Nicolas Gascard : “C’est injuste de n’avoir qu’une vie pour immortaliser tout ce que la nature a à nous offrir”
Nicolas Gascard est fasciné depuis toujours par les phénomènes atmosphériques. Ce photographe jurassien arpente le monde entier depuis près de 25 ans à la recherche de lumières éphémères à immortaliser. Rencontre avec cet amoureux de la nature qui, au travers de ses photographies, nous ramène à l’essentiel.
Vous avez une forte passion pour les orages, était-ce aussi le cas pour la photographie ou bien est-ce que l’orage vous a mené vers cette activité ?
C’est la foudre qui m’a amené à la photographie. Dans les années 1990, étant fasciné par la lumière et les orages, j’essayais de savoir comment capturer un phénomène aussi rapide que la vitesse de la lumière. Après j’ai après compris que l’on peut utiliser la technique de la pose longue pour photographier les éclairs. C’est donc indubitablement la foudre qui m’a emmenée à la photo. Ensuite, je me suis penché sur la recherche de la lumière dans tous ces états. J’ai commencé, fin des années 1990 à traquer les orages un peu partout en France et en Suisse. Puis je me suis intéressé à la lumière de façon général sur le Massif Jurassien. Mon travail c’est une conjugaison entre éléments et phénomènes atmosphériques à travers différentes régions notamment le Jura puisque je suis de cette région-là. Ma première photographie d’orage remonte à mai 1996, à l’époque je n’avais pas encore de voiture. J’étais en vélo à la sortie du village. A travers les toits de certaines habitations du dernier quartier du village qui donnent sur la plaine jurassienne, j’avais saisi trois coups de foudre qui tombaient simultanément. J’avais déjà eu une révélation, mais c’est cette soirée qui a changé toute ma vie.
Quel est le processus pour chasser un orage ?
Parfois c’est l’intuition. Il y a un facteur chance aussi qui rentre énormément en compte. Mais concrètement, je suis constamment les bulletins météorologiques, 24h ou 48h à l’avance. En fonction de certains paramètres complexes, je fonce là où l’orage va se présenter. Parfois j’anticipe sur des spots que j’ai découvert quelques années auparavant. En tout cas, je ne suis pas trop présent sur internet donc j’évite tout ce qui est cartes géo portail et ce qui s’en suit. J’essaie au maximum d’être dans l’intuition, sur le moment, sur le terrain pour essayer de trouver un endroit assez élevé. Il faut s’adapter selon les lieux car dans les grandes plaines comme en région Champagne-Ardenne ou au centre de la France c’est un peu plus compliqué. Tout dépend ! Par exemple, sur les reliefs de l’Est entre le Jura, les Vosges et les Alpes, je connais quelques endroits, ce qui me permet de garer ma voiture pas très loin. La plupart du temps je fais des photos depuis l’intérieur de mon véhicule pour me protéger aussi.
Justement, vous parlez de protection, c’est une activité qui peut vite devenir dangereuse, avez-vous déjà eu une mauvaise expérience ?
Oui bien sûr ! La première fois que j’ai subi des séquelles physiques c’était sur le Monte Bré dans les Alpes Suisse Italienne au-dessus du lac de Lugano qui est un endroit très orageux, les orages sont très violents là-bas. La foudre est tombée à quelques dizaines de mètres de moi, j’étais dehors, j’ai ressenti un violent frisson sur la tête et des fourmillements liés au champ électromagnétique. Une seconde fois dans le Val de Saône en Juin 2013. Il était minuit à peu près, c’était un orage exceptionnel qui engendrait des coups de foudre de façon totalement apocalyptique. La foudre n’arrêtait pas de tomber autour de la voiture c’était de la folie. C’était vraiment l’orage que j’attendais depuis mon enfance. La foudre était à moins de 100 mètres donc je faisais des photographies totalement incroyables pendant plus d’une demi-heure. A un moment la foudre a fini par tomber à coté de ma voiture. J’ai subi des persistances rétiniennes suite aux canaux des impacts et puis il y a eu des incidents également sur mon véhicules, l’ampoule du phare arrière droit avait fondue et le fusible du klaxon avait grillé tellement le champ de foudroiement était extrêmement intense. Disons qu’un ou deux coups de foudre proches sous un orage c’est normal, mais quinze à la fois c’est exceptionnel !
