MonkeyBird : “Notre travail est assurément anthropique”
Ce sont deux paires de mains à l’origine du MonkeyBird Crew : Louis et Edouard, deux amis et street artists associés qui s’expriment d’un même trait. Singes, oiseaux, paysages, citadelles et symboles sont sublimés par les lignes noires, blanches et dorées tracées par le duo. Une fable philosophique qui parle avec poésie et sensibilité des hommes et du monde.
Comment avez-vous trouvé cet univers commun ?
On s’est rencontrés à l’école de design en 2009 et à cette époque on était tous les deux en quête d’une identité artistique. On était à la recherche d’un univers, on expérimentait plein de choses, des paysages, des animaux… Ce sont ces mêmes intérêts et cette curiosité qui nous ont rapprochés. On était tous les deux passionnés, on s’est trouvés pas mal de points communs et on s’est très vite entendus.
C’est passé par beaucoup de dessins, de la pratique, des collages aussi… On testait la réaction des gens dans la rue. Et finalement on s’est construits grâce à l’interaction de nos différentes recherches et inspirations, en confrontant et en associant les idées de chacun.
Le singe, l’oiseau… Il y en a un pour chacun de vous ?
Au départ, oui, on pourrait dire ça. On avait une démarche assez binaire. Nous avons progressivement mis nos deux univers en correspondance. Aujourd’hui, on travaille des compositions plus globales : les animaux, oui, mais aussi les paysages, l’architecture, les motifs… Il peut y avoir les deux animaux représentés, mais parfois il n’y en a qu’un… Nos animaux parlent des hommes, il y a cette idée de la fable sous-jacente à nos compositions.
Quelle est votre démarche pour travailler à quatre mains ? Est-ce qu’il y a un gros travail de recherche, de discussion en amont ?
On discute des thèmes et des sujets ensemble et ensuite on peut chacun partir dans nos recherches, faire des propositions. On peut se répartir le dessin, les motifs. Soit ça nous influence, soit ça nourrit notre réflexion commune. Ce qu’il y a bien dans le duo, c’est qu’on est à la fois très indépendants et en même temps nos discussions et nos échanges sont riches, ça nous permet d’évoluer dans une direction commune. C’est important de garder notre spontanéité tout en renouvelant notre connaissance. On ne veut pas tomber dans la répétition. Sachant que notre identité artistique est bien installée, il faut faire l’effort de se renouveler, de proposer de nouvelles choses. Et ce travail à deux c’est ce qui nourrit le mieux notre évolution.
Vous utilisez du noir, du blanc et du doré essentiellement. Pourquoi avoir écarté les couleurs ?
On est d’abord passés par la couleur mais on trouvait ça assez artificiel. Disons que ça n’apportait rien de plus, ça ne servait pas notre message. Et puis on n’a pas une pratique traditionnelle du pochoir (l’application de plusieurs couches). Du coup, on a délibérément choisi de restreindre notre palette au noir et blanc, qui correspondait le plus à notre imaginaire. Ce qui est important dans notre travail, c’est la ligne, et ce parti-pris du noir et blanc essaye de la mettre en valeur au maximum. On travaille sur les détails, le tracé, la profondeur, la lumière… C’est là-dessus qu’on veut attirer l’attention, pas sur les couleurs.
La recherche de couleur est ailleurs : ça peut être dans le type de bois par exemple, ou le choix du fond (noir ou blanc) pour aborder le traitement de la lumière. L’or, qui nous est venu plus tard, nous permet de venir contraster les ombres, et de donner de l’intensité au noir et blanc.
Vos supports sont souvent des matériaux bruts. On a cette impression de retour aux sources, de méditation face à la nature.
Oui, on s’est vite attachés au bois, pour l’aspect artisanal du travail et aussi parce que ça nous a ramenés un peu dans la rue. Et les matériaux naturels, ça évolue. Le bois est vivant, il a une histoire, et on trouvait intéressant de mettre en valeur ce passé, ces traces. Ce travail de mémoire nous est cher, on aime composer sur des matériaux qui ont déjà été travaillés par la main humaine. On veut réintégrer les objets dans un cycle. La recherche de supports spécifiques est une part importante dans l’élaboration d’une pièce. Cadres anciens, miroirs, fond d’armoires, têtes de lit… C’est une double cohérence que l’on souhaite : de la composition, et de l’œuvre en soi.
