Pierre Orefice : “Je voulais être là pour avoir des idées, pour qu’il se passe des choses”
Pierre Orefice est l’un des auteurs du projet Les Machines de l’île, à Nantes. Il nous raconte ici son parcours et nous présente la vision qu’il porte sur son activité.
Pierre, vous dirigez aujourd’hui Les Machines de l’île à Nantes. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Très exactement, je suis co-auteur des Machines avec François Delarozière et je dirige l’exploitation des machines ainsi que des nefs, où l’on retrouve l’atelier de La Machine, la galerie des Machines, où dort l’éléphant, et sous ce grand parapluie, nous faisons une soixantaine de spectacles et de concerts dans l’année, dont je gère aussi la programmation. Avant d’arriver aux Machines, j’ai fait des études d’économie, une maîtrise à Paris 1, en même temps que Sciences Po Paris. Dans les années 80, nous sommes descendus avec un ami sur Toulouse, nous avons acheté deux péniches sur le canal du Midi et avons aménagé la première en salle de spectacle et la seconde en habitation pour les artistes qui se produisaient. L’hiver, nous étions donc un café-théâtre à Toulouse et l’été, nous partions en tournée vers Agen ou Avignon. Cela a duré trois ans, puis j’ai organisé un festival sur Toulouse après avoir observé le théâtre de rue très vivant à Barcelone. J’ai invité un certain nombre de compagnies à se présenter à ce festival, dont la compagnie Royal de Luxe. Ça a été une rencontre très forte, au point que Royal de Luxe est venue s’installer à Toulouse et je suis devenu administrateur de la compagnie jusqu’en 1999. Par la suite, j’ai monté une structure appelée Manaus qui a organisé toute une série de productions et de spectacles dans l’espace public en Europe, principalement en France. J’ai notamment pu travailler avec Canal+ pour Groland, chaque fois qu’ils étaient sur la voie publique. Parallèlement, en 2001, nous avons imaginé le projet des Machines avec François Delarozière. Il a été présenté au maire de Nantes de l’époque, Jean-Marc Ayrault. Nous avions la chance de tomber au bon moment, la décision de lancer un grand projet de rénovation était en cours, afin de transformer les anciens chantiers navals devenus des friches abandonnées. À l’époque, c’était le plus grand projet de rénovation urbaine de France, nous avons donc dit au maire de Nantes qu’il fallait inventer une histoire qui donne une âme à ce lieu. Nous lui avons expliqué le projet, autour d’un atelier que l’on construit, avec des machines en mouvement qui viennent peupler un territoire en pleine métamorphose, en pleine rénovation. On fait la jonction entre le monde de la culture et le monde du tourisme. En 2004, les travaux commençaient et en 2007, les Machines ouvraient.
Votre formation est plutôt politique et économique, avez-vous donc fait des choix dans vos modes d’organisation pour allier rationalité gestionnaire et création ?
Oui car j’ai été autant créateur, avec Royal de Luxe par exemple, que producteur et je pense que c’est ma connaissance du monde politique administratif et de la gestion qui m’a permis de présenter des formats qui tenaient la route. Je ne voulais pas faire de carrière dans la politique ou dans l’économie, je voulais être là pour avoir des idées, pour qu’il se passe des choses.
Pour vous, y a-t-il un style de management qui convient le mieux à ce que vous faites ?
La gestion d’une équipe est une sorte d’alchimie, personnelle à chacun. Ce qui est le plus difficile pour moi c’est d’apprendre à déléguer mais j’y arrive aujourd’hui, par obligation. Il faut à la fois savoir déléguer et donner de l’autonomie aux gens, leur donner des responsabilités, sans jamais perdre la cohésion d’équipe. Être co-auteur des Machines et avoir l’ascendant artistique, ainsi que celui sur la direction d’équipe en tant que directeur, est l’une des choses qui m’a beaucoup aidé. Ces deux ascendants permettent de tenir la cohésion, il est très facile de dire que pour des raisons artistiques, tu imposes un choix qui ne paraît pas forcément évident à tout le monde.
