Mode et art, une idylle séculaire, fusionnelle et prolifère
De tout temps, la mode s’est inspirée de l’art ou a collaboré avec le milieu artistique, et nombreux sont les artistes qui se sont emparés des marques de mode et de luxe dans leur travail, avec à la clef un bénéfice bilatéral indéniable. Petit tour d’horizon non exhaustif de cette relation prolifique entre deux secteurs qui partagent nombre d’atomes crochus.
Lorsque l’on parle d’inspirations artistiques dans le milieu de la mode, on pense bien souvent en premier lieu à Yves Saint Laurent et à sa célèbre robe Mondrian, présentée lors des défilés de l’automne/hiver 1965. Une collection qui rend hommage au sens de la géométrie du peintre hollandais. À l’époque, la presse du monde entier est éblouie par ces véritables œuvres d’art mises en mouvement. Diana Vreeland s’enthousiasme dans le New York Times et évoque “The best collection“ tandis que Women’s Wear Daily qualifie Yves Saint Laurent de “roi de Paris“.
Mais les premières collaborations entre milieu de la mode et milieu artistique remontent au tout début du vingtième siècle. Paul Poiret, élève de Worth (le fondateur de la Haute Couture) et créateur de la marque éponyme fondée en 1902, est considéré comme celui qui a libéré le corps de la femme en supprimant le corset de ses créations. Très proche des milieux artistiques parisiens, “Poiret le Magnifique”, comme on le surnommait, fut l’un des premiers à jeter des ponts entre art et mode. Il n’a pas hésité par exemple à solliciter la collaboration de Raoul Dufy pour dessiner de somptueux imprimés ou à confier l’illustration de ses catalogues à Paul Iribe.
Dans les années 30, Elsa Schiaparelli et Salvador Dalí, amis dans la vie, défrayent la chronique en réalisant ensemble des pièces de légende, jugées tout d’abord scandaleuses avant de trouver leur public, comme le chapeau-chaussure ou la célèbre robe Homard qui fut même portée par Wallis Simpson lors de son mariage avec le duc de Windsor. Loin d’être une collaboration à sens unique, il s’agit plutôt d’un échange entre deux artistes. À son tour, Dalí s’inspire des créations innovantes de Schiaparelli. Dans son tableau Vêtements de nuit et jour en 1936, il couche sur la toile deux créations emblématiques de Schiaparelli : les robes zip et les épaules très marquées.
Depuis lors, la mode n’a eu de cesse d’introduire l’art dans ses collections, soit en s’en inspirant comme Vans l’a fait l’an dernier avec sa capsule “Vault by Vans X Frida Kahlo“, soit en invitant des artistes à dessiner des collections dans le cadre de co-brandings, ces associations marketing entre deux marques ou créateurs aux territoires le plus souvent similaires ou a minima perméables.
Ainsi Louis Vuitton, après s’être déjà associé à Takashi Murakami ou Yayoi Kusama, confie en 2017 à Jeff Koons le design d’une capsule intitulée “Masters“ qui revisite des sacs iconiques de la marque avec des reproductions peintes à la main d’œuvres de Grands Maîtres, une “re-création” librement inspirée de la série Gazing Ball Paintings de l’artiste contemporain. Une collaboration controversée, souvent jugée laide mais qui a néanmoins atteint son public, la capsule ayant été vite épuisée en ventes.
L’art urbain n’échappe pas non plus à la règle. Les street artists, très présents sur Instagram et Snapchat, sont des relais puissants pour toucher les trentenaires et jeunes quadragénaires avec un fort pouvoir d’achat. Les marques de mode luxe ne s’y trompent pas. En veulent pour preuve, la collaboration entre Cyril Kongo et Hermès pour la collection “Carré Graff by Kongo“ de l’automne/hiver 2011-2012 ou bien la capsule “Dior Homme x Kaws“ pour la collection printemps/été 2019. Pour cette capsule, le nouveau directeur artistique Dior Homme, Kim Jones, a fait appel à l’artiste new-yorkais Brian Donnelly, connu sous le nom de Kaws, pour réinventer le fameux motif d’abeille de la maison et créer un nouveau logo Dior spécialement conçu pour la collection.
Réciproquement, les artistes s’inspirent également des marques de mode et de luxe dans leur travail, le plus souvent en mode transgressif. Antoine Bouillot, ancien directeur artistique pour plusieurs maisons, s’empare des marques et les met en scène de façon désacralisée pour nous amener à réfléchir sur notre rapport avec elles. Dans Opposites belong together, œuvre de 2009, c’est un shopping bag Gucci qui est quasi dynamité par l’artiste (cf photo en une). L’artiste urbain Zevs quant à lui, “liquide” les logos de marques comme Louis Vuitton, Chanel, Nike, Supreme ou Lacoste depuis 2006. Louis Vuitton n’a pas manqué par la suite de sauter sur l’occasion artistique pour intégrer son logo liquidé par Zevs dans une de ses collections.
Somme toute, on constate que les frontières entre mode, luxe et art s’atténuent au point de quasiment disparaître avec le temps : le vêtement ou l’accessoire de mode devient objet d’art à part entière et s’expose même dans des musées comme le Palais Galliera ou le MAD ; les artistes s’inspirent des marques ou collaborent avec elles commercialement ; les grandes maisons de mode luxe possèdent des collections d’œuvres d’art, créent des prix artistiques, ouvrent des fondations d’art… Mode et art ne feraient-ils donc plus qu’un aujourd’hui ?
Barbara Legras
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