Montrer l’absence par l’invisible
Le vendredi 12 octobre a eu lieu une conférence sur Yves Klein à l’Athénée Municipal de Bordeaux, une occasion de se remémorer les plus grandes œuvres de cet artiste en suivant pas à pas son processus artistique. Durant cette conférence ont été évoqués les concepts du visible et de l’invisible, concepts qui ont inspiré par la suite plusieurs artistes et qui ont donné lieu à des initiatives engagées.
Celui dont je veux parler aujourd’hui est un artiste conceptuel allemand, Jochen Gerz, qui a choisi lui aussi d’expérimenter sur l’invisible.
L’histoire de son œuvre est la suivante : en 1990, Jochen Gerz choisit un lieu symbolique, la place Sarrebruck en Allemagne, autrefois quartier général de la Gestapo et aujourd’hui siège du parlement régional. Avec l’aide de ses étudiants de l’école des Beaux-Arts, il entreprend clandestinement d’en desceller les pavés et d’inscrire sur chacun le nom d’un cimetière juif d’Allemagne et le nombre de corps qu’il contient. Puis, il remet le pavé en place, l’inscription étant invisible puisque tournée contre terre, d’où le surnom du monument : Le Monument Invisible. Le nombre de cimetières donnés par les communautés juives s’élevait à l’époque à 2146 : cela a donné le nom au monument
« 2146 pavés – Monument contre le Racisme ».
Cette œuvre est une initiative de l’artiste à part entière : avec ce projet, il a voulu effectuer un travail sur la mémoire en représentant le passé nazi de la ville de Sarrebruck. Le message ne peut pas être plus clair : évoquer la disparition par la présence réelle et concrète de l’invisible, autrement dit montrer l’absence par le non-visible.
C’est à mes yeux un très bon exemple d’une œuvre engagée : Jochen Gerz veut ici dénoncer la suppression du souvenir de ce passé, montrer que malgré les efforts faits pour oublier ce passé négatif, il fait entièrement partie de l’histoire et doit exister. Son but est d’inscrire ce monument négatif dans nos consciences.
Ce lieu est devenu la Place du Monument Invisible. On ne sait pas où sont les pavés gravés mais on sait qu’ils sont là. L’invisibilité a une raison très forte et historique : elle raconte une histoire, cette histoire.
Et je finirais par une citation de Marcel Cohen : « un monument disparu dont on parle a plus de réalité qu’un monument existant qu’on ne regarde plus ».
Manon Lainé
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