Myriam Chair : “Le galeriste c’est cette troisième personne que l’on ne voit pas forcément mais qui a pourtant toute son importance”
Passionnée d’art depuis son plus jeune âge, Myriam Chair prend son courage à deux mains, quitte son poste de salariée dans une grande galerie internationale parisienne pour ouvrir sa propre galerie en décembre 2021. Rencontre avec une jeune galeriste passionnée, attachée à l’idée de rendre l’art accessible, humain et vivant.
Myriam Chair inspire notamment pour l’équilibre qu’elle a su trouver dans sa passion, entre rigueur professionnelle et humanité, équilibre si difficile à trouver pour beaucoup. Motivée à l’idée de faire découvrir au public des artistes émergents, Myriam Chair nous montre qu’avec de la détermination, du cœur et beaucoup de travail, on peut choisir de vivre de sa passion.
Est-ce que tu peux te présenter ? Comment pourrais-tu me décrire la Galerie Myriam Chair ?
Je m’appelle Myriam Chair, j’ai 34 ans. J’ai travaillé pendant plusieurs années dans le marché de l’art, en maisons de vente et en galeries d’art.
En 2021, j’ai quitté mon précèdent emploi au sein de la galerie Almine Rech pour me lancer dans l’aventure de créer ma propre galerie.
Au sein de la galerie Myriam Chair, je m’axe sur des artistes contemporains et plus particulièrement sur la création émergente. Ce ne sont pas forcément que de jeunes artistes, cela peut être aussi des artistes qui vont être redécouverts, des artistes qui travaillent depuis quelques années et qui commencent à gagner en visibilité auprès de collectionneurs ou d’institutions.
En tous cas, je présente de l’art contemporain émergent et je propose des expériences sensibles aux visiteurs. À chaque exposition, j’ai introduit des ateliers de méditation, des ateliers de découverte des œuvres des artistes pour les enfants ou alors des performances, qu’elles soient musicales ou encore gustatives au sein de la galerie, notamment lors de la dernière exposition, Sortie de Corps.
Tu as toujours voulu travailler dans l’art ? Comment en es-tu venue à en faire ta carrière ?
Quand j’ai fini mes études secondaires, j’ai commencé à faire des études de médecine. Je n’avais pas forcément comme envie professionnelle de travailler dans le secteur culturel ou dans le marché de l’art, mais j’avais déjà un fort attrait pour ces milieux-là.
Je me suis réorientée, j’avais une profession en tête que j’aimais beaucoup et que je voulais expérimenter : commissaire-priseur.
J’ai donc décidé de continuer mes études en double licence de droit et d’histoire de l’art à la Sorbonne et à Assas. Le seul moyen pour obtenir l’examen de commissaire-priseur étant d’avoir une double formation en droit et en histoire de l’art.
Après, au fur et à mesure de mes expériences professionnelles, je me suis rendu compte qu’autant, j’adorais aller en maisons de vente, autant j’adorais suivre des ventes pour mon plaisir, mais y travailler était moins proche de mes envies. Je voulais absolument travailler avec des artistes, proposer des expositions commissariées, avec un thème, tout en gardant le côté marchand déjà présent dans le métier de commissaire-priseur.
Mais alors, concrètement, qu’est ce qui t’a donné envie d’être galeriste ?
J’ai de la chance d’avoir une famille et des parents qui étaient artistes et qui par la suite, ont légèrement changé de voie pour passer du côté marchand.
C’est sûr, cela m’a beaucoup influencée quand j’étais petite d’avoir fréquenté des maisons de vente, des galeries… J’ai toujours eu cette vision assez personnelle du monde de l’art. Pourtant, je n’ai pas tout de suite voulu en faire ma profession. Comme je le disais, chez moi, c’était plus de l’ordre de la passion : d’aller voir des expositions, d’aller acheter des œuvres, c’était vraiment un à-côté. Puis le moment est venu où j’ai dû vraiment choisir une certaine formation, un métier. Et je pense que tous ces éléments, de mes études en histoire de l’art à mon background familial, m’ont forcément aidée à me dire que je pouvais en faire mon métier.