Une partie de votre travail consiste à trouver des financements pour les projets. Comment réussit-on à obtenir des financements issus du mécénat et quelles sont leurs motivations selon vous ?
Nous avons souvent été dans des périodes de défrichage de nouveaux terrains, où la culture envahissait un peu tout. J’ai l’habitude de dire que quand j’ai commencé ma carrière, les élus dont on ne savait pas quoi faire étaient mis à l’animation ou au comité des fêtes et que les plus “bêtes” étaient mis à la culture. Mais depuis Jack Lang, la culture est gérée presque en direct par les maires et c’est un outil stratégique pour leurs réélections car c’est ce qui fait la convivialité de la ville, nos spectateurs sont leurs électeurs. La culture est donc devenue très importante et j’ai surfé toute ma carrière sur une montée en puissance de ce secteur. Lorsque j’ai commencé dans les années 80, il y avait quelques grands théâtres et maisons de la culture. Aujourd’hui, il n’y a qu’une ville de moins de 20 0000 habitants qui n’a pas sa mini-scène nationale, sa salle culturelle, sa salle polyvalente. La culture a envahi beaucoup d’espace, le budget a augmenté, à ce jour il a tellement augmenté qu’il n’augmente plus et c’est normal, car il faut assumer toutes les structures créées. On a l’impression que le ministère de la Culture est moins actif mais il faut voir qu’il représente trente fois ce qu’il était dans les années 80. J’ai donc surfé sur cette vague et je pense qu’il s’agissait d’une génération où il était plus facile de réussir dans la culture qu’à une autre période. Mobiliser des financements, à partir du moment où tu as une idée qui est cohérente, que tu t’appuies sur des artistes qui ont du talent, ça marche. Peut-être que cela s’explique par le fait que Royal de Luxe était la plus grosse compagnie à l’époque, mais je n’ai jamais eu de problème pour boucler les budgets. Pour Cargo 92 qui était une énorme opération, avec l’achat d’un cargo, 140 comédiens en tournée sur tout un continent, on a réussi à financer sans laisser de casseroles. Le Royal a grandi tout doucement, puis on s’est rendu compte que l’aménagement urbain était quelque chose de très important. On a bien vu cela au début des années 2000, avec le musée Guggenheim de Bilbao. Si une ville veut émerger et donner de la vie à un quartier, commencer par la culture n’est pas totalement idiot. Pour l’Île de Nantes, cela a été l’argument massue, on invente un outil qui va accompagner les travaux.
Ces derniers temps, vous travaillez sur le projet de l’Arbre aux Hérons. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce projet est un peu notre frontière, on y pense depuis le début des Machines. Lorsque l’on a écrit le projet et que l’on a ouvert la première partie en 2007, il y avait déjà la branche prototype qui sortait de l’atelier, ainsi que la grande maquette de l’Arbre dans la galerie. Depuis 2012, on a installé le vestiaire de l’Arbre aux Hérons dans la galerie des Machines. C’est vraiment une ligne de force dans notre projet, François et moi y tenons beaucoup, nous considérons que les hérons ainsi que la ménagerie mécanique de l’arbre donnent sa vie au projet. Pour nous c’est un champ d’investigation incroyable, on peut inventer des choses folles. C’est un projet qui est cher, 40 millions d’euros, il a fallu trouver des financements et un club de parrains a été mis en place. Nous avons finalement obtenu un reçu fiscal de Bercy qui permet aux entreprises de récupérer 60% de leur mise. Nous avons donc déjà réussi à récolter 6 millions d’euros en un an. Il nous reste encore trois ans pour trouver les 6 millions d’euros restants. Ensuite, nous ferons un emprunt pour l’exploitation puisque les machines et l’Arbre aux Hérons auront une capacité d’autofinancer au moins une douzaine de millions d’euros. C’est un montage qui nous semble cohérent, maintenant il faut que Nantes Métropole le vote mais avec le report des élections, cela prend un peu de temps.
Plus d’informations sur le site internet des Machines de l’île.
Propos recueillis par Jean-Félix ROUSSEAUX
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