Pierre Lemarquis : “L’art sculpte et caresse notre cerveau”
Neurologue, neurophysiologiste et neuro-pharmacologue, Pierre Lemarquis étudie l’impact de la musique sur notre cerveau. Son dernier livre intitulé L’art qui guérit, paru aux Éditions Hazan le 4 novembre dernier, nous éclaire sur l’impact de l’art sur la santé, tant physique que mentale.
Quand et comment vous est venu l’idée du livre L’art qui guérit ?
Je me rappelle très bien du Café restaurant de ma grand-mère dans lequel j’ai grandi et qui était en face de l’école des Beaux-Arts d’Epinal. À la sortie des cours, étudiants et enseignants me dessinaient parfois ou m’invitaient aux cours pour mon plus grand bonheur. Pendant mes années d’étudiant, je me suis toujours beaucoup intéressé à l’art. J’ai notamment suivi des cours sur l’attachement de Boris Cyrulnik. Il commençait à être célèbre. Nous nous sommes entendus et nous nous sommes suivis. Nous avons travaillé sur le thème du vieillissement et de la résilience, dans lequel nous étions pionniers. J’ai ensuite sorti mon premier livre intitulé Sérénade pour un cerveau musicien. J’ai réalisé des expérimentations avec des peintures, l’art visuel, sur des personnes atteintes d’Alzheimer. Et je me suis rendu compte que lorsqu’on leur montre des œuvres d’art, les patients sont heureux et ont le sentiment d’être quelqu’un.
J’ai par la suite écrit mon second livre Portrait d’un cerveau en artiste. Les écrits de Benoit Kullmann, neurologue également, m’ont beaucoup intéressé. Il m’a initié à la phénoménologie, à la façon d’essayer de comprendre les patients de l’intérieur, et ainsi a germé l’idée de l’empathie esthétique, le ressenti de l’intérieur d’une œuvre d’art. C’était donc tout à fait naturel pour moi d’écrire sur ce sujet. Le confinement m’a permis d’avoir beaucoup de temps pour réfléchir et me plonger dans l’écriture du livre L’art qui guérit. Et cela faisait suite au travail de l’OMS sur l’art et le bien-être ! C’était comme un alignement des planètes (rire) !
Qu’est-ce qui vous guérit personnellement ?
L’art mais aussi la musique. Quand j’étais jeune, j’étais enfant de chœur. J’ai également appris à jouer du piano et de l’orgue. Je me suis remis au piano un peu avant 50 ans. Un ami pianiste et médecin m’a d’ailleurs parlé d’un piano magnifique de la marque Bösendorfer que j’ai pu acquérir. Mais, j’aime également lire, aller au cinéma et au musée. Je ne peux pas vivre sans l’art, la musique, la littérature.
Cela fait 30 ans que je vois des patients et je sais que “Monsieur tout le monde” n’existe pas. Tout le monde est différent et tout le monde aime quelque chose. Cela me fait d’ailleurs penser à une belle citation de Michel Audiard : “Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière”.
Quel(s) conseil(s) pourriez vous offrir aux étudiants qui se destinent aux professions dans le domaine de la culture, après la lecture de votre livre ?
Travailler dans la culture, c’est faire le choix d’un métier passion. Il faut vraiment avoir envie de travailler dans ce domaine. Alors, même si c’est difficile, il faut persévérer car c’est plus passionnant de travailler dans la culture que de fabriquer des machines à café (rire). Il faut toujours avoir foi en son projet et bien s’orienter. La culture est un petit monde. Finalement, dès qu’on est connu, on trouve du travail. C’est pour cela qu’il faut être curieux et persévérer !
Quels impacts une œuvre culturelle (musique, théâtre, poésie, danse, arts…) a-t-elle sur le cerveau ?
L’art sculpte et caresse notre cerveau. Ce qu’il faut savoir, c’est que nous avons deux cerveaux. Le premier capte les informations, les compare à ce qu’on a en mémoire, et nous indique ce qu’il faut faire pour rester en vie, et le second nous donne envie de vivre. Ce dernier est lié au système du plaisir et de la récompense. On peut dire qu’il y a un cerveau pour Apollon et un autre pour Dionysos. Si on supprime l’accès à la culture, on devra faire face à une épidémie de dépression. C’est pour cela qu’il est primordial de conserver une place pour la culture dans notre vie.
L’art agit de manière phénoménale sur notre cerveau. D’une part, il élargit notre esprit face à l’apprentissage d’informations nouvelles, et d’autre part, il a une incidence sur nos émotions. Quand nous écoutons une musique triste, si celle-ci est belle, on est moins triste. C’est le côté chimique de l’art. Notre cerveau sécrète alors de la dopamine, de la morphine, de la sérotonine et de l’ocytocine. Les propriétés sont les mêmes que pour la drogue mais sans les effets secondaires !
Ce qui est intéressant, c’est qu’en face de l’art visuel, le cerveau fonctionne comme si on était devant quelqu’un.
Qu’est-ce que la beauté pour vous ?
Nous avons deux cerveaux qui prônent deux types de beauté différentes : un cerveau pour Apollon qui aime les bonnes proportions, les couleurs, l’harmonie et le calme. Il est ici question de la beauté qui détend. Et un cerveau pour Dionysos qui apprécie la beauté qui prend aux tripes, qui fait jaillir nos émotions. La beauté nous transporte, nous grandit, nous transforme.
Pour quelles raisons avez-vous accepté d’être le président de l’association L’invitation à la beauté ?
J’ai fait la connaissance de Laure Mayoud, fondatrice et vice présidente de cette association, quand elle m’a contacté, après avoir écouté une émission de radio sur France Culture dans laquelle j’étais intervenant. Quand Laure m’a parlé des prescriptions culturelles, j’ai tout de suite été intéressé. C’est une personne très tonique, elle a l’envie d’aider et possède l’expérience pratique. Nous nous sommes tout de suite bien entendus, c’est donc tout naturellement que j’ai accepté de devenir président de l’association.
Livre à découvrir ici aux Éditions Hazan.
Propos recueillis par Maryna Magnin
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