Pourquoi ouvrir ta propre galerie ? Quel chemin as-tu parcouru pour permettre à la galerie Myriam Chair de voir le jour ?
Pendant mes études, je me suis rapidement rendu compte que je ne trouverais sans doute pas une structure dans laquelle je pourrais utiliser toutes mes compétences. J’ai travaillé dans différentes structures, des maisons de ventes familiales aux galeries internationales…
Je suis très heureuse de ces nombreuses expériences, très formatrices, mais l’idée de créer ma propre galerie m’est vraiment venue à la toute fin de mes études.
Après mon Master 2 en droit du marché de l’art et du patrimoine artistique, j’ai eu envie de faire une année supplémentaire de spécialisation et là, je me suis posé la question de savoir si je faisais un master en commissariat d’exposition ou en management culturel, qui me donnerait les clés pour pouvoir créer ma propre structure par la suite. Je suis partie terminer mes études en management culturel à l’ESCP. Finalement, c’est un choix que j’ai fait un peu à rebours mais en même temps qui s’explique très bien dans mes envies lors de mes expériences professionnelles passées.
Quels sont les effets positifs d’avoir sa propre galerie et quels sont les effets négatifs ?
Forcément, il y a beaucoup de positif, qui dit galerie dit pouvoir sélectionner les artistes que l’on souhaite défendre, concevoir une exposition du début à la fin, créer des événements. Ça me permet donc de défendre l’art que j’aime, de mettre en valeur les artistes de mon choix et puis ça me donne forcément une grande liberté. Certes, ça fait beaucoup de changements : je suis passée du statut de salariée à celui d’entrepreneur donc forcément, on en tire des avantages : on est son propre patron, on décide de nos horaires, de quand est ce que l’on travaille. Après, il y a aussi des inconvénients. On porte toute la responsabilité des bonnes ou des moins bonnes choses, il n’y a pas de filet de sécurité que l’on a en étant salarié.
Pour autant, il y a une possibilité de progression qui est immense ! Entre les deux états, on ne sait pas exactement de quelle manière le chemin va se dessiner mais on peut se dire que l’on avance et que l’on est seul responsable. Et la responsabilité c’est autant quelque chose de positif que de négatif.
C’est sûr que ce n’est pas tant la quantité de travail que l’on va fournir qui va nous permettre à la fin de se dire que c’est un succès ou un échec. Après, ce sont les notions du succès, d’échec et de la productivité qui sont intéressantes car elles sont facilement remises en cause quand tu es entrepreneur.
Comment choisis-tu les artistes ? Quel lien entretiens-tu avec les artistes que tu exposes ?
Alors le choix des artistes, c’est une question qui revient souvent quand je parle de ma profession. C’est vrai qu’il n’y a pas qu’un seul moyen de dénicher des nouveaux talents. Le bouche à oreille, les autres personnes que l’on peut connaitre qui sont déjà dans le milieu que cela soit d’autres galeristes, des commissaires d’exposition ou encore Instagram qui est un outil très important. C’est vrai que je ne pensais vraiment pas passer autant de temps sur Instagram en commençant ce projet de galerie (rires).
Pour les liens que j’entretiens avec les artistes, ce que je préfère c’est quand j’ai un lien en commun avec les artistes avec qui je vais travailler. Pour moi c’est essentiel d’instaurer un climat de confiance et que ce soit celle qu’ils peuvent m’accorder ou moi, la confiance que je peux leur accorder. Ça marche dans les deux sens ! Et puis c’est vrai qu’il y a une certaine proximité en âge, et dans les intérêts et questionnements communs. Il y a toujours une certaine affinité élective dans les goûts, l’esthétique, dans les thèmes, dans les préoccupations humaines que l’on peut rencontrer les uns comme les autres.
Quelle est la dernière chose qui t’ait marquée dans ton travail ?
Ce qui me marque vraiment, c’est de me rendre compte à quel point les artistes ont besoin d’être aidés et soutenus tout au long de leur carrière, du début de leur pratique artistique, que ce soit en étant étudiant, diplômé, autodidacte, au milieu de leur carrière artistique.