Vous vous intéressez également à tous les phénomènes naturels. Qu’est-ce qui finalement mérite d’être photographié ?
Je pense que tous les paysages méritent d’être photographiés. Moi j’ai une démarche un peu absurde, ma quête de photographie est effectivement toujours liée aux phénomènes atmosphériques, au ciel. C’est vrai que la neige me fascine autant que l’orage, c’est peut-être mon côté bipolaire ! J’aime jouer avec ces deux saisons bien différentes ; une douce et minimaliste et puis une autre plus violente, chaude. Mais bien sûr que tous les paysages méritent d’être immortalisés. Je pense qu’on vit une situation compliquée et assez dramatique au niveau écosystème et climatologique, c’est injuste de n’avoir qu’une vie pour photographier et immortaliser tout ce que la nature a à nous offrir. Personnellement j’ai choisi de m’intéresser et rechercher la lumière éphémère. Toujours le même processus finalement que la foudre qui s’abat très rapidement. Elle va produire une lumière céleste excessivement rapide de l’ordre de 1,25 milliseconde. Ce que je recherche l’automne ou l’hiver c’est donc une lumière éphémère qui vient embraser le paysage ne serait-ce qu’un instant. Durant ces saisons, je prends mon sac à dos, quelques vivres et je pars sur les crêtes pendant deux, trois jours. Ce n’est pas comme pour un orage ou il y a de l’anticipation et une organisation. J’ai besoin de me retrouver seul face aux éléments quelle que soit la saison puisque tout ce qui est éléments atmosphériques me fascinent. Quand je passe mon temps-libre à faire ça, je suis le plus heureux.
Malgré vos escapades un peu partout, vous restez très fidèle au Jura. Comment trouvez-vous encore l’inspiration ?
En fait, on pourrait croire qu’on a vite fait de faire le tour du Jura mais pas du tout. Je découvre à chaque fois une biodiversité et diversité assez magiques. C’est-à-dire que parfois je vais me retrouver sur certaines tourbières que j’ai déjà pu observer, contempler mais je trouve toujours des endroits nouveaux. Ce sont des petits lieux magiques qui passent parfois inaperçus. En fait le Jura est tellement vaste que moi-même je n’ai pas encore eu la chance d’arpenter l’ensemble du massif. Je pense que j’ai encore pas mal d’années pour tout découvrir. Pour cela, j’essaie de renouveler ma démarche iconographique et photographique à travers ces nouveaux endroits. Le Jura ‘39’ je l’ai pas mal fait, mais je me rends compte que côté Ain il y a des endroits tout aussi magiques. Par exemple, la Valserine, la frontière avec Bellegarde, tous ces coins-là, c’est grandiose aussi.
Est-ce un métier sportif ?
Oui surtout l’hiver sur les crêtes du Jura. Je m’entraine souvent chez moi, je fais du cardio, des séances de sport pour garder un peu la forme. C’est obligé parce que l’hiver j’ai quasiment douze kilos sur le dos de matériel. Avec les raquettes, ou même en marchant ça demande un peu d’endurance tout de même. Donc voilà quelques entrainements par semaine à la maison toute l’année pour s’entretenir c’est nécessaire, mais ce n’est pas du sport à haut niveau.
Retouchez-vous vos photographies pour travailler et faire ressortir cette lumière ?
J’essaie de rester le plus naturel possible. Après ce serait mentir que de dire qu’une image reste telle qu’elle. Comme à l’époque de l’argentique, on est sur un fichier brut donc il demande quand même quelques retouches. Par rapport à l’écran des appareils numériques on a souvent des valeurs colorimétriques qui sont plus poussées que contrastées et le but c’est de retrouver sur l’écran de l’ordinateur ces valeurs que l’on avait sur l’écran de l’appareil photo. Donc ça arrive, très rarement, d’avoir des photos où l’exposition est pratiquement parfaite et ne nécessitent pas de retouche. Pour ça il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu ; la chance, le bon endroit, le bon moment. C’est donc très rare. Même un photographe très épuré, très minimaliste comme Vincent Minier, photographe animalier, me disait qu’il devait parfois retoucher. Ne serait-ce que pour les poussières ou certains contrastes par exemple pour certaines ombres sur certaines espèces. Donc oui il y a un minimum de retouches. Moi je le fais sur les niveaux, les contrastes, parfois légèrement la clarté pour les ciels orageux. Après il y a une différence entre retoucher un minimum et malheureusement certaines personnes qui abusent carrément en détournant la nature même du paysage et faisant des montages ! Mais le vrai problème c’est que maintenant il y a tellement de surconsommation d’images sur les réseaux tel qu’Instagram ou autre, qu’on ne distingue plus des images quasiment naturelles aux fausses images.
