Niall Williams dans la froide prison de la pluie
Niall Williams dans la froide prison de la pluie |
Le voyageur qui parcourt le Kiltumper, au-dessus de Kilrush vers le Spanish Point sous les falaises de Moher ou qui traîne au long des rues de la ville d’Inis s’immerge dans l’environnement des romans de Niall Williams. Nous sommes chez lui, en Irlande, plein ouest, dans son comté du Clare. C’est ici, au fil des parutions de ses ouvrages, que ressurgissent les belles pages qu’il consacre à son récit de réfugié littéraire dans son propre pays. Car, c’est bien toute l’œuvre de Niall Williams, né en 1958, qui s’articule dans ce pays sauvage entre ses souvenirs d’une adolescence irlandaise et son parcours d’une vie d’adulte en compagnie de l’écrivain Christine Breen avec laquelle, bien avant son premier roman, quatre livres rédigés à deux mains ont été publiés. Il leur semblait nécessaire de raconter leur amour pour cette part d’Irlande sur la côte atlantique et dire leur expérience commune du retour aux racines, eux qui vécurent quelques années aux États-Unis (O come ye back to Ireland – 1985, The Luck of the Irish – 1995). Christine Breen, américaine, étudiante à l’époque, rencontrée au café de l’université à Dublin, étudiait la littérature irlandaise, lui, la littérature américaine. En conséquence de quoi, en toute logique, ils se sont mariés puis installés près de New York, en 1980, où Niall était employé chez un libraire, vivant là une réelle précarité financière que sublimait son amour pour les auteurs et que les poèmes de Yeats ont pu pondérer. Ils quitteront les États-Unis en 1985, sur un coup de blues pour l’Irlande, pour un retour aux sources, et s’installeront dans le Clare, dans la maison du grand-père, lequel, comme beaucoup de ses semblables, avait quitté l’endroit en 1905 pour l’Amérique, destination obligée de millions d’Irlandais meurtris par les famines ou par le blocus incessant que firent peser sur leur destinée des dictatures anglo-saxonnes. Une voix, une musicalité… Ce qui persiste dans le langage musical de Niall Williams, c’est son rythme. Il convient à l’écriture poétique : “Je dis des mots et je les écris. Qu’elle traduise la faiblesse ou la puissance, c’est d’abord une voix que j’entends. Voilà où je puise la musique de la langue. Je ne construis pas de scénario, tout me semble devenir fluide au fur et à mesure.” Les caractères de ses personnages sont dépeints avec délicatesse, souvent avec jovialité, parfois avec la gravité qui convient à ce pays de collines où ne se comptent plus les moutons, au bord des rivages accidentés d’où repartent des chemins oubliés. Dans ce pays, la pluie, toujours la pluie, y fait ses claquettes, comme dit la chanson. Les vents y sont violents, ils gonflent les tempêtes. Les habitants ont la peau dure, les mains calleuses et se chauffent à la tourbe. Ils marchent courbés affrontant la bourrasque quand ils ne tirent pas une lourde carriole. Ils frôlent les mégalithes d’où se dispersent les korrigans. Les Irlandais de l’ouest atteignent toujours leur but, même emprisonnés dans l’œil du cyclone. Quatre lettres d’amour, un succès mondial Dès ses 19 ans, des deux années qu’il passe à Paris, Niall Williams conserve un bon parler français et, ce qui n’est pas rien, le souvenir de longues journées passées dans les bibliothèques pour y découvrir Flaubert pour le langage, Balzac pour la description des caractères et les romantiques Hugo, Baudelaire, Duras avec ferveur (cependant hermétique à Robbe-Grillet, précise-t-il). Il faudra ajouter à cette liste les cantates de Bach, sa collection des Bob Dylan, Van Morrisson et autres Irish singers. En 1997, la parution de Quatre lettres d’amour (Flammarion), son premier roman, obtint un succès immédiat en Irlande, en Europe et au-delà. À la lecture de la première phrase de ce très beau texte, on ressentait un choc : “Lorsque j’avais 12 ans, Dieu a parlé à mon père pour la première fois…” Devant notre tasse de thé, dans sa maison de Kilmihil, Niall Williams revient sur ce point : “Ces premiers mots rédigés dès la première page représentaient une telle force pour moi que je suis resté comme tétanisé, l’imagination coupée, à ne plus pouvoir écrire une autre ligne durant de nombreux mois. Je n’avais plus de suite au récit