D’un autre côté, comme n’importe quelle personne, les artistes se retrouvent dans la jungle du travail et ce n’est facile pour personne. Je me rends donc bien compte que les artistes ont besoin d’avoir des conseils, que quelqu’un leur dise comment ça fonctionne.
Je pense que c’est vraiment le rôle du galeriste d’assurer une place de passeur entre les artistes, leurs créations et des personnes qui voudraient acheter des œuvres pour différentes raisons, que ça soit pour agrémenter leur intérieur, les présenter dans une collection publique, en institutions ou encore pour faire des placements ou juste parce qu’ils ont eu un coup de cœur.
À la fois, renseigner et aider les artistes mais aussi les collectionneurs. Le galeriste, c’est cette troisième personne qu’on ne voit pas forcément mais qui a pourtant toute son importance.
Avec un peu de recul sur ta carrière, quel est ton regard sur ce que tu as pu accomplir. Qu’est-ce que tu referais de la même manière ou à l’inverse, différemment ?
Je suis spécialisée en marché de l’art et je pense que mon regard sur le marché a énormément évolué avec ces années. Il y a une multitude de marchés de l’art comme il y a une multitude d’acheteurs. Pour autant, c’est vrai que dans mon envie de démocratiser, de rendre accessible l’art dans lequel je commence à essayer de me positionner, je me rends compte que cela prend du temps. De plus, ça demande un regard assez précis, assez technique sur les différentes scènes d’art contemporain qui existent, car elles sont vraiment multiples. Avoir une meilleure connaissance, des milieux institutionnels, des milieux du marché de l’art, de voir quels sont les artistes qui vont plaire aux collectionneurs, qui ne sont pas forcément ceux que l’on ne va pas encore trouver en musée, est essentiel. Ce sont des dynamiques qui sont très souterraines et en même temps, très visibles donc ça donne un mélange assez spécial finalement. J’apprends tous les jours et ça c’est quand même un grand luxe.
Est-ce que tu peux me parler de l’exposition que tu présentes en ce moment ?
C’est la première exposition collective à la galerie, elle s’appelle Sortie de Corps. C’est la première fois que l’on propose une exposition curatée, présentée avec un thème, avec un choix d’artistes qui ne se connaissaient pas avant ce projet d’exposition.
Avec Sortie de Corps, je pense que l’on arrive sur des sujets qui commencent à être de plus en plus montrés, étudiés et vus en galeries ou en institutions, soit notre rapport au corps et plus particulièrement au corps féminin et notre environnement. C’est là que j’ai fait le choix de présenter trois artistes femmes.
J’avais envie de montrer quels étaient les différents sujets qu’elles pouvaient aborder sur la représentation du corps, sur notre manière de pouvoir vivre dans un monde qui semble objectif et en même temps avec une manière unique et très subjective d’interagir avec notre environnement et de montrer comment chacune, à sa manière, le fait. De là, j’ai voulu continuer à proposer des expositions qui restent sensibles et synesthésiques. On a justement proposé à Camille Corréas, qui fait autant appel à nos sens du toucher avec ses créations céramiques, que le goût ou l’odorat avec des créations olfactives, de réaliser une performance gustative que l’on a eu l’occasion de goûter et de ressentir : un gâteau-rivière (elle était pâtissière avant d’être céramiste).
As-tu des projets en cours ou à venir dont tu souhaites me parler ?
On a plusieurs projets en cours, notamment de présenter des artistes de la scène émergente européenne et internationale, comme Berlin ou Bruxelles, deux grandes places fortes de l’art et du marché de l’art, une ouverture sur la scène internationale américaine, mais ça je vous laisse regarder les prochaines actualités sur mon site Internet pour en savoir un peu plus (rires).
Enfin, si je te demande de me donner trois mots qui sont importants pour toi vis-à-vis de ta galerie, de ton rôle de galeriste ?
Je pense que ce serait : beau, sensible et organisé !
Tiphaine Conus
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