Philippe Echaroux : “Mon travail doit parler au plus grand nombre”
Échange avec Philippe Echaroux, photographe et artiste urbain engagé, dont le travail, depuis 2013, de projections urbaines à travers le monde est devenu notoire sous le terme de street art 2.0. Pour ce bidouilleur autoproclamé de 36 ans, amoureux de la nature et magicien de la lumière, l’art de rue doit remplir une mission sociale et environnementale.
Avant d’être street artist, tu es avant tout photographe portraitiste, comment t’es venu cet intérêt pour le portrait ?
Je pratique les sports de pleine nature comme l’escalade et le kitesurf depuis très jeune, c’est là que j’ai fait mes premières expériences professionnelles. J’ai d’abord été photographié dans mes pratiques sportives puis en août 2008, j’ai décidé de passer de l’autre côté en achetant mon premier appareil, un bridge, par curiosité. La même année, je débutais mon apprentissage d’éducateur spécialisé et j’ai commencé à faire des portraits des personnes du foyer de vie où je travaillais. Avec le directeur, nous avons décidé d’exposer cette galerie de photos et cela a été un déclencheur pour moi quand j’ai vu ce que ce travail avait apporté aux personnes photographiées. En 2011, mon diplôme obtenu, j’ai commencé à travailler dans la publicité. C’est l’année où j’ai été lauréat du concours Dior. J’ai toujours voulu passer des messages même quand je travaillais pour le milieu de la publicité et j’ai toujours la même agence qui me représente encore aujourd’hui. Je suis quelqu’un de fidèle, à mes idées et à mes proches collaborateurs.
Qu’est-ce qui t’a amené ensuite à cette initiative de projeter des portraits dans ta ville de Marseille ?
Mon succès était grandissant dans le milieu de la publicité mais je trouvais que cela manquait d’une dimension sociale. Je ne suis pas particulièrement féru d’art mais je me suis dit que l’art urbain parle à tout le monde, même à ceux qui ne fréquentent pas les musées, et qu’il est éphémère par essence. J’ai donc commencé à coller des photos à la Patafix ®. Il était important pour moi de ne surtout pas laisser de trace, de respecter la nature. Je voulais faire du street art à ma façon. J’ai enchaîné en 2012 avec des photos collées sur des ballons de baudruche disséminés dans la rue. À l’époque, j’ai été remarqué pour le projet “Votez ici” : j’ai installé des milliers d’affichettes au-dessus des poubelles, dans les rues de Paris et de Marseille et dans le métro, avec le message “Si tu trouves que voter dans une poubelle est absurde … va voter dans une URNE !”. Mais la lumière a toujours été ma plus-value, donc la solution de projeter est devenue logique. J’ai commencé par projeter dans Marseille ce que j’avais en stock, des portraits.
Tu as ensuite commencé à projeter des textes à message, quelle est ta philosophie derrière ça ?
Cela s’inscrit toujours dans la volonté que j’ai de parler au plus grand nombre. Chacun a sa spécialité dans l’art urbain, je ne veux pas être un interprète mais plutôt créer ma propre façon de m’exprimer. Ces phrases sont des messages positifs, des conseils de vie, peut-être un peu niais de prime abord mais ils permettent aux gens de s’interroger, cela les aide à parler d’eux. Je pense que c’est quelque chose que je tiens de ma carrière d’éducateur spécialisé. Je tire ces messages de mes observations et je choisis toujours un lieu cohérent avec la phrase projetée. C’est une façon induite de diriger le spectateur.
D’où est venue cette qualification de street art 2.0 ?
Pas de moi (rires). Je ne me souviens pas exactement quel média a utilisé ce terme en premier, mais au tout début en 2013, notamment quand j’ai projeté le portrait de Zinédine Zidane sur la corniche à Marseille, l’initiative a largement été relayée par la presse dans plus de cinquante pays. C’est là que m’a été attribué ce qualificatif de street artist 2.0.
Tu es un artiste engagé, quelles sont les causes qui te tiennent le plus à cœur ?
Principalement l’écologie car c’est une cause globale et que c’est cohérent avec ma façon de penser, avec ma passion pour les sports de pleine nature. 99% de mes projets sont choisis par moi, sauf celui de Calcutta, le plus récent, où c’est une association locale qui m’a sollicité pour projeter des portraits d’enfants de la rue afin de lever des fonds permettant leur scolarisation.
Pour moi, le pourquoi est important. L’esthétisme n’est qu’un moyen de faire passer le message. Je suis allé en 2016 à la rencontre d’une tribu d’Indiens qui vivent dans la forêt amazonienne, les Suruis. J’ai projeté leurs portraits sur des arbres de la forêt afin de porter leur voix.
Quels sont tes projets actuels et futurs ?
Je pars au Mans pour préparer une exposition commandée par la mairie de la ville et qui aura lieu tout l’été. Je vais projeter des portraits des habitants du Mans sur des arbres. Encore une fois, le but c’est de rendre l’art accessible à tous, aux familles en l’occurrence, via un parcours ludique à travers la ville. Je veux que mon travail soit irréprochable techniquement mais facilement compréhensible. Et à la rentrée sort un livre rétrospective de mon travail aux éditions In Fine.
Les mots de la fin… que t’inspire la situation de l’art urbain aujourd’hui ?
Sympa, car c’est un art pas prétentieux. Essentiel par son accessibilité. Dans l’air du temps.
Retrouvez Philippe Echaroux sur son site.
Propos recueillis par Barbara Legras
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