Y a-t-il un orage parfait que vous rêvez de capturer un jour ?
Je ne sais pas, peut-être que l’orage parfait serait celui qui apporterait le symbole suprême. C’est-à-dire le retour à l’état de création. Celui où l’on serait finalement sur un espace totalement vierge, sauvage. En fait, je pense qu’en juin 2013, je l’ai vécu cet orage. Je l’ai souvent imaginé et puis je l’ai vécu pendant une heure où j’ai failli être foudroyé. C’était extraordinaire. Après oui on a tous des fantasmes dans le domaine de l’image. Je suis toujours à la recherche de lieux très sauvages. Par exemple même dans le Jura j’attends avec impatience l’impact d’un orage a quelques mètres de moi sur la falaise de Baume-les-Messieurs. J’imagine plein de lieux à lier avec la foudre bien sûr. Et puis il y a des lieux qui sont très spirituels et donc inspirants que j’imagine bien avec un orage. Par exemple, au plein cœur des volcans d’Auvergne sur des plateaux avec des pierres sacrées qui ont une communication et un retour direct avec la foudre. Je pense aussi au belvédère de la Roche Blanche toujours dans le Jura. De toute façon ce qui me plait dans l’orage c’est ce côté direct de paysages paisibles statiques ébranlés en une fraction de seconde par la foudre.
Vous avez fait plusieurs expositions, qu’est-ce que cela vous apporte d’avoir le point de vue du spectateur ? Est-ce une façon de rappeler au monde que la nature est une chose précieuse à ne pas oublier ?
Tout à fait. C’est surtout pour le côté conceptuel. Une sorte de prévention pour montrer comme la nature est belle. Après, je pense que les gens régressent d’une manière générale et sont de plus en plus bêtes. C’est radical je suis désolé mais je l’ai constaté. C’est-à-dire que les gens se déplacent de moins en moins sur les expositions et sont lobotomisés sur Instagram. C’est malheureux mais c’est ainsi. C’est pour ça que je déclare un peu la guerre aux réseaux sociaux. C’est dommage. Après, je pense qu’il y a des gens plus ou moins sensibles. Ceux qui sont nés avec une sensibilité au fait de préserver notre planète, la nature, les animaux. Et puis il y a ceux qui ne le sont pas et qui s’abrutissent en regardant des émissions de télévision plus que médiocres. Ce sont ces gens-là qui devraient finalement bouger un petit peu pour voir ce qu’il se passe en dehors de chez eux. Donc moi en faisant des expositions, ce n’est pas la notoriété que je recherche. Je n’ai pas besoin de signer des autographes. Je voudrais simplement montrer ce qu’il se passe dans la nature, montrer à ce public là qu’il y a une façon de voir les choses autrement. Plutôt que de consommer des fast-food et la télévision, qu’ils puissent entrer dans ce type de milieu iconographique merveilleux. Malheureusement c’est peine perdue car les gens sont happés par les bêtises que l’on trouve au quotidien.
Quels sont vos prochains projets ?
Je vais sortir un nouveau livre sur le Jura à travers un concept lié à l’anthropomorphisme. Je vais essayer de lier les paysages avec des formes vivantes, quelque chose d’un peu tordu ! Et puis j’ai un gros projet l’année prochaine dont je ne peux pas encore parler. Je peux seulement dire que ce sera un espace lié aux orages et à la foudre. C’est un travail de 25 années qui va se matérialiser en juin 2021.
Propos recueillis par Charlie Egraz
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