Oublier Rodin? La sculpture à Paris, 1905-1914
Une exposition de sculptures n’est pas monnaie courante dans le monde de l’art; on ne peut donc que se féliciter de l’initiative du musée d’Orsay. Comme le laisse présager le titre, Rodin n’est évoqué que pour mettre en lumière les changements fondamentaux qui s’opèrent au début du XXème siècle dans le domaine de la sculpture. Entre 1900 et 1918, Paris est le centre d’un monde artistique en pleine effervescence: des sculpteurs tels que Bourdelle, Maillol, Brancusi, Duchamp-Villon et Lehmbruck explorent de nouvelles voies et mettent en place des théories qui annoncent une nouvelle génération d’artistes. L’exposition est organisée de manière à la fois chronologique et thématique.
Bien que la première partie de l’exposition concerne la période rodinienne des différents sculpteurs, l’accent est très vite mis sur la mutation qui se fait jour autour de 1905: les artistes trouvent peu à peu le moyen d’expression qui leur est propre. Tous recherchent des formes simplifiées, voire géométriques, significatives d’un retour à une sculpture originelle et ordonnée, loin du chaos expressif des figures de Rodin. Qu’il s’agisse de reliefs ou de volumes, les formes sont limitées par une structure presque architectonique: selon Maillol, un visage est « un masque sur une boule ». Toute expressivité disparaît et les surfaces deviennent lisses à l’extrême: l’œuvre, habitée par une intense vie spirituelle, acquiert une certaine atemporalité. La dernière partie de l’exposition, où Lehmbruck, artiste allemand quasi inconnu en France, occupe une place essentielle, est particulièrement impressionnante: elle concerne en effet l’impact de la guerre de 1914-1918 sur la production artistique. Les sculptures, toujours dénuées de pathos mais non d’émotion, deviennent expressionnistes et reflètent la souffrance muette d’une génération confrontée à l’horreur de la Grande Guerre: les corps se replient sur eux-mêmes, prostrés, accablés par la barbarie humaine. Ils trahissent le désespoir des artistes, en particulier de Lehmbruck, qui se suicide en 1919.
La muséographie met parfaitement en valeur cette exposition riche et passionnante: la scénographie est géométrique, à l’image de son contenu, et les sculptures se détachent sur un fond rouge dont la chaleur contraste avec l’impassibilité des visages. Même si la sculpture vous rebute, n’hésitez pas à découvrir les œuvres exposées par le musée d’Orsay jusqu’au 31 mai; elles vous feront changer d’avis! Si la sculpture vous intéresse déjà, cette exposition organisée avec brio vous comblera.
Maureen Charlet
Commissariat: Catherine Chevillot, conservateur en chef du musée d’Orsay, Laure de Margerie, documentaliste du musée d’Orsay, Christoph Brockhaus, directeur du Stiftung Wilhelm Lehmbruck Museum de Duisbourg, et Katharina B. Lepper, conservateur du Stiftung Wilhelm Lehmbruck Museum de Duisbourg.
Du 10 mars au 31 mai 2009.
Ouvert les mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 9h30 à 18h et le jeudi de 9h30 à 21h45.
Plein tarif: 8 euros; Tarif réduit: 5,50 euros; Gratuit pour les moins de 26 ans.
Musée d’Orsay
1 rue de la Légion-d’Honneur
75007 Paris
Métro Solférino (l. 12); RER C, station Musée d’Orsay.
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