain de Rome
Viale delle Belle Arti 131
00196 Roma
www.gnam.beniculturali.it/index.php?fr
[Visuel : Galleria nazionale d’arte moderna, viale delle Belle arti, Roma, Italia. 7 novembre 2006. Travail personnel de helix84. Licence Creative Commons paternité – partage à l’identique 3.0 (non transposée)]
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