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Portrait de l’artiste Don Mateo par Stéphanie Lemoine

« Tu ne viens pas ici par hasard », prévient d’emblée Don Mateo. La presqu’île de Thau, quartier populaire de Sète, est ce qu’on appelle pudiquement un quartier sensible. Cela sied bien, justement, à la sensibilité de l’artiste, qui joue sa pratique dans la rencontre et le dialogue avec les passants. Au printemps dernier, il était venu y animer un atelier d’initiation au pochoir avec des habitantes du lieu. Il y revient sous le soleil du mois de juin naissant, à l’occasion du K-Live, dont il était l’un des invités de l’édition 2018.

Lorsqu’on le retrouve en début d’après-midi, il est posté sur le rond-point qui fait face à la médiathèque André Malraux. Derrière ses lunettes de soleil, on devine que ses yeux se plissent pour mieux jauger les deux portraits peints sur la façade du bâtiment au cours des journées précédentes, et qui y dessinent un ensemble de lignes. A gauche, une petite fille, à droite, un vieux marin. Leurs regards divergent mais leurs trait légers se trouvent liés par un enchevêtrement de courbes, parfois remplies de noir, parfois rehaussées de jaune, de bleu et de rouge, tracées à la bombe d’une main libre. C’est une invitation à faire cheminer le regard sur la surface du mur et jusque sur l’arrondi du toit, au gré d’une déambulation épurée, sans heurts, presque aérienne. Don Mateo nous confiera plus tard qu’il est plutôt satisfait du résultat.

Il y avait là pourtant matière à se casser le nez. De fait, le mural tranche avec l’image qu’on se faisait de l’artiste, longtemps versé dans le pochoir et le paper-cut. Don Mateo s’empresse de justifier cette évolution : « le pochoir est statique et très contrôlé. J’avais besoin d’un geste plus instinctif. Je n’ai pas spécialement envie d’être dans la démonstration technique, mais au contraire de raconter une histoire à travers le regard, l’attitude, pour proposer un moment d’évasion et de poésie, sans prétention. » Pour produire ce résultat, il avoue avoir tâtonné : « jusqu’à avant-hier je ne savais pas trop où j’allais, et j’ai changé d’avis vingt fois. J’ai du mal à prendre du plaisir tout de suite, et suis rarement satisfait sur le coup. » Et le jeune homme de citer Yan Pei Ming dans la foulée : « la peinture, tu te bats avec, jusqu’au moment où il faut arrêter. Le danger est de ne pas savoir s’arrêter. » Pour le coup, lui s’est arrêté : à rebours du néo-muralisme, qui traite chaque mur comme une toile à recouvrir intégralement, il a ménagé sur la façade de nombreux vides. De loin, on n’y distingue pas même les légers coups de craie tracés le matin même par la petite fille du portrait – modeste contribution à son œuvre dont Don Mateo se dit très fier.

Pour l’artiste, venir au K-Live est l’aboutissement d’un parcours pas vraiment linéaire, et dont rien ne prédisait d’avance qu’il le mènerait là. « Je me rappelle d’être venu au festival les premières années, et de m’être dit que le jour où j’y serais invité, ce serait bien », s’amuse-t-il. Ses armes, il les a forgées loin de ce coin d’azur, mais tout près du Jura, à Dole. Sur son enfance, « dans un milieu populaire », Don Mateo ne s’étend guère : « j’ai fait des conneries, mais il fallait passer le temps et apprendre la débrouille », résume-t-il. Tout au plus raconte-t-il son premier graffiti : un gros « fuck » taggué à la bombe dorée sur la voiture du beau-frère de son prof principal, et qui lui vaudra une belle raclée.

La crise d’adolescence s’interrompt sitôt qu’il entre aux Beaux-arts de Besançon : « je me suis dit que c’était ma place, j’ai arrêté de bastonner. » En dernière année, le jeune homme part en Espagne, puis ira faire un tour au Danemark, dont il parle sans chaleur. Succède à ces voyages un début de carrière dans l’éducation. Mais son arrivée à Lyon en 2010 coïncide avec le désir de pousser à fond le désir de créer. En parallèle à ses recherches sur toile, il commence alors à investir la ville. « Pendant mes études, je faisais des trucs dans la rue, raconte-t-il. Mais je n’en ai aucune archive, c’était juste un défouloir. » Lyon devient ainsi son terrain d’aventure, et conforte son désir de rencontres et de lâcher prise : « Dehors, tu ressens une petite poussée d’adrénaline, justifie-t-il. Tu es hyper libre, et tu ne dois rien à personne. » Sous le pseudo de Don Mateo (un surnom logique quand on s’appelle Mathieu et qu’on œuvre sans autorisation dans les rues), collages, puis pochoirs, deviennent ses médiums privilégiés, et l’agrègent peu à peu à une scène locale en pleine effervescence. « Il y a 5 ou 6 ans, il s’est passé quelque chose à Lyon, note-t-il. Des artistes sont mis à bosser de manière régulière, les pages Facebook ont commencé à se créer, et une identité lyonnaise, très axée sur le collage, a émergé. » Face à l’explosion du street art, Don Mateo tient cependant à marquer la distance : « mon idée a toujours été de contredire l’art urbain, s’amuse-t-il. Dans le pochoir notamment, je travaillais la trace, pour limiter le contrôle, pour éviter de reproduire ce que d’autres font. Maintenant, mon travail est plus axé sur la ligne, la courbe. » De fait, quand on l’interroge sur ses influences, l’artiste cite Giacometti, Rothko ou Yan Pei Ming : « mes références ne sont pas forcément dans le champ du street art », résume-t-il.

De fait, s’il aime l’énergie de la rue et le « kiff » qu’elle génère, Don Mateo ne dédaigne pas pour autant l’atelier, ni la perspective d’exposer ses œuvres en galerie. « Je travaille tout le temps, et prend de plus en plus de plaisir à faire des toiles, rapporte-t-il. Avant, j’étais à 90% dehors, mais aujourd’hui, le indoor grignote. C’est cyclique en fait. » Début 2018, l’artiste a ainsi exposé ses œuvres au Lavo//Matik à Paris. Avec le K-Live, c’est aussi l’univers des festivals qui s’ouvre à lui – que ce soit en on, comme sur la façade de la médiathèque André Malraux, ou de manière plus officieuse. A la fin de notre entretien, il sort ainsi d’un carton à dessins une série de portraits d’habitants en papier découpé, qu’il s’apprête à aller coller en off dans le centre-ville de Sète. « J’attends le moment d’aller poser  mes petits trucs, s’amuse-t-il, ça m’excite beaucoup, car c’est ça, le street art authentique ! »

Stéphanie Lemoine

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