Peter Buggenhout – Maison Rouge
« It’s a strange, strange world, Sally ». Les cinéphiles auront reconnu une réplique du très culte Blue Velvetde David Lynch. Et si Buggenhout en a fait le titre de son exposition, c’est qu’il a en commun avec le cinéaste le goût de l’inclassable et du sordide. Les matériaux utilisés pour façonner ses sculptures relèvent du détritus, de l’ordure, de tout ce que notre société produit de déchets, organiques ou industriels. Ferraille, plastique, sang séché, viscères, poils et poussière : rien n’est trop sale pour lui. La démarche n’est pas inédite, et pourtant ses œuvres sont singulières par leur nature hétérogène et leur aspect indéfinissable. A chaque fois c’est l’informe qu’il présente, offrant des objets étranges qui ne laissent au visiteur que des interrogations et un certain malaise.
Les sculptures les plus impressionnantes exposées à la Maison Rouge, ce sont des conglomérats de déchets recouverts d’un épais manteau de poussière. Leur titre générique, The Blind Leading The Blind (référence à une toile de Bruegel) rappelle que l’artiste les a fabriquées « à l’aveugle », assemblant les parties sans savoir ce que serait le tout. Nulle finalité dans ces agrégats anthracite : inutiles, encombrants, repoussants, ils sont disposés sur des tables de laboratoire comme en attente d’examens pour révéler enfin ce qu’ils sont ou ont été. Il en va de même de la monumentale What The Fuck qui occupe toute la pièce voisine, lançant ses poutres d’acier vers les murs et cachant son ventre de métal sous la poussière et la crasse. Sublime et répugnante, elle gît comme une immense et mystérieuse relique. Vestige d’un vaisseau disloqué, épave monstrueuse offerte à notre regard ? Ou fruit d’un processus de concrétion qui aurait fait s’agglutiner des débris pendant des décennies ? Une chose est sûre : de ces questions sans réponse naît une frustration plus forte que le dégoût.
Ces œuvres sont infiniment troublantes. Car si on n’en reconnaît pas la globalité, on en distingue des fractions : ici une pièce de pelleteuse, là un morceau de grillage, ailleurs un bidon peut-être… Chaque masse composite est à la fois étrangère et familière. A-t-on été propulsé dans un avenir où les déchets de notre siècle sont devenus des objets d’études ? Ces amas de rebuts sont-ils ce qui restera de notre monde après… quoi d’ailleurs ? Une guerre nucléaire ? Une catastrophe écologique ? L’Apocalypse, qui sait ? Cette poussière, qui recouvre les œuvres de Buggenhout, parle peut-être de notre avenir commun : la destruction et l’oubli… C’est pourquoi chacun sortira de la Maison Rouge avec un sentiment étrange, mélange d’inquiétude et de fascination pour ces vestiges du temps présent.
Sept œuvres seulement constituent cette exposition, et pourtant « It’s a strange, strange world, Sally » est un événement à ne pas rater. Parce qu’en faisant de l’ignoble un vecteur d’émotion et de trouble, Buggenhout montre de quels miracles l’art contemporain est capable. Devant ces immondices à portée métaphysique, on ne saurait rester de marbre…
Grégoire Jeanmonod
Peter Buggenhout: It’s a small, small world, Sally
Chargé des expositions à la Maison Rouge: Noëlig Le Roux
Jusqu’au 26 septembre 2010
Du mercredi au dimanche de 11h à 19h (le jeudi jusqu’à 21h)
Plein tarif : 7 euros // Tarif réduit : 5 euros
Maison Rouge / Fondation Antoine de Galbert
10, bd de la Bastille
75012 Paris
M° Quai de la Rapée, Bastille
[Visuel : The Blind leading the Blind (vue de l’exposition au Musée Dhondt Daenens, 2009 / photo: Henk Schoenmakers)]
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