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Miguel Chevalier : “Souvent les gens n’imaginent pas que pour que nos rêves se réalisent, il faut être aussi un artiste entrepreneur…”

Julie Caredda 21 décembre 2020
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© Miguel Chevalier

Pionnier de l’art numérique, vous utilisez l’informatique comme médium artistique depuis 1978. Votre travail aborde la question de l’immatérialité dans l’art, ainsi que les logiques induites par l’ordinateur : hybridation, générativité, interactivité.

En cette période de crise sanitaire, vous avez créé le projet ViRal / ViTal ENERGY avec Leonel Moura et Jacopo Baboni-Schilingi. Comment est né ce projet ?

Nous avons tous les trois une forte complicité et nous avons en commun d’utiliser les technologies numériques pour nos créations. Quand est arrivé le Covid-19, nous avions tous les trois déjà entamé des réflexions sur les virus ou la respiration. Avec le confinement, chacun de nous a vu ses expositions ou ses concerts stoppés, ce qui nous a donné du temps pour imaginer ce projet ambitieux.

Leonel Moura est un des artistes pionniers dans l’application de la robotique et de l’intelligence artificielle dans l’art. En 2019, il a créé l’œuvre Lisboa Viral, composée de 17 sculptures virtuelles de virus dispersées à Lisbonne, visibles sur smartphone grâce à la réalité augmentée.

Jacopo Baboni-Schilingi est un compositeur de musique qui s’est intéressé très tôt à la potentialité des technologies numériques pour créer des musiques auto-génératives. Depuis 2017, il porte en permanence un capteur qui mesure sa respiration et la traduit en structures musicales.

De mon côté, j’ai entamé via la Galerie Keza, en 2019 un dialogue avec l’Institut Pasteur via le programme Organoïde initié par Olivier Schwartz, directeur de l’Unité de Virus & Immunité et l’artiste Fabrice Hyber, qui vise à provoquer des rencontres entre scientifiques et artistes.

ViRal/ViTal ENERGY 2020, Leonel Moura, Miguel Chevalier et Jacopo Baboni Schilingi

Quelles sont les composantes de ce projet ?

ViRal / ViTal ENERGY 2020 vise à célébrer la vie. Cette œuvre mêle nos univers artistiques dans une fusion entre l’image, la sculpture et la musique. Cette œuvre se compose d’une sculpture gonflable de 15 mètres de haut imaginée par Leonel Moura grâce à un algorithme. Cette sculpture à la forme rayonnante gonflée d’air, symbolise le souffle et la respiration qui permet la vie.

À la nuit tombée, cette sculpture devient la surface de projection d’une œuvre de réalité virtuelle générative inédite que j’ai imaginée en lien avec le Covid-19 et les autres virus. L’ensemble est accompagné d’une œuvre musicale inédite de Jacopo Baboni-Schilingi à partir d’un algorithme qui traduit son souffle et sa respiration en harmonie et en structures musicales.

Actuellement, nous cherchons des fonds pour produire cette œuvre monumentale et la présenter dans différentes villes du monde. Nous devons pour cela mobiliser nos réseaux. Souvent les gens n’imaginent pas que pour que nos rêves se réalisent, il faut être aussi un artiste entrepreneur…

La recherche des données et la constitution d’une base suffisamment importante pour réaliser une œuvre graphiquement riche telle que ViRal / ViTal ENERGY 2020 est un processus long. Comment constituez-vous cette base de données ?