Les animaux, c’est une métaphore pour les hommes ?
Oui, notre travail est assurément anthropique. On parle de l’homme et de sa dualité en tant qu’animal social, balancé entre l’instinct et la conscience. On veut suggérer par le symbole, qui révèle certains modes d’opération de l’esprit humain, si constants au cours des siècles et si généralement répandus, qu’on peut les tenir pour fondamentaux.
En lui-même, le symbole définit la spécificité humaine : cette capacité à sublimer la matérialité de son existence et à s’affranchir du déterminisme de la pulsion. On utilise une imagerie ancienne mais intemporelle, des éléments d’architecture, d’astronomie, qui sont des sciences de l’homme, en quête de sens.
Vous avez réalisé des murs un peu partout en France et à l’étranger. Est-ce que ces voyages nourrissent votre imaginaire ?
Oui bien sûr, les voyages sont source d’influence et d’inspiration. À l’heure de la culture virtuelle, il est nécessaire de s’ouvrir à notre environnement. Le but de notre travail, c’est de retranscrire une certaine expérience de nos voyages, de faire part de nos observations et de nos découvertes.
Bordeaux et Paris, nos deux villes, sont très riches en termes d’architecture et de paysages. On va retourner faire des photos bientôt, des portes, des sculptures d’églises, des armoiries… il y a de quoi faire à Paris ! C’est un langage proche de notre imagerie ancienne, et un vivier de références historiques et architecturales. Finalement, on pourrait dire qu’on est dans une démarche presque archéologique des techniques.
Questions croisées :
Qu’est-ce que tu apportes personnellement au duo MonkeyBird ?
Edouard : C’est super dur comme question ! L’aspect technique peut-être, j’adore les pratiques manuelles, je suis curieux de plein de techniques, modernes et artisanales. J’apporte du dynamisme, ma motivation, de la spontanéité.
Louis : Je dirais une inspiration qui me dépasse moi-même. Un désir de recherche et curiosité sans fin. J’ai tendance à complexifier le propos, à toujours pousser la réflexion.
Qu’est-ce que tu préfères chez l’autre ?
Edouard : Déjà le travail à deux c’est beaucoup plus humain. On a une ambition commune, et c’est tellement plus productif de partager nos idées. Ça nous permet de réaliser des projets qu’on n’aurait pas pu faire seuls. Louis a ce côté rêveur, toujours à la recherche de la poésie des choses.
Louis : C’est un bon fonceur, il a toujours plein d’idées, et est toujours motivé. Il a tendance à penser que rien n’est impossible, c’est super stimulant. On échange beaucoup, mais en même temps on se connaît très bien donc on peut se faire confiance les yeux fermés.
Est-ce qu’il y a un projet, un voyage, une œuvre qui t’a particulièrement marqué ?
Edouard : Au Mexique en 2016, la rencontre avec Said Dokins. C’est un artiste que j’aime beaucoup, et ça a été une super rencontre à l’issue de laquelle on a réalisé un mur ensemble à San Miguel. Le travail, c’est un vecteur de lien social et d’humanité. Il y a aussi le mur qu’on a fait au Grenoble Street Art Festival. C’est le plus gros projet qu’on ait fait, un mur de 32 mètres. Et ça, ça fait partie des choses qu’on n’aurait probablement pas pu réaliser seul. On a passé une semaine et demi dessus, c’était un vrai challenge technique, on s’est fait peur parfois ! Mais derrière il y a eu cette sensation d’accomplissement, on s’est dit qu’on pouvait faire des choses de cette hauteur.
Louis : En 2013 je suis allé voir Edouard à Amsterdam qui faisait un stage pour ses études. On a beaucoup travaillé dans la rue, et c’est à ce moment qu’il s’est passé quelque chose dans l’élaboration de l’identité MonkeyBird. C’était une expérience très riche. Peu de temps après ça, on a rencontré Nicolas Laugero Lasserre et Jef Aérosol, et le boulot a pris.
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Anna Maréchal
[Crédits photos : © DR – MonkeyBird. Photo 1 : le duo des MonkeyBird / Photo 2-3 : travail d’atelier / Photo 3 : “artiste artisan” / Photo 4 : Loures Arte Publica, Lisbonne, juillet 2016 / Photo 5 : “Le message secret”, fresque collaboration avec le calligraphe mexicain Said Dokins, Bordeaux, octobre 2016]
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