0 Shares 4371 Views

Montrer l’absence par l’invisible

Manon Lainé 13 novembre 2018
4371 Vues

Le vendredi 12 octobre a eu lieu une conférence sur Yves Klein à l’Athénée Municipal de Bordeaux, une occasion de se remémorer les plus grandes œuvres de cet artiste en suivant pas à pas son processus artistique. Durant cette conférence ont été évoqués les concepts du visible et de l’invisible, concepts qui ont inspiré par la suite plusieurs artistes et qui ont donné lieu à des initiatives engagées.

Celui dont je veux parler aujourd’hui est un artiste conceptuel allemand, Jochen Gerz, qui a choisi lui aussi d’expérimenter sur l’invisible.

L’histoire de son œuvre est la suivante : en 1990, Jochen Gerz choisit un lieu symbolique, la place Sarrebruck en Allemagne, autrefois quartier général de la Gestapo et aujourd’hui siège du parlement régional. Avec l’aide de ses étudiants de l’école des Beaux-Arts, il entreprend clandestinement d’en desceller les pavés et d’inscrire sur chacun le nom d’un cimetière juif d’Allemagne et le nombre de corps qu’il contient. Puis, il remet le pavé en place, l’inscription étant invisible puisque tournée contre terre, d’où le surnom du monument : Le Monument Invisible. Le nombre de cimetières donnés par les communautés juives s’élevait à l’époque à 2146 : cela a donné le nom au monument
« 2146 pavés – Monument contre le Racisme ».

« 2146 pavés – Monument contre le Racisme ».

Cette œuvre est une initiative de l’artiste à part entière : avec ce projet, il a voulu effectuer un travail sur la mémoire en représentant le passé nazi de la ville de Sarrebruck. Le message ne peut pas être plus clair : évoquer la disparition par la présence réelle et concrète de l’invisible, autrement dit montrer l’absence par le non-visible.
C’est à mes yeux un très bon exemple d’une œuvre engagée : Jochen Gerz veut ici dénoncer la suppression du souvenir de ce passé, montrer que malgré les efforts faits pour oublier ce passé négatif, il fait entièrement partie de l’histoire et doit exister. Son but est d’inscrire ce monument négatif dans nos consciences.

Ce lieu est devenu la Place du Monument Invisible. On ne sait pas où sont les pavés gravés mais on sait qu’ils sont là. L’invisibilité a une raison très forte et historique : elle raconte une histoire, cette histoire.

Et je finirais par une citation de Marcel Cohen : « un monument disparu dont on parle a plus de réalité qu’un monument existant qu’on ne regarde plus ».

Manon Lainé

Articles liés

“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune
Agenda
124 vues

“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune

A dix-sept ans, Yasser, le frère de Rabih Mroué, subit une blessure qui le contraint à réapprendre à parler. C’est lui qui nous fait face sur scène. Ce questionnement de la représentation et des limites entre fiction et documentaire...

“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins
Agenda
111 vues

“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins

Victor l’a quittée. Ils vivaient une histoire d’amour fusionnelle depuis deux ans. Ce n’était pas toujours très beau, c’était parfois violent, mais elle était sûre d’une chose, il ne la quitterait jamais. Elle transformait chaque nouvelle marque qu’il infligeait...

La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”
Agenda
110 vues

La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”

Raconter la vie d’une femme dans sa poésie propre, de l’enfance à l’âge adulte. En découvrir la trame, en dérouler le fil. Les mains féminines ont beaucoup tissé, brodé, cousu mais elles ont aussi écrit ! Alors, place à leurs...