Il y a plus de quatre ans, j’ai imaginé un logiciel écrit par l’informaticien Claude Micheli, permettant la constitution d’une base de données de fleurs et de feuilles pour créer des jardins virtuels. Je me suis servi de ce même logiciel, pour constituer cette année une base de données d’images en 2D et 3D témoignant de la diversité morphologique de cellules, virus et bactéries. Ces milliers de documents génèrent une vie artificielle imaginaire très riche agrandie à une échelle hors norme. L’œuvre ViRal / ViTal ENERGY 2020 devrait être très étonnante si nous arrivons à la concrétiser…

ViRal/ViTal ENERGY 2020, Leonel Moura, Miguel Chevalier et Jacopo Baboni Schilingi

Votre soif d’exploration et votre volonté d’être à l’écoute du siècle vous amène sur de nouveaux médiums de façon continue. Depuis 2008, vous vous êtes intéressé à l’impression 3D avec la série Fractal Flowers. Dans un monde où les nouvelles technologies évoluent de plus en plus rapidement, comment effectuez-vous votre veille technologique ?

Mon processus de création se nourrit des trois composantes : idées artistiques, technologies et sciences. Je suis curieux de nature et toujours intéressé par les nouvelles inventions ou les produits qui sont développés. J’aime expérimenter et m’aventurer sur de nouveaux terrains. Je me nourris beaucoup des recherches scientifiques et technologiques. Je rencontre de nombreux chercheurs et créateurs très divers qui m’ouvrent d’autres horizons.

Mon atelier la Fabrika à Ivry-sur-Seine, est une sorte de laboratoire artistique où avec mon collaborateur Nicolas Gaudelet nous faisons beaucoup de veille technologique. L’impression 3D et les machines à commande numérique qui permettent de matérialiser le virtuel m’intéresse particulièrement.

De même, pour une meilleure présentation de mes œuvres ou une plus grande fluidité de nos logiciels, nous expérimentons et testons en permanence des caméras infrarouges, des cartes graphiques, des écrans grand format, des vidéoprojecteurs lasers… Le processus de tests d’un nouveau logiciel dure souvent entre deux et trois ans avant d’aboutir à des œuvres génératives et interactives capables d’être exposées.

Lilus Arythmeticus dit d’Euclide, Miguel Chevalier, 2014, Domaine de la Roche Jagu, Ploëzal (France)

Vous avez contribué à la création de l’exposition Artistes & Robots au Grand Palais en 2018. Cette exposition était une étape importante de reconnaissance de l’art numérique auprès d’un large public. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Cette exposition Artistes & Robots sous le commissariat de Laurence Bertrand Dorléac et Jérôme Neutres, et dont j’étais conseiller artistique, a fait date et marque une étape importante. Elle a permis à un public plus large de comprendre comment des installations virtuelles et interactives générées par des logiciels informatiques et des robots conçus par des artistes, traduisent l’énergie créatrice et interrogent la définition de l’œuvre d’art et l’avenir de l’Homme.

Cette exposition a fait prendre conscience à un certain nombre de personnes que l’art digital s’inscrit dans l’art du XXIe siècle comme la photographie ou la vidéo au XXe siècle. Cet art digital se développe dans tous les pays du monde. Une exposition consacrée à cet art est présentée actuellement à l’UCCA à Pékin jusqu’à la fin janvier 2021.

Quelques artistes émergents que vous aimeriez partager avec les lecteurs ?

Parmi les nombreux artistes, je trouve intéressant les créations de Joanie Lemercier et Pascal Dombis. Ils explorent de nouvelles pistes dans le domaine du digital. Le premier travaille avec des projections de lumière dans l’espace qui joue avec la perception visuelle du spectateur. Le second utilise des algorithmes pour produire à partir de processus simples, des répétitions excessives et des combinaisons qui créent au final des abstractions complexes et imprévisibles. Ses formes visuelles instables et dynamiques qu’il génère sont présentées souvent sous forme d’impression lenticulaire.

Dans un Nuage de Pixels, Miguel Chevalier, 2019, Savonnerie (tapis) réalisée par le Mobilier National © Camille Gasser


Vous pouvez suivre le travail de Miguel Chevalier sur son site Internet

Propos recueillis par Julie Caredda


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Digital Abysses de Miguel Chevalier – Base Sous-Marine de Bordeaux par Agathe Louis

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