et je ne voulais pourtant pas supprimer ce rôle que Dieu s’était spontanément donné d’être présent dès la première ligne. Je m’en suis sorti plus tardivement tentant de répondre à cette question de savoir ce que Dieu aurait bien pu dire à mon père et, du reste, en quelle langue ? Je n’avais pas résolu le problème ni le lendemain ni les jours suivants et je suis resté silencieux devant mon texte. Plus tard, je devais trouver la solution en expliquant, pages suivantes, que personne, à commencer par moi, ne saura jamais ce que Dieu avait bien pu lui confier.” Ce n’est qu’un an après, grâce à cette pirouette, que Niall Williams pouvait reprendre la bonne suite de son roman. Réconcilier les contraires entre le possible et l’impossible L’univers de Niall Williams est fait d’oppositions. Elles existent dans la description qu’il fait de la nature, quand il nous fait participer à la beauté des choses. Cette sublimation, il peut la rejeter avec une certaine violence puisqu’il nous laisse entrevoir combien la nature peut soudainement devenir meurtrière au moment où nous nous y attendons le moins. L’opposition encore, lorsqu’il nous dit, saisi par la nostalgie de sa jeunesse et “de tout ce qui paraît avoir désormais disparu”, que l’Irlande lui manque alors qu’il y vit. “Ce qui lui manque, en réalité, c’est un endroit qu’il est en train d’inventer […] Cet endroit, il le crée à partir de fragments de la réalité, l’Irlande, pays de la pluie” écrit-il, comme pour nous laisser entendre que l’Irlande pourrait ne représenter que son fantasme ou, mieux, cette sorte de fantôme inventé pour nourrir sa mélancolie. “Il s’en dégage une mélancolie noyée et déprimante, comme s’il n’y avait pas d’autre endroit que la froide prison de la pluie !” Niall Williams nous révèle avec talent “l’intelligence des choses de l’imagination”, comme l’écrivait Yeats, qui avait comme lui découvert la séculaire croyance aux fées. Cette inconfortable position de l’écrivain écartelé entre le possible et l’impossible et qui tente de réconcilier les contraires renvoie à un combat d’écrivain qui évoque, comme en une allégorie, le marcheur exténué, le dos courbé sur son bâton, qui marche contre l’ouragan. Chaque pas de gagné est une victoire sur l’histoire des hommes. Chaque livre de Niall Williams est une étape dans notre propre bouleversement. Il nous rassasie d’images accrochées à la mémoire “entre champs solitaires et infinis, dans les tourbières brunes, les odeurs de bétail et les émanations de tracteur”. Dans l’expression des contraires à laquelle il se livre, l’auteur nous fait ressentir quel est le poids de la religion dans l’Irlande catholique. Les Irlandais n’envisagent même pas l’idée polluante du doute qui pourtant le tenaille, lui, le néoplatonicien, qui reste viscéralement attaché à cette globalité toute faite de messes des dimanches, de landes battues par le vent d’ouest et de roches, d’où pourrait surgir son père… (History of the rain – Éd. Bloomsbury UK – Irlande et États-Unis, Espagne, Brésil, Italie, Turquie droits également vendus 2015-2016. L’édition française est vivement attendue.) Avec Niall Williams : « Humour can conquer so many adversities ! »
“History of the Rain” ” History of the Rain me ramène à mon père. J’avais dix ans, il m’avait emmené à la bibliothèque et nous ne parlions pas beaucoup tous les deux. Même en voiture, il restait silencieux, rapportant chacun son lot de livres, lui du rayon histoire et techniques et moi du rayon poésies.En fait, nous avons communiqué par notre tas de livres interposé entre lui et moi qui faisait comme un pont entre nous deux. A sa mort, il m’a réservé ses livres comme une continuité de lui-même puisque pour moi le livre est vivant, le livre est la vie. Il m’a donc laissé un testament dans lequel il me donnait tous ses livres. Ce sont des livres très techniques, sur la pêche en particulier dont « Salmon Rivers in Ireland » qui n’est pas de nature à figurer dans ma bibliothèque. Cependant, c’est son livre, je le touche et je retrouve là où mon père a posé ses doigts et sur les pages que ses mains ont tournées comme la sensation de le retrouver “ Patrick DuCome [Visuels : Fatalistic and lyrical… Niall Williams – Photo © John Kelly] |
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